25/06/2020

« Vous direz que je me suis perdue » (13ème dimanche du temps)

Nombre d’entre nous sont blessés par le recul de l’Eglise. Nos assemblées sont toujours plus petites, les chrétiens engagés dans la cité sont de moins en moins nombreux.

C’est une blessure, cela fait mal. On cherche un responsable : l’intransigeance de l’Eglise avant Vatican II, la réforme conciliaire, mai 68, le cléricalisme, les abus sexuels des clercs, mais aussi la société de confort et de consommation, la fermeture à tout ce qui n’est pas matériel, l’individualisme et j’en passe. Comment ne pas être aigri ?

Il y a forcément une manière de renverser la tendance. Voyez tel prêtre aujourd’hui ou il y a quarante ans ! Mais pourquoi donc parler de tel prêtre quand c’est tout disciple qui est missionnaire ? Voyez la kermesse ou l’aumônerie qui rassemblaient tant de monde. La nostalgie ou la jalousie ne sont pas des ressorts missionnaires. Aujourd’hui, si la mission de l’Eglise est possible, ce n’est pas à attirer les gens vers elle ; c’est à l’Eglise d’être en sortie.

Pouvons-nous entendre que ceux qui permettent à l’Eglise de tenir et s’y dévouent sont peut-être aussi ceux qui la confisquent. Ceux que nous voudrions inviter sont peut-être tout aussi disciples que nous… mais pas comme nous. Et si nous ne savions pas voir le peuple des disciples. Les vieux chrétiens, les chrétiens de la messe du dimanche ou militants, ont une fâcheuse tendance à se prendre pour l’Eglise, qu’ils soient de gauche comme de droite, dans les paroisses ou dans les communautés qui n’ont de nouvelles que le nom tant souvent elles ne se contentent de ressortir des placards les recettes rancies (consécration au Sacré-Cœur, exposition du saint sacrement, neuvaines, catéchisme, etc.) rafraichies par des chansonnettes que l’on croit modernes à ignorer superbement et la poésie et la musique.

Bref, on fait quoi ? On se lamente ? On cherche le bouc-émissaire au risque de se déchirer ? On jette l’éponge ou on se replie sur son petit groupe ?

Et si on écoutait l’évangile. Et celui d’aujourd’hui, je ne suis pas convaincu que nous l’ayons jamais écouté. « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera. » (Mt 10, 37-42)

Le traitement de la pandémie, à bien des égards, a été des plus anti-évangéliques. Sauver des vies. Foutaise ! Garder sa vie, oui, quitte à massacrer nombre d'autres. Sauver sa vie, c’est la perdre. On se réjouira de ce que le virus ne soit pas entré dans tel Ehpad ou prison, mais dans quel enfermement avons-nous abandonné les personnes âgées dépendantes, les prisonniers et tant d’autres ? Les jeunes n'ont-ils pas été sacrifiés aux plus âgés ?

Les versets de ce jour sont tellement extrêmes que nous ne les écoutons pas, que nous ne les mettons pas en pratique, nous qui nous disons pratiquants. Jésus demande que l’on aime l’inconnu et le petit, l’étranger, plus que sa sœur, sa sœur plus que sa cousine et sa voisine.

Il est finalement étonnant qu’avec de tels versets il y ait encore tant de disciples. Sont-ils dans cette nef ou de ceux qui se disent tels ? C’est une autre question. Qui a renoncé à trouver sa vie, qui est prêt à l’avoir perdue ? Qui est prêt à passer derrière, à suivre ou accompagner Jésus derrière ?

Le renoncement est dur. Accueillons-le avec humilité. C’est le moment de nous soutenir. Qui a l’audace de vouloir écouter les paroles de Jésus est massacré par la violence de ce qui s’impose à lui : il ne peut plus faire le coup de force pour passer devant et garder sa vie.

