29/04/2022

Ils vont à la pêche quand c’est le temps des amours (3ème dimanche de Pâques)

Dimanche passé, le lectionnaire faisait entendre la non-foi de Thomas, à laquelle étaient ajoutés les versets qui suivent, les derniers de l’évangile : « "Heureux ceux qui croient sans avoir vu". Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. »

Et pourtant, il y a encore ce chapitre vingt-et-un. Deux notations l’arriment fermement à ce qui précède : « Après cela » et « c’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples. » Mais comment, d’un seul coup, les disciples que l’on avait quittés à Jérusalem se retrouvent-ils au bord du lac, plus de cent kilomètres à vol d’oiseau ? On n’en compte que sept et non onze ; il n’y a plus d’indication de temps, si précise ailleurs.

Pierre va à la pêche comme pour tuer le temps. Les deux rencontres à Jérusalem n’ont rien changé à sa vie ; retour à la case départ. Enfin, pas vraiment, car Jean ne dit pas qu’il y a des disciples pêcheurs, appelés près du lac, ni ne parle pas des fils de Zébédée sauf ici. Ce chapitre ne cache pas qu’il est un ajout emprunté aux synoptiques. Que manquait-il au texte ?

Rien, car tout est déjà dit. On souligne seulement, on insiste : la tradition dite de Jean n’est pas incompatible avec les autres traditions évangéliques. Le récit de la pêche miraculeuse, que Jean ignore, peut y trouver place. Et l’évangéliste en fait alors une lecture décidément pascale. La fraction du pain, pareillement et… Pierre n’est qu’un piètre pêcheur !

Pierre ne comprend rien. Il faut que Jésus pose trois fois sa question, en changeant de verbe. Pierre n’entend pas la différence entre philein et agapaô, aimer d’amitié, aimer de l’amour même de Dieu. Pierre n’entre pas dans l’économie divine. Il aime Jésus, comme un ami. Il ne semble pouvoir entendre l’amour dont Dieu nous aime.

Pierre va à la pêche quand le Seigneur est ressuscité ! On croit rêver. Le mondain, non le dandy frivole, mais celui qui est tourné vers la terre, préoccupé par le monde, son ventre, sa vie biologique, quand il s’agit de naître d’en-haut, de vivre de l’Esprit. Pierre que l’on fait pasteur. Pas une fois ce mot, ni celui de berger, n’est employé. C’est toujours le verbe : « nourris, pais mes brebis ». Jamais un substantif, un état. Celui qui est chargé de prendre soin ne comprend rien. C’est cela l’Eglise. Les pasteurs sont si peu disciples. Ce peut être de bons bougres, honnêtes, les pieds sur terre. Ils peuvent faire du bien, s’occuper de la logistique. Mais qu’en est-il de leur compréhension de l’agapè, de l’amour de Dieu appelé à être l’amour partagé avec tous ? Et les brebis, trop contentes de bouloter du sacré, elles n’en veulent pas davantage ; il ne faudrait pas être enrôlés par l’agapè !

C’est anachronique de lire chez Jean une critique du cléricalisme. Mais sa critique de l’Eglise de Pierre est précieuse. Ils sont là, ces successeurs d’apôtres, comme on dit improprement, essayant de faire au mieux un job, difficile, impossible. Il y a des pourris et aussi tant de bon types. Mais quelque chose manque. Devrait toujours d’abord être dit que l’on est, comme Pierre, traître. Pêcheur plus qu’Excellence ou « mon Père ». Seulement des pourris sont disciples. Comment ça peut marcher ? C’est l’interrogation de l’évangile de Jean.

Rien de Jésus ne peut être compris en dehors de l’amour, amour de Dieu, qui nous donne de l’aimer en retour et de nous aimer. Ce n’est pas nous qui l’aimons. Nous sommes comme le disciple que Jésus aimait. C’est Jésus qui aime, c’est Jésus qui donne ce que nous sommes, nous ne sommes que ce qu’il fait de nous, ceux qu’il aime.

