25/04/2025

Mortelle course au merveilleux, Jn 20 (2ème dimanche de Pâques)

L'incrédulité de Thomas sublimée par le tableau du Caravage

Les récits d’apparition ne sont pas des histoires merveilleuses qui prouveraient la résurrection. Il faut comme tous les textes, les prendre à la lettre pour n’être pas fondamentaliste. On comprend qu’ils sont une stratégie pour dire l’impossible et non un reportage en direct de l’intervention d’un Deus ex machina. Le miraculeux surnaturel ne rend aucune puissance à celui qui en a manqué lorsque son fils agonisait sur la croix. Dès le début du chapitre on est prévenu. Le disciple que Jésus aimait voit et croit. Mais que voit-il ? Rien, puisque le tombeau est vide. Que croit-il ? Pas grand-chose ; il rentre chez lui et on en reste là.

Madeleine ne sait pas qu’elle parle à Jésus même si elle a bien raison de le prendre pour le jardinier, celui des premiers matins du monde, qui nomme toute chose et l’appelle elle encore, mais elle seulement, par son nom : Maria. Son annonce aux disciples ne provoque rien. Il n’y a toujours pas de foi, si ce n’est celle de Madeleine.

Comment est-il possible de voir sans reconnaître celui avec qui, trois jours avant, on partageait encore le repas ? Si est heureux celui qui croit sans voir, ce chapitre ne peut pas raconter pas des visions ! Il se contredirait. Et d’ailleurs, qui croit dans ce texte ? Le mot n’est employé que pour Thomas, c’est tout dire. L’échec est total, croire, ce n’est pas voir.

L’apparition désigne une manière de voir la réalité, telle qu’on la découvre dans la confiance et l’amour. Avec ceux que l’on aime, quand on pratique la bonté, on voit autre chose. L’apparition n’est pas une vision miraculeuse, probante, car s’il y a preuve il n’y a pas de confiance. La preuve tue la foi. S’il y avait des preuves de la foi, ce ne serait pas la foi ‑ ce qui ne signifie pas l’irrationnel de la foi, mais sa gratuité et son caractère ab-solu.

Le miracle n’est la preuve du divin que chez les païens superstitieux. Les magiciens de Pharaon ont le même pouvoir que Moïse à transformer leur bâton en serpent. Si le merveilleux étonne, il endort aussi. L’idolâtrie, hier comme aujourd’hui, c’est la confiance indue et arrachée en une solution miracle, en un homme providentiel. Rien de cela n’existe sous le soleil sauf à vouloir prendre des vessies pour des lanternes. C’est curieux comme l’on est porté à croire le merveilleux et à ne pas croire le frère dans l’ordinaire des jours.

C’est pour ne pas blasphémer qu’il est impossible de lire ces apparitions comme des miracles, des interventions de Dieu dans le monde. Si Dieu en est capable, qu’attend-il en Palestine, en Ukraine, dans la région des Grands lacs et la Corne de l’Afrique, au Tibet ou au Cachemire, etc. Il est trop tard quand l’enfant est mort de faim, quand la femme est violée, quand l’injustice triomphe. Soit Dieu peut intervenir et s’il ne le fait pas, comment pourrions-nous le croire, mettre en lui notre confiance ? Soit il ne le peut pas, et réclamer son action est blasphème, telles les moqueries à la croix : « sauve-toi toi-même si tu es le fils de Dieu ».

Il faut dire, sous peine de blasphème, que Dieu n’est jamais côté puissance, jusque dans la résurrection. Il se range parmi les victimes et ne cessent d’agoniser avec elles. Ainsi, au plus profond de la fosse, une résurrection est possible. Notre rêve de le voir intervenir dénonce notre infantilisme à croire au Père Noël : Mon papa, il est gendarme !, rêve de toute puissance projeté dans le ciel. A moins que ce rêve ne dise que définitivement nous nous situons du côté des puissants, n’ayant rien à faire de qui meurt écrasé.

