31/10/2020

Persévérer dans l'existence... jusqu'au bout (Commémoration de tous les défunts)

Les textes retenus (Ap 14, 13 - Lc 12, 35-40) veulent nous préparer à la mort, à l’heure de la mort. Ainsi la béatitude de l’Apocalypse, « heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ».

Faut-il entendre ce souci de l’heure de la mort, comme si l’état d’esprit dernier avait plus d’importance que tout ce qui aura été vécu pendant des décennies. Et combien auront la possibilité et la force de vivre leur mort consciemment, de la regarder en face les prendre ?

Il y a dans la pensée chrétienne une sorte d’apprivoisement de la mort. François parle de « notre sœur la mort corporelle » qui lui donne de bénir le Seigneur. Assurés que le défunt n’est pas anéanti par la mort, il se pourrait qu’au long des siècles, et encore aujourd’hui, certains d’entre nous ne ressentent pas, ou professent ne pas ressentir, l’horreur de la mort.

Mais s’il est vrai que pour être habités par l’Esprit, il faut être de chair, que pour être disciples du Père qui est aux cieux, il faut avoir les pieds sur terre, préoccupés de la vie des frères, plutôt que de s’échapper dans des théories fumeuses, fussent-elles religieuses, je me demande si la foi ne nous fait pas un impératif de nous révolter contre la mort.

C’est fini. Plus jamais nous ne verrons son visage. Et quand viendra notre tour, je comprends que l’on résiste, que l’on ait peur, que l’on soit affligé, transi de tristesse. Est-ce que, du coup, affronter la mort est héroïque, de sorte que la rhétorique l’est aussi ; on parle de mort heureuse, de mort glorieuse ?

Ainsi fait-on pour Jésus. Pourtant, ce n’est pas sa mort qui nous sauve, mais sa vie… jusqu’au dernier souffle. Il aurait beaucoup renié de ce qu’il a vécu à se dérober. Sa fidélité, c’est ce qui a précédé…jusqu’au bout. Que l’heure de notre mort soit la fidélité à ce que nous aurons été de meilleur et la contrition pour tout ce que nous aurons charrié de mal.

Alors, être prêt, ce n’est pas la sérénité dernière, mais persévérer tout au long de l’existence, dès la naissance, dans le rejet du mal, de tout ce qui nous détruit et détruit les autres ; c’est vivre de l’amour qu’est Dieu. La lampe allumée, lumière de l’amour. La ceinture aux reins qui nous retient du mal.

Cette heure dernière, à laquelle on peut sans doute finir par consentir, sans cesser de se révolter, de résister, au nom de la vie, n’a de sens que comme métonymie. L’heure de notre mort c’est toute la vie, soumise à la contingence, à la vulnérabilité, à la fin.

Comment cette heure serait-elle heureuse, autrement que par insouciance je-m-enfoutiste ou illusion superstitieuse ? On n’a pas vu Jésus se réjouir de sa mort : chic ou ouf, c’est fini ! Il y eut le jardin de l’agonie et le cri d’abandon que rapportent Marc et Matthieu.

Si lui, et nous à sa suite, pouvons espérer que tout ne sombre pas dans le néant, ce n’est pas pour nous réconforter. Un réconfort fondé sur une illusion, c’est du vent. Si lui, et nous à sa suite, disons que la vie, jusqu’à l’heure de la mort, est naissance, enfantement, c’est que l’amour dont Dieu le premier nous aime ne peut pas être rompu. Parce que Dieu est amour… ou alors Dieu n’est pas Dieu. Si Dieu nous aime, alors rien, pas même la mort ne peut nous séparer de lui, ni de tous ceux qu’il aime avec nous. Un peu de vie dans le Seigneur laisse espérer possible de mourir dans le Seigneur pour vivre renés de la mort avec Jésus.

30/10/2020

La sainteté en deux mots (Toussaint)

Qu’est-ce que la sainteté ? Si l’on faisait une histoire des réponses à cette question au cours des siècles, il est vraisemblable que nos évidences tomberaient. Dimanche dernier, nous avons entendu les deux seuls commandements (Mt 22, 34-40) qui n’en sont qu’un. Parce que c’est encore tout frais à notre oreille, parce que la parole est donnée à Jésus pour une forme de concentré, de synthèse de la foi, je propose de reprendre ces versets. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