Le disciple que Jésus aime court plus vite, parvient le premier au tombeau, et croit. Pierre, sans souffle, arrive tard ; il n’est pas dit qu’il croit. Je pense à une histoire grivoise que je résume : Un homme rentre de la pêche, en retard. Il a dû quitter son activité favorite à contrecœur pour rejoindre sa femme. Elle l’attend dans une tenue affriolante. Elle s’offre à lui, lui demande de l’attacher comme son esclave et lui propose de faire ce qu’il veut… Il la plante là, liée et repart aussitôt à la pêche. Le chapitre supplémentaire est aussi lourd que la blague, parce que Pierre, l’Eglise, les disciples sont lourds, ne comprennent pas.

En dehors de l’agapè, de l’amour, il y a sans doute des disciples, très importants, comme Pierre. Mais ils vont à la pêche quand c’est le temps des amours, de la nouveauté.

27/04/2022

« Je m’en vais vers mon doute » A propos de vocation

Lu dans Le Monde, un entretien de Michel Bouquet de 2016 (propos recueillis par Annick Cojean) Extrait :
 
Suivre avec ferveur sa vocation fait-il une vie heureuse ?
Non, cela fait une vie de malheur.
 
De malheur ?
Le malheur de savoir que c’est si dur, chaque fois si dur. On risque sa vie à chaque rôle, et si le rôle ne veut pas vous parler, si l’auteur se refuse à vous renseigner, c’est foutu. Et c’est tragique.
 
Mais quand vous réussissez ? Quand votre interprétation sonne parfaitement juste et que le public applaudit acteur et auteur ?
Eh bien on se jette aux pieds de l’auteur et on cire ses chaussures pour qu’elles soient encore plus belles. Il n’y a aucune gloire à tirer. Aucun orgueil.
 
Au moins une certaine satisfaction !
Non. Jamais. Parce que c’est encore à refaire le lendemain. Et le surlendemain. D’ailleurs, je vous quitte parce que je joue ce soir. Je ne peux pas y échapper. Je dois me reposer et puis me préparer.
 
Allons ! Il y a dans votre œil des paillettes de gaîté quand vous parlez de théâtre.
Je suis en effet habité par quelque chose. Mais ne vous méprenez pas. Ce sont bel et bien des devoirs. Ma vie ne m’appartient plus, elle est à mes devoirs. Et je suis toujours dans ce vestibule de la rue de Rivoli, attendant de dire mon poème. Espérant le miracle qui se produit de temps en temps.
 
Soixante-treize ans après votre rencontre avec Escande, vous avez donc toujours la même angoisse ?
Oui. Car c’est l’auteur qui donne le talent. Et c’est lui qu’il faut supplier de parler. Je pressens que mon acolyte Hélène Grimaud partage ce point de vue. La quête est incessante… Il faut cette fois que je vous quitte. Je m’en vais vers mon doute.

Traduction Jean-François Garneau :
-- Does fervently following one's vocation make one happy, as an actor?
-- No! For me, it's been a lifetime of misery.
-- Bad luck?
-- No! Rather the misfortune of knowing that it is so hard to do what we are called to do, every time so hard. You risk your career with each role you take, and if the role doesn't want to talk to you, to inspire you towards greatness, if the author refuses to inform you, it's over. And it is tragic.
-- But when do you succeed? When does your interpretation succeed to ring perfectly true and the public applauds actor and author?
-- Well, we throw ourselves at the author's feet and polish his shoes to make them even more beautiful. There is no glory to be had, for actors. No pride.
-- At least some satisfaction!
-- No. Never. Because it still has to be done the next day. And the day after. Besides, I'm leaving you because I'm playing tonight. I can't escape it. I have to rest and then get ready.
-- Let's go then ! For there are sparkles of gaiety in your eye when you speak of theatre.
-- I am indeed inhabited by something. But do not get me wrong. These remain duties. My life no longer belongs to me, it is my duty. And I'm still in this vestibule in the rue de Rivoli, waiting to say my poem. Hoping for the miracle that happens from time to time.
-- Seventy-three years after your meeting with Escande, do you still have the same anxiety?
-- Yes. Because it is the author who gives the talent. And he is the one to beg to speak. I suspect that my sidekick Hélène Grimaud shares this point of view. The quest is incessant... This time I must leave you. I go to my doubt.