On comprend l’importance du récit sans et avec Thomas qui vient assurer qu’ils n’ont rien vu. « Heureux qui croit sans avoir vu. » Et le texte déjoue encore la matérialité tout en affirmant la résurrection de la chair, matière humaine. Le corps se joue des huis ! Les repas partagés sont parabole du Dieu Père, banquet eschatologique.

Croire, c’est partager le pain et la vie comme Jésus et l’on voit ce que l’œil n’a jamais vu, les pauvres relevés, la résurrection de la chair. Ce ne sont pas des miracles, coups de théâtre, mais ce que la confiance permet de voir. Thomas dans le trou des plaies ne peut voir que la pourriture de la mort. Nous lisons les Ecritures non pour enregistrer des miracles, une histoire sainte et merveilleuse, mais pour que nos vies soient transformées, converties par lui, avec lui et en lui. La visite au tombeau de Pierre et du disciple que Jésus aimait ne les convertit pas. On peut faire des Ecritures un tombeau ! Les récits d’apparition invitent à vivre.

« On ne peut pas enfermer [le Christ] dans une belle histoire à raconter, on ne peut pas en faire un héros du passé ou penser à Lui comme à une statue placée dans la salle d’un musée ! Au contraire, nous devons le chercher, et pour cela nous ne pouvons pas rester immobiles. Nous devons nous mettre en mouvement, sortir pour le chercher : le chercher dans notre vie, le chercher sur le visage de nos frères, le chercher dans le quotidien, le chercher partout sauf dans ce tombeau. » (François, Homélie du jour de Pâques, sa dernière.)

23/04/2025

Il n'y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir (Lc 24, 13-35)

Antoine Coypel, vers 1684


 

Leurs yeux étaient retenus pour ne pas le reconnaître. Lc 24,16
 
C'est curieux, cette affaire. La forme passive est souvent une façon de désigner Dieu sans le nommer. Ce serait donc Dieu qui empêcherait, miraculeusement, la vue pour qu'à la fin la foi surgisse -surrexit-, un peu comme il avait endurci le cœur de Pharaon pour la libération de l'esclavage. Le passage de la non-foi des fils d'Israël à la foi, d'un côté à l'autre de la mer, est libération, ou la libération des fils d'Israël est passage à la foi. Il en irait ainsi avec les disciples.
 
Une autre lecture, moins convenue, plus littérale, moins allégorique, est possible. Les yeux sont retenus parce qu'ils sont fixés comme les cœurs sur ce qui n'est plus. Dans l'attachement à leurs sentiments envers Jésus, à leurs émotions, ils ne regardent pas là où Jésus pourtant n'a cessé de les conduire. Les yeux sont retenus par ce qu'ils savent déjà de lui, sa mort, au point de ne pas voir le Vivant.
La dénonciation de la cécité est habituelle dans les évangiles comme dans tant de littératures. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. N'est pas aveugle celui qu'on croit, mais plutôt celui qui se croit voyant. La guérison des aveugles par Jésus a la même sens que l'histoire de la paille et de la poutre.
C'est difficile de voir la vie. Au point que nombre d'entre nous, et même non disciples, cherchent l'extraordinaire d'un miracle, d'un sentiment d'une émotion pour se retourner et en détournent les yeux d'un ordinaire dont ils sont convaincus qu'il n'a rien de neuf à apporter.
Jésus a passé son temps à dire la force de l'ordinaire, l'aujourd'hui, la rencontre des autres, la commensalité, les routes parcourues au rythme de la marche.
Lorsqu'il rejoint les anawim, les pauvres du Seigneur, Jésus fait surgir -surrexit- un monde nouveau, la fraternité. Et l'on voit, l'on ne peut pas ne pas voir, rien n'empêche désormais de voir ce que l'on ne pouvait voir avant la rencontre, la confiance portée en l'autre, la foi portée en l'autre : avec toi le monde nouveau de la fraternité.
Nous sommes tellement convaincus que Dieu et les frères, ce n'est pas la même chose, que nous cherchons Dieu dans le silence de la prière, la méditation des Ecritures, la fréquentation des sacrements, là où il ne peut être vu, touché, entendu. Dans le silence, il n'y a qu'excitation du désir, et c'est beaucoup, désir de celui qui désespérément manque. Dans les Ecritures, il n'y a que des textes, superbes entre beaucoup, témoins d'expériences sans cesse relues, mais rien d'un coup de fil divin qui nous ferait entendre sa voix. Dans les sacrements, il n'y a que des rites, désormais laissés aux pratiques païennes, parce que le sacrement n'est pas un en soi, mais trouve son sens et son efficacité dans ce qu'il désigne.
Avec les disciples, notre conversion passe par l'accueil de l'étranger, ignare de tout ce qui s'est passé. Au lieu d'attendre un miracle, une guérison comme les disciples ahuris qui regardent le ciel et ne voient rien, il faut regarder les frères en frères, et les miracles se bousculent. "Voici que je fais un monde nouveau, ne le voyez-vous pas ?" Etranger, migrant certes, mais aussi tout ce qui n'est pas nôtre. L'étrange étranger ouvre à la nouveauté, le monde nouveau manifesté, ouvert, dans un partage d'un peu de pain. On peut faire corps avec l'étranger, la fraternité surgit -surrexit-, résurrection.