L’amour de Dieu, l’affirmer est premier, on doit l’affirmer en premier. Parce que Dieu, le premier, nous aime (1 Jn 4, 10). Parce que Dieu est amour (1 Jn 4, 8. 16). Parce qu’en dehors de l’amour, il n’est rien qui ne puisse dire Dieu. « Le mot Amour dit à la fois la plénitude et la désappropriation, l’une incluant l’autre et réciproquement. La plénitude regarde l’être même de Dieu et toutes les richesses du créé. La désappropriation regarde l’impossibilité pour qui que ce soit, même Dieu et sans doute Dieu d’abord, de garder pour soi quelque propriété que ce soit. » (G. Lafont, Le Catholicisme autrement, p. 151)

C’est parce que Dieu est amour et plénitude, c’est-à-dire désappropriation, jusqu’à la mort et la mort sur une croix, qu’un commandement de l’aimer est possible. Comment pourrait-on être sommé d’aimer autrement qu’à être violé, sans la désappropriation de celui auquel notre existence devrait répondre, de celui à l’amour duquel notre amour est réponse ?

Le problème, si j’ose dire, c’est que l’on ne sait pas si l’on aime Dieu, comment on l’aime. Ou plutôt si, on l’aime d’une seule manière, en aimant comme il aime, plénitude, tout ce que nous sommes, et désappropriation. En aimant le frère que nous voyons (1 Jn 4, 20), dans une désappropriation que la parabole du samaritain permet de formuler, sur un air kantien, « agis de telle sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain. »

Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer son Fils dans l’Esprit, mais ce n’est pas assez dire. Pour aimer Dieu seulement, il faut aimer tout homme. Et cela signifie précisément, nous désapproprier de tout ce que nous sommes, permettre à l’autre de nous trouver disponibles, de trouver en nous le prochain dont il a besoin.

Voilà, tout est dit de la sainteté, même si l’on peut dire bien d’autres choses. La sainteté c’est la plénitude et la désappropriation, être pleinement, richement, avec extravagance et excès même, non pas pour donner, mais pour se laisser prendre, se laisser dépouiller, être désapproprié. Jésus nous en a ouvert le chemin.

« L’image en est Jésus crucifié, nu, souffrant, dépouillé, et à ce moment même invoquant le Père dans l’Esprit. « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » C’est à ce moment, sur la Croix, que nous est révélé le Mystère de la Sainte Trinité : immense circulation, admirable échange. Mais nous est manifesté aussi le Mystère de l’homme, créé et comblé par Dieu, invité à répondre en se donnant lui-même moyennant un symbole d’obéissance. » (G. Lafont, pp. 151-152. Je ne reprendrais ni la graphie ni tous les termes à mon compte, mais le mouvement, assurément.)

Passer derrière, prendre sa croix, renoncer à soi, être insulté, persécuté. Ces expressions de la théologie ascétique et de l'évangile sonnent de façon inadmissible après les attentats terroristes. Gardons-nous d'oublier le don premier, la plénitude qui se désapproprie. Pour nous la plénitude n’existe aussi que comme désappropriation, et réciproquement. C’est cela la sainteté pour Dieu et pour nous (Lv 19, 2).

On n’offre pas en con-sacrant, en faisant du sacré. On ne rend pas sur ce que l’on a prélevé pour vivre. Il ne s’agit nullement d’un sacrifice mais de plénitude qui n’existe que comme désappropriation, pour Dieu et pour tous. La sainteté, c’est divin ; et nous sommes invités à la partager, immense circulation, admirable échange. Laisser l’autre trouver en moi un prochain, ainsi les parents pour leurs enfants, ainsi les enfants pour leurs parents devenus dépendants, ainsi, ceux qui s’aiment. Ils font ce qu’est Dieu. Ils sont ce qu’est Dieu, saint.

 

 

 

« Soyez saint car moi, le Seigneur, je suis saint. »
Seigneur, tu rassembles en ton Eglise tous ceux que tu sanctifies par le baptême dans ta mort et ta résurrection. Souviens-toi de tous les saints.

Seigneur, tu meurs et assures le malfaiteur qui pend au gibet qu’il vivra avec toi. Tous ceux qui détruisent les frères par la violence des armes, de l’économie, de la corruption, des inégalités, des abus de pouvoir, que ton amour les désarme et les renverse. Souviens-toi de toutes les victimes.

Seigneur, alors que le confinement nous prive des relations familiales, amicales, sociales, alors que les difficultés économiques touchent certains très directement, alors que nos libertés sont limitées, donne-nous de demeurer saints car tu es saint. Souviens-toi de nous, vigilants dans la prière et le service des frères.