22/04/2022

Croire ou savoir, il faut choisir (2ème dimanche de Pâques)

Il y a bien des manières d’être incrédule, de ne pas croire. Ainsi, y a-t-il de nombreux croyants qui ne croient pas ! Ce qu’ils ratifient est un système du monde, quelque chose qui donne du sens, et la solidité de ce système vaut preuve de la vérité de ce qu’ils n’ont plus besoin de confesser, puisque c’est prouvé. Comme pour Thomas, les preuves remplacent la foi, un système, qui permet l’illusion de vivre dans un univers ferme, consistant, avec un but.

Certes, il faut que ce que nous confessions résiste à la bêtise, tienne la route rationnellement. Comment pourrait-on mettre sa foi dans n’importe quelle stupidité ? Il n’est cependant pas certain que notre foi soit sens, et encore moins qu’elle puisse l’être. Nous croyions malgré ; malgré le mal, malgré le non-sens.

On attribue à Tertullien une expression qu’il n’a jamais littéralement employée même si elle rend justement compte de sa pensée : credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde. Tertullien n’était pas un illuminé : Plus les choses seraient absurdes, ou contraire à la science, plus il y croirait. Non, il sait que le chrétien est disciple du Verbe, du logos, qui est autant parole que mesure, raison que principe d’agencement. Mais il sait aussi que l’on n’est pas amoureux au terme d’une équation ou d’un raisonnement, le plus brillant soit-il.

Il sait que l’on n’est pas disciple du Christ parce que c’est rudement intelligent, quand bien même cela n’est pas rien. On est disciple du Christ parce que l’on accepte de se laisser saisir par son amour, comme en amitié, comme en conjugalité. On aime l’autre pour l’autre, on aime Dieu parce qu’il est Dieu, non parce que son enseignement serait formidable.

C’est souvent la belle cohérence de la doctrine chrétienne qui a attaché à la foi, et attache encore certains. Et pourquoi pas, mais est-ce là ce qui fait le disciple ? Thomas, repenti, ne peut que déclarer son attachement à Jésus. Les raisons pour ou contre se sont dissipées. Il est en face de son Seigneur et son Dieu, c’est tout (au deux sens de l’expression).

Lorsque le système du monde n’a plus besoin de Dieu pour tenir, il ne faut pas s’étonner de ce que les disciples ne soient plus majoritaires. Il faut même s’en réjouir. Désormais, ils ne sont pas disciples d’un ordre social, mais, folie de la croix, d’une personne morte il y a deux-mille ans, amoureux de Dieu, comme Madeleine. C’est ce qui permettait à Dostoïevski d’écrire que si on lui prouvait l’erreur du Christ, il le préfèrerait cependant à la vérité. Démontrer le Christ c’est le tuer ; réclamer des preuves d’amour n’est pas aimer.

Pour croire, pour être disciple, il faut ne plus rien savoir. Credo qui absurdum. Ne plus rien savoir de ce que l’on doit penser du catéchisme ou du dogme, de l’incarnation, de la résurrection. Nous n’avons plus aucune certitude, parce que les certitudes prennent la place de la foi, et que là où il y a preuve, il n’y a plus d'espace pour la foi, la confiance.

Je ne suis pas certain que les dix autres soient plus croyants que Thomas. Comme lui, ils croient parce qu’ils ont vu. Ils ne croient donc pas. Voir ou croire, il faut choisir ! Croire ou savoir, il faut choisir. Tous sont invités à lâcher les certitudes, à se faire pauvre de tout, pour héberger l’inconnu qui vient, dans la gratuité de celui qui s’offre et la gratuité réciproque, conséquence, de celui qui accueille.