22/04/2025

Madeleine et le jardinier (Jn 20, 11-18)


 

Comme elle a raison, la femme, de le prendre pour le jardinier. Il l'est. Il nous ramène à la douceur bienfaisante du jardin d'Eden. Lui, le jardinier des origines, le nouvel Adam, la nomme. Elle est la seule qu'il nomme comme l'Adam d'argile avait fait. Aux autres, il s'adresse sans nom. Mais elle, il la nomme, et ce n'est plus l'Adam qui reconnaît son égale, mais l'humanité qui reconnaît son maître, "rabbouni !"
Histoire d'un retournement, d'une conversion. Pas seulement celle de Madeleine, mais celle de "ce que tout le monde appelle Dieu".
Dans le jardin, elle a trouvé celui que son cœur aime. Et c'est bon, très bon, dit le récit précédent. Et c'est ce à quoi aspirent toutes les fibres de notre être.
 
 
  Maurice Denis, 1895

19/04/2025

Samedi saint, plus rien

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Samedi saint, plus rien.

Un grand vide. Une blessure pour les amoureux de l’époux, les bras ouverts pour embrasser ce qui n’est plus.

En disparaissant dans la mort, non seulement Jésus, mais aussi son Dieu et père, s’effacent. Pourra-t-on les retrouver ?

Je parle loin de tout animisme, y compris celui qui s’ignore et se pratique en nos contrées, où, pour résister à la violence des deuils, on se persuade qu’ils ne sont pas morts, qu’ils continuent de vivre, avec nous, qu’ils veillent sur nous, étoile dans le ciel ou je ne sais quoi d’autre. Non, ils ne sont plus. En les déposant en terre, nos bras demeurent vides comme nos cœurs.

Un grand vide. Enfin la liturgie est-elle accordée à la foi ordinaire de tant d’entre nous. C’est moins le silence de mort que le bruit, insupportable, qui tue, occupe la place de ce, ceux, que l’on voudrait aimer. Les célibataires qui n’ont pas su ou pu trouver quelqu’un, les mariés qui ont été abandonnés et trahis. Ils sont nombreux à connaître ce manque crucifiant, grand vide, blessure.

Il y a une sorte de paix à ce que la liturgie s’accorde à la corporéité de la foi, à l’incarnation en un corps de disciples esseulés, abandonnés, errants, plus perdus que nomades.

Il y a une sorte de joie à vivre sans lui, liturgiquement, dogmatiquement, ne cessant cependant de penser à lui. C’est l’ordinaire des jours des disciples consacré par la grâce de cet unique jour ; disciples, sentinelles du désir qui soulèvent le monde.

Il se relève premier-né des morts chaque fois que des frères sont relevés, s’il est vrai qu’il est assassiné chaque fois que ces mêmes frères sont piétinés.

