31/08/2022

Darmanin, Hérode, vous êtes foutus !

C'est l'évangile de dimanche dernier (Lc 14, 12-14) On n'invite pas ses amis. On invite surtout ceux qui sont précaires. Du coup, on protège même ses ennemis. L'évangile continue à contester la toute-puissance et l'arbitraire des politiques. Personne ne peut avoir la tête de son ennemi sous quelque prétexte que se soit, plaire à sa cours, plaire à ses électeurs. Il y a d'autres manières de se protéger des criminels et de les sanctionner.

« La protection offerte par l’article 3 de la Convention présente un caractère absolu. Il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation. Il en est de même y compris dans l’hypothèse, où comme en l’espèce, le requérant a eu des liens avec une organisation terroriste. » Cour Européenne des Droits de l'homme, 30 08 2022. 

La France condamnée pour l’expulsion de deux Tchétchènes
La Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux arrêts, mardi 30 août, dans lesquels elle estime que la France a violé la Convention européenne des droits de l’homme en les exposant à la torture et à des traitements inhumains et dégradants.
Journal Le Monde


 

26/08/2022

Où voir Jésus ? La dernière place - Lc 14, 7-14 (22ème semaine du temps)

Il est malin, Jésus. Il a bien vu comment cela fonctionne. Pour avoir les bonnes places, il ne faut pas trop jouer des coudes, surtout si on n’a pas tout à fait les moyens. On se fait trop d’ennemis ! Mieux vaut se la jouer modeste, jusqu’à sur-jouer l’humilité, histoire d’être un minimum remarqué. L’anomalie de ce que nous ne sommes pas à la place qui nous revient sera vite corrigée par ceux qui ont le souci des convenances. « Mon ami, monte plus haut ! »

La fausse humilité est une forme commune de l’orgueil et de la vantardise. Jésus donnerait-il aux intrigants non des idées ‑ ils n’en ont pas besoin ! ‑ mais une caution ? Jésus aurait-il ainsi procédé ? Il se serait bien raté. Parce que finir sur une croix, pour celui qui est fils de Dieu, c’est un échec, la faillite d’un système.

Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas feindre de prendre une place qui n’est pas celle que leur rang ou la société leur assigne. « Supposez qu’entre dans votre assemblée un homme à bague d'or, en habit resplendissant, et qu’entre aussi un pauvre en habit malpropre. Vous tournez vos regards vers celui qui porte l’habit resplendissant et vous lui dites : "Toi, assieds-toi ici à la place d'honneur." Quant au pauvre vous lui dites : "Toi, tiens-toi là debout", ou bien : "Assieds-toi au bas de mon escabeau." » (Jc 2, 2-3)

J’y vais un peu fort avec la citation de Jacques ? Mais non, c’est exactement ce que nous faisons dans la société. Les migrants sont traités comme moins qu’humains. Les pauvres sont communément soupçonnés de tricherie aux allocations sociales. Les détenus vivent, c’est bien connu, au Club-Med 365 jours par an. Les habitants des cités et des quartiers déshérités sont incapables de se remuer, les trafics rapportent davantage, etc. Nous n’accordons aux pauvres aucune place, pas même la possibilité de rester debout. Nous les écrasons, en faisons notre marchepied. N’est-ce pas de pomper les pays du Sud que nous sommes riches ?

La honte d’être pauvre. La honte d’être condamné. La honte de ne pouvoir inviter des copains à la maison. C’est à cette hauteur que s’entend le propos de Jésus. C’est à cette hauteur, « au très-bas », qu’il s’est mis. La croix, une faillite, un échec. Il n’avait pas grand-chose, et il a tout perdu. « A celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a » (Lc 19, 26)

Pourquoi choisir la dernière place ? Non par humilité. Mais pour y rencontrer celui qui prend systématiquement cette place, Jésus.