Ce faisant, nous effaçons la frontière, comme un mur, qui serait censée distinguer les croyants des autres. Ou plutôt, nous la déplaçons. Elle ne se cale pas sur un contenu ratifié ou non, mais sur un style de vie, la dépossession y compris de ce que nous avons de plus cher, pour faire place à l’autre. L’autre, bien sûr, c’est le Dieu différent que l’on ne peut accueillir si l’on sait trop bien qui il est. L’autre, c’est tout autre, parce que c’est à apprendre la gratuité de l’hospitalité que l’on a quelque chance de rencontrer Dieu. C’est ainsi qu’Abraham accueillit son Dieu. On raconte en effet que pour l’accueillir, il lui avait fallu le quitter.

Puis-je, en ce dimanche électoral, finir en citant l’épître aux Hébreux ? « Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. Souvenez-vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux. Souvenez-vous de ceux qui sont maltraités, car vous aussi, vous avez un corps. » (He 13, 1-3)

15/04/2022

Un amour fou de la vie

La Passion et la Mort ne sont pas une glorification de la souffrance et de la mort, elles sont une célébration de la lutte pour la « justice ». Ceux qui l’aiment à ce point qu’ils la préfèrent à leur vie même, ceux-là témoignent de la venue du Règne de Dieu et vainquent l’injustice et la mort. Dieu se révèle Dieu humainement dans cette lutte. Il est difficile de ne pas saisir la permanente actualité de cette Passion qui n’affronte la mort que par amour fou de la vie véritable.
Christian Duquoc (1926-2008), dominicain

Un amour fou de la vie, quitte à affronter la mort. C'est cela la résurrection, loin de tout miracle, loin de la mythologie d'un retour à la vie. Jésus est le témoin, en grec le martyr, de cette vie véritable aimée à la folie.

Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? (Pâques)

Drame, panique, le corps a disparu et on ne sait pas où on l’a mis. Le corps enlevé, c’est ce qui arrive à chaque décès. Et si l’on sait où on l’a déposé, il demeure inaccessible ; bientôt, on ne saura plus où on l’a mis. La plupart de nos aïeux, passés cent ans, nous n’en avons plus aucune trace.

Faire le deuil. C’est fini. C’est ce que nous vivons. Je pense à ceux qui perdent leur conjoint après tant d’années ensemble. C’est fini. Réapprendre à vivre. Même à quatre-vingts ans, réapprendre à vivre, vivre à nouveau, ressusciter.

« On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » L’enjeu de la résurrection de Jésus, c’est de trouver le corps disparu. Et tout le monde court dans l’évangile (Jn 20, 1-9), sans doute davantage dans la panique que dans l’urgence de retrouver le corps, de trouver le corps de nouveau vivant, le corps nouveau du vivant.

Je me rappelle ces funérailles où je m’étais fait houspiller par une amie de la famille qui par ailleurs présidait les funérailles dans sa paroisse. Je n’avais pas donné d’espérance. Je me rappelle telle rencontre des équipes funérailles du diocèse. Dire la fin, constater la fin est intolérable. Alors on transige : oui, nous nous retrouverons. Non, il n’est pas mort, mais vivant en Dieu, ou présent dans la pièce à côté. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Perte définitive.

J’ai parfois l’impression que l’expression de la résurrection n’est pas celle de la foi chrétienne. La résurrection n’est pas un happy end, la mort une péripétie. S’il n’y a pas la mort, avec toute sa brutalité factuelle, y compris dans le plus paisible des sommeils, entouré de l’affection de tous, il n’y a pas de résurrection. Je ne suis pas certain que nous en ayons fini avec l’animisme. Le culte des ancêtres, le culte des morts est ce que nous pratiquons le plus communément, y compris dans l’Eglise. C’est autre chose, la résurrection. A jamais Jésus est mort, disparu. C’est comme crucifié que les récits font apparaître le ressuscité. A jamais, il est le crucifié avec les marques des clous et les blessures d’un corps meurtri.

La résurrection est une nouvelle création dont nous n’avons pas idée. La résurrection est contre-intuitive, scandale et folie. Il faut chercher le corps, car sans corps, on ne vit pas, car sans corps, il n’y a pas d’humains, d’humanité. Et le temps presse, c’est la course. Mais ce n’est pas au tombeau que nous trouverons le vivant. Evidemment ! On aurait pu s’en douter.