La tombe est scellée, Dieu demeure hors de portée. Il a déserté le ciel et la terre le retient prisonnier, porté disparu. Un chemin laisse deviner que l’on pourrait ne pas en avoir fini avec lui, qu’il n’en finit pas avec nous, le soin des frères, marcher, comme lui, Jésus, a marché.

 

Pour Fred

 

18/04/2025

Marcher comme lui, Jésus, a marché (Pâques)

 


Avant de désigner un retour à la vie, la résurrection est insurrection. Elle est certes insurrection contre la mort, renversement de la mort, mais la mort c’est la métaphore du mal, de tout ce qui nous réduit en esclave. On le sait, la résurrection est libération et la libération est le but de la mission de Jésus : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés. » « Ainsi, tu n’es plus esclave mais fils ; fils et Dieu fait de toi son héritier. » (Ga 5, 1. 4, 8)

La résurrection, c’est dans la mort, les morts que nous ne cessons d’habiter ou qui ne cessent ne nous hanter, le germe d’une autre vie, la promesse de la vie. « Ce n’est pas une vie » dit-on, jusqu’à la résignation. Non ! « O toi qui dors, réveille-toi ; lève-toi d’entre les morts, et sur toi luira le Christ. » (Ep 5, 14)

La résurrection est appel au refus de la mort, être moribond, vivre comme si nous étions morts, que nous soyons en prison, malades, au fond de la dépression, victimes d’injustice, victime de nous-mêmes, victimes des autres. « Réveille-toi, sors de ta léthargie, de ton sommeil. » Ce n’est pas le baiser d’un prince charmant mais le Dieu qui épouse l’humanité qui te relève.

La résurrection c’est pour maintenant que tu es moribond et Jésus, tel le Samaritain, te recueille dans le fossé où tu gis laissé pour mort, prend soin de toi, te mène à l’auberge où des frères et sœurs en humanité vont de requinquer. Jésus s’avance vers toi parce qu’il a lui-même été relevé, parce que son insurrection contre la violence et la haine l’a tenu, y compris brisé sur la croix et couché au creux de la grotte sépulcrale. Debout dans le tombeau, il ne pouvait tenir, se tenir, alors il est sorti, relevant tous les autres.

La résurrection, avant d’être ton retour à la vie, après ta mort, est ta vie ici et maintenant, et c’est en accueillant la vie que Dieu te donne, celle que Jésus te met sous les yeux pour que tu la voies, la désires, l’épouses que tu rends tout honneur au Dieu que tu pries. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. »

Contrairement à ce que disent Thomas et beaucoup à sa suite qui ne croient que ce qu’ils voient, nous avons mainte occasion de voir le relèvement, le soulèvement, l’insurrection pascale, la victoire de la vie. Nous voulons voir le miracle, l’exceptionnel et nous ratons le don extraordinairement ordinaire par Dieu de lui-même. C’est l’ordinaire, Dieu qui donne la vie, parce que c’est cela Dieu, parce qu’il ne sait pas faire autre chose que de se donner, de donner la vie.

Nous autres voyons en Jésus le prophète de la vie nouvelle. Mieux encore, c’est lui la vie nouvelle. C’est ce qu’il dit à Marthe au bord du tombeau : « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » (Jn 11, 25) La résurrection n’est pas pour la fin, au dernier jour, ainsi que le dit Marthe, elle est une personne qui renverse même la mort.

La résurrection c’est l’insurrection que Jésus fait au cœur des religions, lorsqu’il renverse les tables des changeurs, détruit les murs que nous ne cessons d’ériger, qui séparent justes et pécheurs, hommes et femmes, Juifs et païens, esclaves et libres. Il met le prix et conteste l’ordre social, hier et aujourd’hui. Mais qui ne sait, au fond de lui, que sa vocation est une fraternité universelle, où tous sont fils et filles ainsi que l’évangélise le Fils ? Parce qu’il dit le cœur du cœur, il est plus fort que nos morts. Insurrection pour le relèvement de tous.

