12/09/2025

Faire une croix dessus (La croix glorieuse)

Nous fêtons un événement sans fondement historique, la découverte de la croix par Hélène, la mère de Constantin. A la fois, se dit l’historicité implacable de notre fois : il est mort sur la croix, et l’imaginaire idolâtre qui a besoin de voir, matérialiste, là où s’ouvre au contraire la fin de toute représentation : celui en qui habite la plénitude de la divinité meurt.

Or « ce que tout le monde appelle Dieu » est immortel, éternel. Prêcher un messie crucifié, ne rien vouloir savoir d’autre (Cf. 1 Co 1, 23 et 2, 2) c’est balafrer et mettre en pièce toute idée de Dieu. Prêcher un christ crucifié est sacrilège. Et les chrétiens, aujourd’hui encore, ne sont pas à la hauteur de la Bonne nouvelle incarnée par Jésus. Le renversement est d’une telle violence, iconoclaste, chasse aux idoles, révulse à ce point les conceptions de l’humanité à travers celle du sacré, que les disciples ne veulent s’y rendre. Constantin et sa mère, en vue de la stabilité de l’empire et du monde, donnent à adorer une relique inventée. Elle ne le serait pas, qu’il en irait de même : nous voulons des signes, une sagesse, un ordre du cosmos, du sens, un monde cohérent, habitable. Comme cela n’existe pas la souffrance et la mort rendant le monde insensé, on invente une histoire. Mensonge de l’idole.

« Alors que les Juifs réclament des signes, et que les Grecs recherchent la sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. »

Paul a la vive conscience de la rupture théologique et théologale. Tout ce que l’on pense habituellement de Dieu, tant dans le judaïsme que dans les religions dites païennes, mais aussi dans le christianisme, doit être mis sens dessus-dessous. La folie est sagesse. Dieu n’est jamais ça. « Pas ça, pas ça. » Chaque fois que nous pensons tenir une relique de la vraie croix, le suaire de Turin, un miracle à Lourdes ou en prison, nous nous trompons. Destruction radicale des idoles, pas tant les représentations peintes ou sculptées que le fruit de l’imagination et de la pensée, idoles conceptuelles, y compris dogmatiques et théologiques.

Si les disciples de Jésus, au nom de Jésus, ont tué, c’est bien la preuve qu’ils sont idolâtres, au service de la puissance, d’une possession, pour être riches, supprimer toute forme de contestation, légitime ou non, asseoir un ordre du monde dont ils seraient bénéficiaires quand bien même cela serait injustice et meurtre. On ne peut envisager la vérité de l’évangile en faisant comme si les pages sombres, scandaleuses, de l’histoire des chrétiens n’existaient pas ou relevaient de l’histoire ancienne. Nous ferions de l’Eglise une idole de plus, et plus dangereuse encore, car lorsque l’institution est idolâtrée, c’est la tyrannie.

La croix marque d’un grand x ce à quoi nous tenons, elle le barre. Et c’est ainsi que Jésus peut dire, ainsi que nous l’avons entendu dimanche dernier : « celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » Ce n’est pas d’abord une question de possession, mais de vérité, de vérité de Dieu et de l’humanité.

On dira : ce que vous affirmez avec tant de conviction, ne devez-vous pas vous aussi y renoncer ? Oh si, certainement. Pour une raison morale qui devient de suite une condition de la vérité. La vérité sans la charité est mensonge et crime. Ainsi, « le dialogue interreligieux ne vise pas à changer la religion de quelqu’un. Il s’agit d'écouter, de comprendre et de respecter. Il s’agit d'aimer l'autre et de respecter ce qui est au cœur de son âme et de son esprit. Il s'agit d'instaurer la confiance et d'apprendre les uns des autres afin de s'enrichir mutuellement. »

Renoncer même à ce qui constitue la chasse aux idoles pour non seulement ne pas tuer, mais pour se tenir dans la vérité qui n’est jamais un contenu, un dit, mais une existence ajustée. La croix et son renoncement ne sont pas notre destruction, mais au contraire le chemin vers le Dieu plus grand qui fait toutes choses nouvelles, nous y compris.

Renoncer à tout laisse assurément dans le flou. Or, comme tout ce que nous affirmons n’est jamais « ça », rien de grave. Nous aurons juste cessé de prendre nos rêves pour la réalité. Non que la vérité n’existe pas mais personne ne l’exprime. Non que l’on pourrait dire n’importe quoi, mais ce que l’on dit n’est jamais ça. Il nous revient de citer Jésus en acte. Nous trouvons en sa vie des gestes et des mots qui, quand nous renonçons à ce à quoi nous tenons le plus, conduisent à la vérité.

 

 

 

 Rubens, 1613, Osenat commissaire priseur

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