1. Histoire de la rédaction, un texte entre
résistance et nécessité
2. Evaluation
Le 7
décembre 1965, la déclaration sur la liberté religieuse, Dignitatis humanae, un des textes les plus
courts du concile, est adoptée par 2308 voix pour, 70 contre et 8 nulles. La
quasi-unanimité (ni la plus importante ni la moindre du concile) ne laisse rien
deviner de la vigueur des débats.
Constituée
principalement par le Coetus
internationalis (dont Mgr Lefebvre est un des animateurs), la
quasi-totalité des évêques Espagnols et nombre d’évêques de la Curie et
d’Italie – le catholicisme, grâce aux concordats, est religion d’Etat en
Espagne et en Italie – une minorité déploya une stratégie acharnée et pas
toujours loyale. D’après elle, l’Etat doit être catholique pour promouvoir la
vraie religion ; il ne peut que tolérer les autres religions. En effet la
vérité a tous les droits quand l’erreur n’en a aucun. Il faut condamner
l’athéisme et le communisme et exiger des Etats non catholiques la liberté de
culte pour l’Eglise. Il faut suivre l’enseignement de Pie IX qui, en 1864 dans
l’encyclique Quanta cura, fustigeait
« cette opinion erronée, funeste au maximum
pour l’Eglise catholique et le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire
XVI [Mirari vos 1832], d’heureuse
mémoire, qualifiait de "délire" : La liberté de conscience et
des cultes est un droit propre à chaque homme. »
Sous la
responsabilité du secrétariat pour l’unité, une commission s’était mise au
travail fin 1960 avec Mgr De Smedt, évêque de Bruges. Son texte cependant ne
fut pas retenu, et pour que la liberté religieuse trouvât place dans le
concile, on en fit un simple chapitre du décret sur l’œcuménisme. En effet, si
l’Eglise catholique prétend entrer en dialogue avec les autres Eglises elle doit
leur reconnaître la liberté.
C’est en
novembre 63, lors de la deuxième session, que Mgr de Smedt ouvrit la discussion
en montrant que la liberté religieuse ne s’oppose pas à l’enseignement de
l’Eglise dès lors qu’on replace les condamnations du XIXe siècle dans leur
contexte. De surcroît, Jean XXIII, à la suite de Léon XIII (1835), Pie XI (1931
et 1937) et Pie XII, affirmait dans son encyclique Pacem in terris (n°°34, 1963) que la
dignité de la personne humaine exige la liberté, y compris religieuse. La
discussion qui dura une semaine ne donna lieu à aucun vote sans que l’on sache
bien pourquoi, comme si on avait discrètement voulu enterrer le sujet. On
reprocha à Paul VI d’avoir laissé la minorité l’emporter au point que l’on se
demanda s’il soutenait le texte. En avril 64, fut décidé qu’il y aurait un
document autonome sur le sujet.
La liberté
religieuse était reconnue par plusieurs pays, par la déclaration des droits de
l’homme de 1948 et par le Conseil Œcuménique des Eglises. L’épiscopat des Etats
Unis y était acquis : la candidature à la présidence de Kennedy, un
catholique, en 60, l’avait obligé à amender la position officielle de l’Eglise
et à exposer que l’Etat, séculier, était incompétent en matière religieuse. En
avril 63, l’archevêque de New-York fit nommer comme expert le père J. Courtney
Murray, jésuite, interdit de publication depuis 55.
L’Eglise ne peut paraître opportuniste à réclamer la
liberté religieuse seulement quand elle n’a pas de quoi s’imposer. Elle doit
fonder son enseignement dans la révélation. Or les Ecritures
explicitement n’en disent rien même si elles content la libération du peuple de
la mort et du mal[1]. Il faut aussi argumenter de façon purement rationnelle
puisque l’on ne s’adresse pas qu’à des chrétiens. Une conception de l’homme
est en jeu (n° 9). Fonder la liberté religieuse dans la dignité de la
personne humaine (mots-titre de la déclaration) ne veut évidemment pas dire que
l’homme n’a pas de devoir ; par nature, il est tenu de chercher la vérité,
ainsi que le dit Mgr Ancel, auxiliaire de Lyon, laquelle ne peut être reconnue
que par un libre assentiment (n° 3). L’acte de foi lui-même est un acte
libre (n° 10). En outre, la liberté religieuse
ne vise pas que des individus mais les religions doivent pouvoir être libres.
Il faut donc porter l’argumentation à un niveau politique, constitutionnel,
promouvant la séparation des religions et de l’Etat. Les Etats-uniens en
étaient convaincus plus que tous.
Des
péripéties tendirent, mi-octobre 64, à empêcher la poursuite du travail. Le
texte fut pris dans la tourmente de la « semaine noire » en novembre
et ne put faire l’objet d’un vote. Cela se révéla a posteriori une chance pour
un document qui avait besoin d’améliorations. Durant la dernière session, la
minorité répéta à l’envi ses arguments, faisant de l’obstruction, brandissant
le spectre du relativisme, de l’indifférentisme, voire de l’athéisme auquel
menait le texte. Plus rien n’endiguerait le prosélytisme des protestants !
La minorité occupa tellement le devant de la scène
que l’on finit par croire que la déclaration devrait être abandonnée ;
ne pouvant recueillir suffisamment de voix, elle resterait à l’état de projet,
de texte avorté.
Cependant, à
partir de la troisième session, l’engagement de
Paul VI en faveur du texte était clair. Lors de la dernière session, il
était indispensable, alors qu’il devait aller à l’ONU en octobre, que le
concile se soit explicitement déclaré pour la déclaration. L’intervention de
Mgr Beran, évêque de Prague, qui participait pour la première fois au concile,
sorti tout juste de prison, témoin de l’Eglise de l’autre côté du rideau de
fer, joua un rôle déterminant. Un premier vote eut enfin lieu (seulement 224
contre). Pour rallier le plus grand nombre, on avait pensé qu’il fallait
demander si les Pères étaient prêts à prendre le texte qu’on leur proposait
comme base de la rédaction définitive que l’on améliorerait « selon la
doctrine catholique de la vraie religion » ? Cette précision laissait
penser que le texte de base n’était pas conforme à cette doctrine. Ne
reconnaissait-on pas la légitimité du soupçon d’orthodoxie que la minorité
faisait peser sur le texte et sur l’ensemble de l’œuvre conciliaire ?
Jusqu’au dernier moment, on retravailla le texte, tenant
compte des objections. Cela eut l’inconvénient de l’allonger, de le rendre
redondant et pas parfaitement structuré. On était
conscient, que la déclaration était autant « la plus nette rupture avec la
tradition issue de Pie IX »[2] qu’une nécessité pour
l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui[3].
2. Evaluation
La
déclaration constitue l’illustration sans doute la plus claire d’un changement
dans la conception que l’on se fait de la vérité dans l’Eglise. Ce changement
fut conflictuel durant le concile et n’est toujours pas apaisé. On voyait bien
que les aspirations du monde devaient être comprises comme signe des temps,
interpellation du Royaume, qui oblige l’Eglise à réinterpréter son enseignement
(n° 1). On n’avait sans doute pas conscience du renversement de la manière
de penser, ou comme le disait en 2009 C. Theobald que « personne n’est en « possession » de la vérité,
même pas Jésus et encore moins « l’unique vraie religion » […]
« L’histoire est un lieu théologique ». La vérité du dogme en est
affectée.
Une simple
déclaration engage-t-elle la foi ? Quel est son statut dogmatique ?
Le concile, à la demande de Jean XXIII, a refusé d’exprimer son enseignement en
termes de canons et d’anathèmes. Un nouveau genre conciliaire s’écrit, non plus
juridique mais pastoral, requis par la mission de l’Eglise et la conscience
nouvelle du statut de la vérité, de l’historicité. « Pour ceux qui ont été
habitués à chercher partout des énoncés infaillibles, il y aura longtemps un
certain malaise, voire un mépris caché pour ces doctrines auxquelles on apporte
″seulement″ un assentiment religieux. » (P. Delhaye, DTC tables)
[1] « Ne
se voulant pas Messie politique dominant par la force [Mt
4,8-10 ; Jn 6,15], il préféra se dire Fils de l’Homme, venu « pour
servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45). […] Il
reconnut le pouvoir civil et ses droits […], mais en rappelant que les droits
supérieurs de Dieu doivent être respectés : « Rendez à César ce qui
est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,21). Enfin, en achevant sur la croix l’œuvre de la
rédemption qui devait valoir aux hommes le salut et la vraie liberté, il a
parachevé sa révélation. Il a rendu témoignage à la vérité [Jn 18,37], mais il
n’a pas voulu l’imposer par la force à ses contradicteurs. Son royaume, en
effet, ne se défend pas par l’épée [Mt 26,51-53 ; Jn 18,36], mais il
s’établit en écoutant la vérité et en lui rendant témoignage, il s’étend grâce
à l’amour par lequel le Christ, élevé sur la croix, attire à lui tous les
hommes [Jn 12,32]. » DH 11.
[2]
Réflexion de A. Outler, observateur méthodiste. Dans son Journal (26 10 65), Congar note : « On ne peut pas nier
que [la déclaration] ne donne une autre
doctrine que celle du Syllabus. Mais qui
oserait tenir telle quelle cette doctrine et celle de Quanta cura ? »
[3] « Ce
document est capital. Il fixe l’attitude de l’Eglise pour plusieurs siècles. Le
monde l’attend. » (Paul VI à Mgr De Smedt d’après le Journal de Congar (01 10 65) corroboré par d’autres sources.)
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