Il y a mensonge à dire Jésus fils de Dieu si cela ne fait pas de nous, ici et maintenant, des fils et filles de Dieu, des vivants en fils et filles, frères et sœurs de Jésus. On se tape de confesser la résurrection et la nature divine de Jésus si nous ne marchons comme lui a marché. Vivons en enfants de lumière sur les chemins où Jésus nous conduit. Que vive en nous le nom du Père ! Voilà la résurrection.

 

16/04/2025

Le premier est dernier (Vendredi saint)

 

 

La mort de Jésus n’est pas plus traumatisante, violente, révoltante ni émouvante que beaucoup. La mort de l’enfant palestinien à Gaza sous les bombes ne l’est-elle pas autant ? Les prisonniers politiques torturés et résistants et leur haute considération de la vérité, les migrants fauchés dans leur espoir d’une vie meilleure, les personnes écrasées jusqu’à mourir par l’humiliation de ceux qui s’enrichissent à organiser la misère. Il n’existe d’ailleurs pas de bonnes ou belles morts ; seulement celles que l’on est bien obligé, résigné, d’accepter. Toutes.

C’est la vie de Jésus qui est vivifiante. Sa mort ‑ il est vrai ce n’est pas donné à tous ‑ ne l’a pas détourné de sa manière de vivre, en a été le sceau, non comme un acte plus décisif que les autres, mais comme la fidélité à tout ce qu’il a vécu. La mort de Jésus n’est pas salvifique par sa violence, son atrocité ou son injustice mais par sa vie.

Au pied de la croix, c’est l’heure. Au pied de la croix, c’est l’heure de retracer, ainsi que les évangiles, le chemin qui s’achève au Golgotha, les rencontres multiples, la volonté de se laisser habiter par autre que soi, le désir d’exister dans la mise en avant au cœur de sa propre vie, de tous les autres, à commencer par tous ceux dont la vie est massacrée. « La passion de Jésus est la conséquence de sa pratique libératrice. » (Jan Sobrino)

La vie de Jésus, c’est l’histoire à hauteur des perdants, les anawins, les pauvres du Seigneur, infréquentables. Sa vie : voir avec le cœur la misère des peuples. Miséricorde. « J’ai vu la misère de mon peuple. » Ainsi, les écrits de Paul, non comme un récit des événements « depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. » mais comme ce que cela signifie et féconde dans la vie du monde, dans la vie des disciples en vue de la transformation du monde, ferment du Royaume.

Les violences de l’invasion de l’Ukraine et de toutes les guerres et persécutions, les violences du pouvoir des milliardaires et des gouvernants condamnés pour escroquerie partout, etc., donnent a contrario à imaginer ce que pourrait être le monde s’il marchait comme Jésus, lui, a marché, passant en faisant le bien. Ainsi il a vécu son amour du Père.

Ce que l’on appelle l’amour préférentiel pour les pauvres nous saute à la figure alors que nous nous prosternons au pied de la croix. Si non, c’est simagrée, et notre foi contre-témoignage, hypocrisie. Comment pleurer Jésus quand l’on se rit des pauvres, des victimes ?

On crie vers Dieu quand tout va mal ; ce n’est pas que nous n’aurions d’autre solution que le surnaturel magique. Mais dans la vie de Jésus et de ceux qui sont ses disciples ‑ qu’ils le sachent ou non, le confessent ou non ‑ un accueil inconditionnel est offert aux parias. Il n’est personne, pas même le plus défiguré des défigurés qui échappe à la bonté de Jésus.

La vénération de la croix est espérance d’un monde qui prend soin des petits : s’ils sont respectés, tous le seront. Cette espérance est rendue sensée parce ceux qui, à cause de Jésus, même sans n’en rien savoir, accueillent les rejetés comme des frères et sœurs.

C’est le style de Jésus, disparaître derrière les derniers. La vénération de la croix n’est pas dévotion mais politique et conversion. Le premier est dernier et les derniers vivent. Le premier, Dieu, est dernier.

 Christ aux liens, Beaune, Hôtel-Dieu, salle des pauvres, vers 1500