Où donc est le vivant ? Où donc est le vivant en son corps ? C’est ce que les disciples vont mettre trois jours à commencer à comprendre. Ils sont son corps. Ils apprennent où est le corps de Jésus que la mort a enlevé. C’est eux qui ont la force de courir comme des fous, de Jérusalem à Rome, des pharisiens aux meurtriers, des saints au pire des salauds. C’est eux, comme un corps qui reprend vie, métonymie de l’humanité sauvée.

Avant même la rédaction des récits d’apparition, avant même l’invention du thème du tombeau vide, dès les années Cinquante, vingt ans après la mort de Jésus, la littérature paulinienne atteste de cette foi. « Vous êtes le corps du Christ, chacun pour votre part. » (1 Co 12, 27) « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? » (Lc 24, 5)

Il y a urgence à courir prendre soin de ce corps. La guerre nous montre ce corps mutilé, sans vie. Les exclusions de tous ordre démembrent le corps, le dépècent, de déchirent. « Il a voulu qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie. » (Ib. 25-26)

A ceux qui cherchent le corps du Seigneur, désespérant de croire en Jésus, le messager l’annonce : le souci de son corps est le lieu de sa présence, vous l’y trouverez. Prenez soin les uns des autres, portez les fardeaux les uns des autres, et vous ne pourrez plus jamais chercher le vivant parmi les morts, et vous proclamerez sa résurrection jusqu’à l’heure de son retour.

14/04/2022

Passer la mort comme la mer (Vigile de Pâques)

La mer devant, les Egyptiens derrière. Coincés, condamnés à mourir. « L’Egypte manquait-elle de tombeaux, pour que tu nous aies emmenés mourir dans le désert ? Quel mauvais service tu nous as rendu en nous faisant sortir d’Égypte ! C’est bien là ce que nous te disions en Égypte : “Ne t’occupe pas de nous, laisse-nous servir les Égyptiens. Il vaut mieux les servir que de mourir dans le désert !” » (Ex 14)

Mieux vaut l’esclavage et la mort, épuisés, que la liberté au risque de la mort. Mieux vaut servir Pharaon quitte à en mourir, que de servir le Seigneur, au risque de la mort. Tout le contraire de notre prière : « Nous te rendons grâce car tu nous as estimés dignes de nous tenir debout devant toi pour te servir. » ; tout le contraire de la foi. Profession de non-foi des fils d’Israël. Ils choisissent la mort, le mensonge et le malheur, pour être sûrs de ne pas mourir… tout de suite, pour être sûrs, car ils ne peuvent vivre sans certitudes, fussent-elles mortelles.

Les assurances-vie, c’est quand on est mort ! Si tu attends d’être sûr de ne pas tomber pour marcher, tu resteras sur ton derrière toute ta vie. Si nous attendons la sécurité pour vivre, nous mourrons sans avoir vécu. Si nous trichons pour dissimuler nos peurs, nous nous leurrons et entrainons beaucoup dans notre tromperie. J’en connais qui, pour sanctionner, sans doute légitimement, un président, sont prêts à voter pour le diable. Tromperie ! Notre monde n’est pas un idéal. Le Paradis, c’est Dieu qui le donne. Quant à l’enfer, nous avons les moyens de ne pas le choisir.

Ainsi donc, la mer devant, la mort rattrape les fils d’Israël. Puis, de l’autre côté, laconiquement, le texte rapporte que « le peuple mit sa foi dans le Seigneur et dans son serviteur Moïse. » Que s’est-il passé ? Le bâton de Moïse comme une baguette magique qui ouvre la mer ? Non évidemment. Car Dieu ne libère pas un peuple, fût-il sien, en en exterminant un autre. Les Egyptiens ne sont pas les victimes de la libération d’Israël, quand bien même ils seraient ennemis, pécheurs. « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive. »

Ce qui s’est passé dans le passage de la mer, c’est la noyade de tout ce qui nous empêche de croire, Abandonner dans la mer les certitudes, abandonner dans la mer le mal qui nous poursuit et nous accule depuis si longtemps, trop, harassant, mortel comme un esclavage. Abandonner la haine et le « moi d’abord », abandonner l’indifférence aux frères et nos illusions de maîtrise. Alors, surpris, étonnés ‑ émerveillés ‑ comme un miracle, la tête hors de l’eau pour enfin aspirer profondément le souffle de la vie, nous nous découvrons vivants.