Le renoncement, prendre sa croix, passer derrière, préférer tout homme aux siens ‑ Jésus n’a jamais été un apôtre de la famille, mensonge de l’Eglise ‑ n’ont pas bonne presse. La psychologie de supermarché et le bazar du développement personnel ne cessent de prêcher le contraire. Ces consignes ne seraient que morale, bien éloignées des hauteurs auxquelles mènent l’adoration, les soirées de louange, la foi et l’annonce explicite de Jésus.

C’est tout le contraire. Le renoncement est exactement le chemin de la foi. Dieu est premier parce que le premier il nous a aimés. Il nous faut passer derrière, quand bien même il nous offre la première place. Oui, cela fait mal à en mourir. Le renoncement n’est pas un comportement moral, humaniste ; il est l’attitude de la foi, il est la foi.

Si donc sur la place publique
Je ne suis à partir de ce jour ni vue ni rencontrée
Vous direz que je me suis perdue
Que marchant comblée d’amour
Je me suis constituée perdue, et j’ai été gagnée.
(Jean de la Croix)

20/06/2020

A quoi ça sert ?

Le confinement et la suspension non seulement des cultes mais de toutes les activités pastorales publiques, en dehors de la charité, ont posé la question de l’utilité de la foi.
Jamais l’Eglise ou les religions n’avaient été considérées de la sorte dans l’histoire de l’humanité. Elles n’étaient pas de « première nécessité », on devait donc s’en passer.
Nous sommes certes nombreux à avoir continué à pratiquer la foi. Le service des autres, la prière, aidée par la messe à la télé, la lecture et les commentaires des Ecritures, des gestes pour vivre Pâques et continuer le caté avec ses enfants, tout cela, aussi important que ce soit, était cantonné ‑ enfin ! diront certains ‑ à la sphère privée.
De là à penser que la foi ne sert à rien, il n’y a qu’un pas.
Mais de même que ce qui n’a pas de prix ne vaut pas rien, de même, ce qui ne sert à rien pourrait se révéler précieux.
Avec Dieu, c’est comme avec l’amour et l’amitié. On ne compte pas. ‑ Dieu ne sait pas compter ! ‑ La foi relève de la gratuité, de ce qui est gracieux et généreux, de la grâce, disent les théologiens.
L’expérience de la relégation pourrait rappeler à l’Eglise sa mission et son mode d’action. Elle ne peut se vouloir témoin de la grâce et raisonner en terme de nécessité.
Disciples de Jésus, nous avons un rôle prophétique à jouer pour provoquer le monde. Non, tout ne s’achète pas. Et pour qu’un « monde d’après » soit possible, il est urgent de prendre acte que le rendement et le « toujours plus », le « moi d’abord » nous mènent dans le mur.
« Là où tu mets ton trésor, là aussi tu mets ton cœur. »
Il ne s’agit pas de mépriser l’économie, surtout au moment où beaucoup seront violentés par les conséquences du confinement. Il s’agit de savoir quel modèle économique nous voulons. Quelle écologie, quelle maison commune, quelle place pour ceux qui ne sont pas ultra-performants ? C’était déjà les questions de François dans son encyclique Laudato si’, il y a cinq ans !

19/06/2020

Le péché des disciples fait de Dieu un menteur (12ème dimanche du temps)

Les lettres de Paul, plus anciens documents chrétiens, sont sidérantes. S’il s’agit d’écrits de circonstance, comment expliquer qu’ils déploient un raisonnement aussi élaboré à propos de questions que la pensée humaine ne cesse de chercher à élucider ? S’il s’agit d’écrits spéculatifs, comment expliquer la prétention de ces petits textes, quelques pages seulement, adressés à des communautés où, ainsi que l’écrit Paul, « il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés » ?

L’extrait de la lettre aux Romains (Rm 5, 12-15), juste trois versets, appartient à un développement de plusieurs chapitres sur le péché, entendons le mal que commettent les disciples de Moïse et ceux de Jésus. Comment se fait-il que le peuple du Dieu trois fois saint, le peuple convoqué à la sainteté, le peuple saint, soit un peuple de pécheurs ? Comment se fait-il que les disciples de Jésus, le saint de Dieu, soient des pécheurs ?