En prison, avec les migrants, je vous le dis, on rencontre Jésus. Non que j’identifie telle personne avec Jésus. Les migrants, les détenus sont comme nous tous, des salauds aussi. Mais dans la rencontre qui dépasse l’étiquette, dans la rencontre des personnes et non de leur statut, on touche Jésus. En prison, avec ceux qui n’ont rien, avec les migrants, on ne cesse de rencontrer Jésus. Certes, certaines de ces personnes sont des saints ‑ je pense en particulier à tel migrant, mais aussi à tel détenu qui fait de sa cellule un lieu de paix et de fraternité au milieu de la coursive ‑ mais telle n’est pas la question. Stop à la starification de la sainteté !

En prison, avec les migrants, avec les pauvres ‑ je pense à la retraite Pierre d’Angle, fraternité quart-monde ‑ dans la rencontre de personne à personne, dans l’accueil des personnes, à se laisser accueillir aussi, à partager seulement un même lieu, un échange de paroles, c’est Jésus qui est là. Je vous le dis, on le touche, on l’étreint. Non pas comme une apparition, magie et merveilleux que les pseudo-spirituels lisent chez les mystiques – « Je suis le Jésus de Thérèse », dit l’enfant à la sainte d’Avila ‑, mais dans son corps, dans sa chair.

Nous sommes si nombreux à dire que l’on ne voit pas Jésus. Mais si nous désertons les lieux où il se trouve, si jamais nous ne fréquentons les lieux où il se tient, nous ne risquons pas de le rencontrer. Ce n’est pas dans l’eucharistie que nous rencontrons le Seigneur, ou alors seulement sacramentairement. Il est présent chez les frères, à commencer ceux de sa prédilection, les pauvres. Le lieu de la révélation, c’est l’échec de la croix. C’est là et là seulement que Dieu se montre. Ceux qui rêvent d’une religion de la réussite, celle du Dieu tout-puissant et celle du croyant, il vaut mieux choisir l’Islam.

Mais alors, nous dira-t-il de monter plus haut ? C’est déjà fait. « Vous connaissez, en effet, la libéralité de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu’il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté. » (2 Co 8,9) Nous sommes élevés dès que nous le rencontrons. Sa rencontre est une invitation « Amice ascende superius ! » car à tous il n’a de cesse de donner la vie, de nous faire vivre grand. Ce n’est pas une meilleure place qu’il nous attribue, mais la meilleure, il nous prend avec lui (2 Th 4, 13, Mc 5, 40 ; 9, 2, 14,33). 

25/08/2022

Comment dire ?

Pédocriminalité dans l'Eglise ?

Peut-être bien.

Una escultura del papa Francisco tirando a un bebé causa polémica en México

Certains crieront au scandale. Mais où est le scandale, dans la sculpture ou dans la pédocriminalité des clercs et la dissimulation par l'institution. C'est comme Piss Christ. L'art aide à ouvrir les yeux.

Un article en espagnol.


20/08/2022

L’idolâtrie du succès

« Il suffit que la figure du vainqueur s’impose visiblement avec un éclat particulier pour que les masses succombent à l’idolâtrie du succès. Elles deviennent aveugles au juste et à l’injuste, à la vérité et au mensonge, à la bienséance et à la vilenie. […] Le succès devient le bien tout court. Attitude qui n’est authentique et pardonnable que dans un état d’ivresse. Une fois qu’on est dégrisé, on ne s’y maintient qu’au prix d’une profonde fausseté intérieure, en se mentant délibérément à soi-même. »

D. Bonhoeffer, Ethique 6, 75 (dans l'édition de 1965, p.53)

Je pense en lisant ces lignes au « succès » des entreprises ecclésiales et pastorales qui veulent réussir manifestement au lieu de suivre l’obscure humilité du chemin à la suite d’une vérité qui ruine et dépossède.

 

Tonnerre (89) 1454

 

19/08/2022

C'est quoi, la grâce ? (21ème dimanche)

« Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » Comme elles sont dures ces paroles. Quelle place laissent-elles au pardon, à la miséricorde ? « Nous avons mangé et bu en [s]a présence, et [il] a enseigné sur nos places. »

Nous savons bien que notre vie n’est pas à la hauteur. Dieu en Jésus ne se fait-il pas proche des pécheurs que nous sommes ? « Eloignez-vous de moi. Je ne sais pas d’où vous êtes. » La vie avec le Maître nous est-elle fermée, définitivement ? La vie avec le Maître serait-elle récompense, ou du moins, ceux qui commettent l’injustice en seraient-ils privés ? La parabole de Lc 13, 22-30 nous ramène-t-elle à la théologie de la rétribution ? Et dire que Luc est appelé l’évangile de la miséricorde. Où est le salut par la grâce seule, le salut par Jésus – qui veut dire Dieu sauve ! « Pour les hommes c’est impossible », seul le don par Dieu de lui-même est vie.

La Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification signée par les Catholiques et les Luthériens à la veille de l’an 2000, puis par les Méthodistes, les Anglicans et les Réformés, reconnaît que nous avons la même foi. « Notre foi commune proclame que la justification est l’œuvre du Dieu trinitaire. […] De ce fait, la justification signifie que le Christ lui-même est notre justice, car nous participons à cette justice par l’Esprit Saint et selon la volonté du Père. Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes. » (Numéro15 que les trois suivants explicitent.)

Si tout n’est pas dit, ce qui est dit affirme « la fonction spécifique du message de la justification. » Le luthérien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), devant la compromission de son Eglise avec le nazisme, semble lui-même gêné par le sola gratia. La grâce seule, oui, mais pas à n’importe quel prix, pas une grâce facile. Il parle de « la grâce qui coûte ». N’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Comment ce qui est gracieux aurait-il un prix ? Mais quand l’injustice règne ‑ le contexte est celui du Troisième Reich ‑ comment pourrait-on s’en remettre à la seule grâce de Dieu, inconditionnelle, au point de n’avoir cure de ce que nous faisons de nos frères, de leur vie, de la nôtre ? La sola gratia n’efface pas l’antique question : « qu’as-tu fait de ton frère ? » Quand coûte d’obéir à la voix de sa conscience, on perçoit que la grâce ne peut être légèreté morale, encore moins collaboration coupable.

Et pourtant, la grâce est gratuite. Elle est don, elle est Dieu qui se donne, inconditionnellement. Et que pourrait-il faire d’autre, être d’autre ? Mais qu’est-ce que vivre en grâce ? Qu’est-ce qu’être en état de grâce ? Sans doute aucun autre chose qu’une affaire qui concerne l’après la mort. Evidemment autre chose qu’une affaire de récompense, de rétribution. C’est ici et maintenant que Jésus est notre salut, notre justice, qu’il nous rend justes. Ici et maintenant, Dieu se donne ; il est possible de vivre en grâce. C’est le seul sens du don qu’est Dieu, de la grâce. Mais à manger et boire avec lui tout en commettant l’injustice, nous ne le connaissons pas, nous détournons les autres de le connaître par contre-témoignage.

La grâce ‑ je le redis, car on use de ce mot à tout bout de champs, sans jamais dire ce qu’il signifie, Dieu qui se donne ‑ ouvre au Père et par conséquent aux frères. La grâce et la justice, c’est la même chose. Dieu gratuitement rend juste, justifie. La grâce sans la justice, cela n’existe pas parce que la grâce, le Dieu qui se donne, c’est la justice. Dieu est justice. Comment ne serait-il pas justice celui qui fait justice ? « C’est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est Justice et Rectitude. » (Dt 32, 4) « Quand j’appelle, réponds-moi, Dieu, ma justice ! » (Ps 4, 2) Le descendant de David se nomme (Je 23,6) : « Le-Seigneur-est-notre-justice ».

La justice de Dieu est ce qui rend juste, justifie ; elle est salut. C’est dans la justice pratiquée que l’on rencontre Dieu, notre justice, qu’il nous connaît, qu’on le connaît, même à n’en avoir jamais entendu parler. « On viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Vivre en grâce avec le Père et les frères est un don, celui de la justice, que nous recevons de celui qui est notre justice, notre paix, don de lui-même pour qu’on vive. (Jn 10,10)