C’est la vie de Jésus. Il traverse la mort comme Israël la mer. C’est lui qui meurt, voulant noyer le mal de l’humanité et de la création, portant le péché du monde, un poids si lourd qu’il l’entraîne irrémédiablement aux affres de l’abandon et de la mort. Un passage s’ouvre dans la mort comme dans la mer, béance de l’amour au tréfonds de l’horreur. Une vie donnée par amour. Un amour qui ne lâche personne et fait vivre. « Pas de plus grand amour. »

Jésus, confiant dans le Père. Jésus, croyant du Père. Jésus a foi dans le Père, dans « l’Esprit qui donne la vie ». Son « je crois », c’est lui. Il est l’« amen » de Dieu à l’humanité autant que le « oui » définitif de l’humanité au Père. « Je crois », immense respiration, retour à la vie.

La mer, la mort, c’est la même histoire. La libération d’Egypte, la résurrection de Jésus, la profession de foi des disciples, le baptême, c’est la même histoire. Jésus confiant dans le Père et nous en Jésus. Notre « Je crois », c’est lui. Notre « Je crois », immense inspiration, est retour à la vie. Une vie nouvelle que, convertis, nous voulons sans le mal, une vie nouvelle comme renonciation au mal, comme choix de la vie, choix du Seigneur. Nous choisissons le Seigneur (Jos 24) parce que nous choisissons la vie (Dt 30).

Ainsi Paul lisait-il le récit de la traversée de la mer. « Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Egypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. » (1 Co 10, 1-4)

08/04/2022

Un don qui fait vivre (Rameaux et passion)

On ne refera pas Jésus. Il passe son temps à table ! et encore quelques heures avant sa mort, il rassemble ses amis autour d’une table. Rien n’a été retenu du repas de la Pâque, mais seulement le pain et un peu de vin. Pas de quoi se remplir le ventre, mais ce n’est pas la question. Ce qu’on mange, c’est lui. Chose tellement étrange.

Il se donne en nourriture, parce qu’il se donne pour que nous vivions. Il se donne parce qu’il n’a rien d’autre à donner, et c’est ce qui nous fait vivre.

Alors que la violence, les guerres, les injustices tuent, encore, toujours, il se donne. Alors que nous venons communier, est-ce bien à ce don qui renverse les violences et la haine, la mort et les horreurs que nous prenons part ? Alors que nous communion, au moment d’aller voter, aurons-nous en tête ce don qui renverse le mal ?

Si pour faire mémoire de la résurrection nous partageons le pain, c’est parce qu’il n’est pas possible de suivre Jésus autrement qu’à rappeler ce don, jusqu’à ce qu’il revienne. Puissions-nous devenir ce que nous recevons, don, à sa suite, pain qui fait vivre les frères, à commencer par ceux qui crèvent.

Dans ce repas, dans ce don, dans le pain que nous recevons se joue toute la vie de Jésus, et nous nous condamnons à ne pas reconnaître le corps du Christ, non dans les saintes espèces, mais dans l’humanité. Seigneur, pitié pour ceux qui meurent et ceux qui font mourir.

 

 

- Synode de l’Eglise et grande semaine de la passion. Que Jésus n’ait pas à nous traiter d’hypocrites, l’honorant des lèvres et non avec le cœur.

- Coïncidence des calendriers. Les musulmans ont commencé le Ramadan pour se convertir ; les Juifs commémorent la libération d’Egypte cette semaine et les disciples de Jésus sa libération de la mort. Tant de monde qui prétend choisir la sainteté. Que le monde ait la vie.

- Hasard de calendrier, messe des rameaux et élections. Que Jésus n’ait pas à rougir de notre bulletin de vote.