Tout l’évangile risque d’en être frappé d’inanité. Ce n’est pas une mince affaire. La vérité de l’évangile est sans doute très belle, mais n’est-elle pas totalement fausse si ceux-là mêmes qui s’en disent les fidèles commettent le mal, ne sont pas transformés par la sainteté qu’ils reçoivent au baptême ?

On comprend qu’il faille s’attaquer au problème. Ça passe ou ça casse. Et les réponses à la petite semaine, d’une part ne sont pas du genre de Paul, d’autre part ne convainquent personne. La langue de bois, il n’y a que ceux qui la pratiquent pour y croire, à moins qu’ils ne méprisent à ce point leurs interlocuteurs qu’ils les prennent pour des cons.

Fallait-il découper ainsi le texte ? Peut-on comprendre quoi que ce soit au raisonnement en extrayant trois versets ? Peut-on d’ailleurs lire ces versets sans prendre le temps long de la déconstruction ? On les lit depuis des siècles, on établit sur eux le dogme ‑ celui du péché originel ‑ on se bat entre écoles théologiques puis entre confessions. Comment comprendre quoi que ce soit en dehors du contexte et de l’histoire de la lecture ?

Faute de temps, je ne retiens que deux points ‑ une homélie ne permet pas de faire plus. D’abord un parallélisme, faux d’ailleurs. Il y a Adam, le premier homme, il y a le Christ qui restaure toute chose, au point d’être dit l’homme nouveau, littéralement le nouvel Adam.

Adam n’a jamais existé. Vous me direz, cela n’a pas d’importance. C’est vrai, sauf si son existence a de l’importance ! Paul n’est pas paléontologue ou généticien. Il convoque des figures, ici, celle de l’humanité. Adam, cela veut dire le prototype ou l’archétype, le modèle. Adam, c’est nous en tant qu’humanité, c’est l’humanité de toujours.

L’humanité est prise dans le mal qu’elle commet, avant la loi de Moïse, avec la loi, après Jésus qui donne la sainteté là où la loi aurait été mise en échec. Un constat : nous sommes tous des salauds. Il ne s’agit pas de noircir le tableau pour mieux avoir besoin d’un sauveur ! Il s’agit seulement d’être un peu honnête ou lucide, d’éviter le pharisaïsme. Que celui d’entre nous qui n’a jamais commis le mal vienne poursuivre cette homélie…

Notre péché fait de Dieu un menteur, comme dit Jean, parce que Dieu est censé nous rendre saints comme il l’est. Nous voyons et tous voient que ce n’est pas le cas, donc Dieu n’est pas vrai, donc Dieu est un mensonge.

La question du péché n’est pas seulement celle du mal que l’on commet, question éthique. Elle est théologique ‑ il faudrait dire théologale, car elle ne concerne pas une théorie sur Dieu, mais ce que la pratique de l’évangile dit de Dieu. Notre péché est la preuve que ce que nous confessons est faux, ou que nous n’y croyons pas nous-mêmes.

Jésus est de cette humanité, Jésus est fils d’Adam. Cela est aussi certain qu’impossible ; affirmation centrale pour Paul. Comment serait-il l’homme nouveau ? Jésus ‑ c’est la deuxième chose que je retiens, juste une locution adverbiale ‑ relève du « combien plus ». Paul pose ensemble l’horreur de notre mal et le combien plus de Jésus. Le parallélisme entre les deux Adam, nous et Jésus, est un renversement. A la gravité morale et théologale du péché répond le « combien plus » de la sainteté, c’est-à-dire de l’amour de Jésus. Dieu n’a personne d’autre que des pécheurs pour faire signe vers lui, avec le « combien plus de Jésus ».

J’arrête là parce qu’il est temps. Je nous laisse, comme la lecture, en suspens. « Combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude »…