Marchands du temple 1075-1099 Evangiles de Polirone 84r |
La conception virginale ne joue aucun rôle dans la suite du récit de Luc au point que Marie et le père de l’enfant n’y sont jamais renvoyés ; ainsi, au chapitre suivant, lorsque Jésus désarçonne ses parents qui demeurent avec leur incompréhension. Pour les personnages du récit, l’annonciation faite à Marie semble n’avoir pas existé, du moins ne constitue-t-elle pas une réponse à tout. Le lecteur a son tour ne comprend pas. Luc sait bien ce qu’il fait. La conception de l’enfant n’avait pour lui rien d’extraordinaire et ne valait pas comme une explication de ce qui allait arriver dans la suite de son texte.
L’épisode de Jésus avec les docteurs amplifie le Magnificat. Comme l’enfant renverse de leur chaire les docteurs, les puissants sont déposés de leur trône, non par le fracas d’un dieu vengeur mais par la faiblesse d’un gamin. Cela ne se voit guère, dans un cas comme dans l’autre, et l’on a bien besoin de l’extraordinaire et du merveilleux narratif pour éveiller l’attention. Après le pouvoir et la richesse, le savoir est sens dessus dessous, et pas n’importe quel savoir, celui de la religion ! Dès l’ouverture de l’évangile, l’enfant fait problème, est problème. Angoisse. La réaction sera violente, lors de la passion : responsables politiques et religieux s’acoquineront pour décider de le supprimer.
La conception virginale et la double nature ne sont pas les prémisses d’un syllogisme, système de pensée, théorie religieuse apodictique, dont tout ne serait que la conséquence. Une fois posées, il n’y aurait plus de questions, plus rien à chercher et… plus rien à trouver non plus. Le texte au contraire insiste sur la recherche. Le verbe revient quatre fois, auxquelles il faut ajouter deux fois trouver et constater que l’énigme ne trouve pas de solution. Peut-être cela se pourra-t-il à la fin de l’évangile, mais c’est ici bien trop tôt. La résolution ne résidera pas dans l’extraordinaire merveilleux d’un Deus ex machina, celui de la résurrection, ni dans une conception du monde, mais dans le style de vie dont Luc narre l’enfance.
L’évangile installe les lecteurs comme Marie et le père de l’enfant dans l’incompréhension. Dieu, n’est pas le principe explicatif, « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », « C’est écrit, Mektoub », disent les musulmans ; « fatum » disaient les romains. Ce qui se joue avec Jésus n’est pas une explication du monde, un système politico-social ou religieux, mais l’insurrection de la liberté, libre d’aimer et de vivre, quitte à en mourir. La conception de Dieu, toute puissance projetée dans le ciel, est renversée.
Lorsqu’un enfant meurt, Dieu en a le souffle coupé ; lorsqu’un homme agonise dans l’épreuve, il en a mal au ventre à rendre l’âme. Si Dieu en effet n’est pas aussi humain que nous qui le sommes si peu, comment est-il Dieu avec nous, Emmanuel, Dieu qui sauve, Yeshoua’, Dieu en la chair, en l’histoire ? Rien n’est écrit parce que Dieu n’est pas l’ordonnancier du monde, le grand horloger. On reste en butte aux angoisses d’une recherche comme les parents de Jésus. Si nous sommes dévots du sens, nous ne le sommes pas du Dieu de Jésus. (Cela ne veut pas dire, évidemment, que l’évangile serait inintelligent, insensé).
Dieu est certes provident ; cela ne signifie pas qu’il prévoit tout, mais qu’il se donne totalement. Vivre est le fait d’un don nommé Dieu. Il n’y a pas de divin ordonnateur, planificateur, mais nous vivons de tout recevoir. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » Croyants malgré le non-sens et dans l’angoisse, nous cherchons celui qui manque.
Détacher Dieu du sens c’est tuer (une certaine idée de) Dieu, vivre dangereusement, renoncer aux repères qui ne sont que nos idéologies canonisées, divinisées. Est-ce ce que Jésus raconte aux docteurs de la loi ? Détacher Dieu du sens c’est se libérer du fatum, mektoub, rationalisations, c’est embrasser celui qui court les collines à la recherche de l’aimée, sans pourquoi, folie de l’amour. Il aime, que la vie soit sensée ou non, qu’il soit sensé ou non d’aimer, parce que c’est ainsi et ainsi seulement que la vie est jubilation, divine ; parce qu’ainsi la vie, c’est lui, parce qu’ainsi seulement, vivre a la dimension de l’infini.
Jésus refuse d’enfermer son Père dans le tombeau d’une lettre rendue morte par des pratiques et des normes, lorsque l’on sait la foi et la vie aussi solidement que la beauté du temple qui arraisonne le divin. On comprend que les parents de Jésus soient perdus, ne comprennent rien. Ils souffrent l’angoisse à chercher, mais ils vivent, ils se démènent à prendre soin. Rien d’une vie à la folie n’arrête Jésus. Entre la vie dangereuse ou la quiétude mortelle, il faut choisir. « Choisis la vie ! » Toute histoire d’amour, toujours trop tôt finie, sait cela. C’est la vocation des disciples Jésus, surtout ceux qui veillent sur lui, les baptisés.
Est-ce qu'on peut quand même, même en gardant l'incompréhension des parents de Jésus, tenir l'hypothèse de lecture autour de perte (un genre de mort), trois jours de recherche dans le deuil et l'angoisse, et retrouvailles "aux affaires de son Père". Et quel autre lieu que le Temple, à ce moment pour être aux affaires du Père. Expérience de mort et résurrection fondatrice pour ces parents. Prémices pour eux du mystère profond de l'enfant qu'ils élèvent ?
RépondreSupprimerIl faut se garder de psychologiser l'évangile. Mais oui, les trois jours sont indices résurrectionnels.
SupprimerFaut-il en conclure que notre incompréhension est celle du samedi saint ? Que la foi est vécue sous le mode du samedi saint, ou plutôt que la foi, c'est la relation avec Dieu telle qu'elle peut exister le samedi saint ? Je serais prêt à le penser