01/04/2022

Baptisés, pourquoi ? (5ème dimanche de carême)

La préparation au baptême des petits-enfants offre à nos paroisses une occasion trop rare de rencontrer des adultes entre 25 et 40 ans. Ils ont un rapport avec la foi puisqu’ils demandent le baptême de leur enfant. Mais bien souvent, on se retrouve dans une situation de première annonce de la foi, ou quasiment.

Ainsi, nous nous retrouvons six ou sept fois par an, une dizaine de personnes dont deux ou trois membres de notre communauté pour réfléchir au sens du baptême. Je ne sais si nous autres, nous interrogeons beaucoup sur le sens du baptême. Que dirions-nous ? Qu’est-ce qu’être baptisés ? Qu’est-ce qu’être chrétiens, croire en Dieu ? Qui est Jésus pour nous ?

La seconde lecture me fait penser à la soirée de mardi dernier. Nous posions aux parents des futurs baptisés la question à laquelle ils devront répondre lors de la célébration : que demandez-vous ? Quel est le sens de votre démarche ? Et j’entends Paul répondre : « Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. » (Ph 3, 8-14)

Est-ce la réponse que nous aurions faite ? Comme telle, je ne suis pas certain qu’elle soit audible par les parents de mardi soir. Mais alors, que dirions-nous ? Une phrase, pas plus longue que celle de Paul. Qui est Jésus pour nous ? Pourquoi sommes-nous disciples ? Comment formuler cela de telle sorte que ce soit audible, compréhensible pour qui n’est pas de la tribu ? Le caté, les Ecritures, nous donnent des mots pour dire notre foi. Mais il se pourrait que, parfois, ces mots nous dispensent de nous interroger. Ils bouchent le trou de l’interrogation. Pourquoi sommes-nous baptisés ? Pourquoi sommes-nous disciples de Jésus ?

Tous, croyant ou non, nous avons entendu le nom de Jésus. Qu’en savons-nous ? Qu’en pensons-nous ? Imaginez la situation. Mardi, quinze personnes, pas toutes baptisées, pas toutes chrétiennes, pas toutes croyantes, disent une phrase sur Jésus. Ecoute. Un beau bouquet, une belle récolte de fleurs sauvages ou élevées, peut-être artificielles aussi. C’est ainsi le peuple de Dieu, le peuple que Dieu aime.

Mais alors, qu’est-ce qui fait qu’on croie, demande l’une des mamans, constatant avec tous la beauté du bouquet, étonnée comme tous de ce qui venait de se dire, surprise que tous aient ainsi pu et voulu apporter une fleur au bouquet.

Et si la manière de vivre de Jésus était digne de foi. Je veux dire, et si, en vivant comme il a vécu, « en devenant semblables à lui », nos vies et le monde s’en trouvaient plus humains, plus fraternels. Oh, Jésus n’a pas le monopole de l’humanité. Mais enfin, nous faisons confiance à Jésus pour mener notre vie. Nous le choisissons comme boussole pour nous orienter dans la vie.

Comment a-t-il vécu ? « Là où il passait, il faisait le bien. » (Ac 10, 38) Partout où il passait, le mal, il le renversait, comme l’évangile le raconte (Jn 8, 1-11). Non pas nier le mal, mais le désamorcer, le faire reculer. Installer la bonté en étant pour les autres. Homme pour les autres, il indique Dieu. A sa suite, comme lui, désamorcer le mal. Le choisir comme guide pour décider comment vivre, comment respirer. Caller notre respiration sur la sienne. Après tout, s’il est vie, à respirer comme lui, nous serons vivants, « parvenir à sa résurrection ».

Nous n’y sommes pas. Et Paul le dit : « Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. » Etre baptisés, et nous renouvellerons ce baptême à Pâques, c’est cela. « Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus. » Je cours vers la bonté de là-haut pour qu’ici, il fasse bon vivre. N’est-ce pas l’expérience de la femme de l’évangile ? Par Jésus, elle est passée de l’enfer aux portes de la mort, à la vie, à la reconnaissance, à la paix.