20/10/2020

Après un énième attentant et avant le suivant... (30ème dimanche du temps)

Chaque fois qu’un attentat émeut la population et que cette émotion est mise en scène par les médias, les réseaux sociaux, les politiques et autres ‑ tous les attentats n’émeuvent pas et toutes les émotions ne sont pas mises en scène ‑ on a droit aux mêmes commentaires. Un copier-coller du coup précédent ; on change le nom de la victime et son métier.

Comment cela se fait-il que l’on se croie si sincère alors que l’on a déjà dit tant de fois la même chose, avec la même détermination ? Si ces déclarations ne sont pas rodomontades, n’est-ce pas qu’elles nous font croire que nous avons fait quelque chose contre le crime, que nous nous en sommes désolidarisés ? Au passage, nous aurons bonne conscience.

J’ai lu cette fois encore pas mal de tribunes, opinions et analyses. Un autre extrémisme se nourrit des traumatismes sociaux, tout comme les hussards de la laïcité. Dans tous les cas, le problème, c’est la religion. La laïcité est parfois aussi une question de foi, de conviction, alors qu'elle est censée poser le cadre de l'expression des différences de convictions. La liberté d’expression, et à juste titre, est une déesse, un transcendant, de l’imaginaire républicain. Lorsque la foi laïque s'impose à tous publiquement et contraint les religions à un strict confinement privé, on est en pleine contradiction, et la violence n'est pas loin.

Ceux qui gouvernent ou veulent gouverner gesticulent. Il faut faire quelque chose. Oh certes ! Mais ce n’est pas à expulser quelques dizaines de personnes et à fermer une moquée qu’on résoudra le problème. Où se retrouveront-ils les musulmans de Pantin ? Ils ne vont pas disparaître parce qu’on ferme administrativement leur mosquée pour six mois. S’ils sont coupables, iront-ils « contaminer » les autres mosquées ? S’ils sont innocents, peut-on les priver de la liberté de culte ? Même si tous ceux qui sont fichés S et en situation irrégulière étaient expulsés ‑ ce qui est légalement et moralement impossible ‑ le problème serait encore là. Monsieur le ministre, nous sommes fatigués de votre incurie, celle de vos collègues et prédécesseurs. Nous prenez-vous pour des imbéciles avec vos effets d’annonces ? Le respect de la devise républicaine suffit à un gouvernement. Ce serait un grand pas vers la paix dans notre pays de s’y cantonner : liberté certes et oh combien, mais aussi égalité et fraternité.

Toute punition collective est injuste et crée un peu plus de ressentiment. Qui va faire les frais de ces mesures et discours ? Qu’est-ce que cette rhétorique infantile qui stigmatise les méchants pour mieux nous convaincre que nous sommes évidemment dans le bon camp, celui de la culture, des Lumières, de la tolérance, etc. ?

La solution ? Elle n’existe pas ! La baguette magique est un accessoire de conte de fée. Ce qui est certain, c’est que prétendre apporter un peu de paix ne peut se faire sans une remise en cause de la société et de son idéologie, « nous » les bons, « eux », ceux qui ne pensent pas comme nous, les méchants. Prétendre apporter un peu de paix ne pourra se faire sans aimer, y compris ses ennemis. La guerre à la guerre, c’est encore la guerre. Il faut certes se protéger et au besoin utiliser la force, mais ce n’est pas résoudre le conflit. « Aucune guerre n’est juste. La seule chose juste, c’est la paix. » La fin de la guerre c’est l’amitié entre les peuples et les personnes. Quel gouvernant aura la trempe de le dire et de le promouvoir effectivement ?

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. » (Mt 22, 34-40)

On ne saurait aimer ou servir Dieu sans aimer les frères, même ennemis. Le mensonge du terrorisme musulman est dénoncé on ne peut plus clairement. Mais la similitude des deux commandements dénonce tout autant le hiatus entre les grands principes, les « valeurs » comme l’on dit, de notre République, et notre attitude entre concitoyens, même ennemis.

Quel souci les uns des autres construit notre société ? Comment nous, disciples de Jésus, au nom de notre amour pour le Père, sommes-nous engagés dans un amour des frères, de tous les frères, fratelli tutti ?

16/10/2020

Un évangile très politique (29ème dimanche du temps)

Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu (Mt 22, 15-21). On peut tout faire dire à ce proverbe, aussi bien la nécessaire séparation des autorités politiques et religieuses, que le cantonnement de la foi à la sacristie.

Or avec Jésus, pas un instant de la vie n’échappe à la foi. La vie spirituelle n’est pas un moment ou une activité parmi d’autres, à côté d’autres, elle est toute la vie menée dans le souffle de l’Esprit. Nous ne pouvons mener nos affaires, y compris économiques et politiques, autrement que transformés par la foi.

Certes personne ne peut être contraint d’opter pour une opinion politique, mais les disciples ne devraient pas pouvoir s’asseoir sur l’évangile et voter pour l’extrême droite, cautionner une politique discriminatoire, décider de la vie, rejeter les frères notamment pauvres ou migrants, empêcher que la foi, celle des autres aussi, ne puisse trouver communautairement un mode d’expression dans la cité.

Ainsi convient-il d’assumer ce qu’il y a de politique et de social dans la suite de Jésus. Les catholiques parlent de doctrine sociale de l’Eglise ; leur hypertrophie magistérielle focalise les regards sur les paroles et gestes du Pape : dépôt de gerbe à Lampedusa, réconciliation des divorcés remariés, respect de la vie, déclaration commune avec l’Imam d’AL-Azhar, encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti.

Si nous manifestons des réticences voire des oppositions, nous devrons nous assurer qu’elles expriment ce que veut l’Esprit, ce à quoi invite l’évangile.

Le dérèglement climatique n’est plus contestable. En une quarantaine d’années, la date des vendanges par exemple a avancé de plus d’un mois. Certains doutent encore de la responsabilité humaine de ce changement. Il y en eut d’autres dans les millénaires anciens !

Quoi qu’il en soit, ce réchauffement est accompagné d’un appauvrissement invraisemblable de la biodiversité, de la destruction des forêts primaires et de catastrophes naturelles toujours plus violentes et nombreuses. Mieux vaut détruire les insectes pour sauver les betteraves que de dédommager les agriculteurs ou envisager un autre type d’agriculture. La responsabilité de l’homme ici n’est pas discutable.

La crise écologique n’est pas affaire de petites fleurs. Elle a des conséquences économiques et sociales gravissimes. L’augmentation du niveau des océans contraint des millions de personnes à la migration. Le niveau de vie élevé d’un pourcentage réduit d’entre nous contraint la majorité à une précarité toujours plus grande. La crise sanitaire ne fait qu’accélérer ce processus. « Tout est lié » de sorte que lorsque la planète se meurt, c’est l’humanité, à commencer par les plus pauvres, qui agonise. Et si nous ne nous sentons pas concernés, c’est sans doute parce que nous vivons de ce que les autres crèvent. « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. » (V. Hugo, L’homme qui rit)

Voilà, nous sommes en pleine politique au nom de la foi. Pourrons-nous nous taire au nom de l’évangile ? Comment notre vie dans l’Esprit ne serait-elle pas concernée par ces inégalités et conditions inhumaines ? Si notre foi est en dehors de tout cela, elle n’a plus aucun sens, et notre présence ici n’est que simagrée et hypocrisie.

Pousser la majorité de la population mondiale dans une précarité toujours plus grande, non seulement dans les anciennes colonies, mais dans les banlieues et jusque dans nos villages, c’est semer la guerre. Il est hors de question de justifier quelque violence que ce soit. Mais il faut reconnaître que la première violence est souvent celle des injustices et inégalités.

Crise écologique, crise sociale et économique, crise politique et internationale, crise migratoire, « tout est lié ». Rendre à César ce qui est sien, ce n’est surtout pas se réfugier dans la prière en espérant que les catastrophes nous épargneront quitte à tomber chez le voisin. Rendre à César ce qui lui revient, c’est se faire disponible à l’Esprit pour être artisans de paix, du respect mutuel, du partage, de la dignité des conditions de vie.

 

 

 

Ton serviteur Jésus a compris que ton amour dépassait toutes les limites, de religion, de genre et de statut social. Donne à ton Eglise d’avancer libre sur les chemins de l’amitié entre les peuples, au service de tous.

Ton serviteur Jésus renvoyait les politiques et les citoyens à leurs responsabilités. Que chacun, aujourd’hui, invente les chemins pour vivre ensemble et vaincre les haines. Nous te prions pour toutes les victimes de la haine.

Ton serviteur Jésus est mort pour que ton nom ne soit jamais instrumentalisé et qu’ainsi il soit sanctifié, lié seulement à la dignité de chacun. Que notre communauté témoigne de ta sainteté et de la dignité de tout homme.