20/06/2025

Eucharisto ! (Le corps et le sang du Seigneur)


La basilique Sainte-Sabine, à Rome, conserve un portail de bois sculpté contemporain de sa construction, vers 430. L’un des panneaux rapportent trois épisodes de la vie de Jésus identifiés avec certitude : la guérison de l’aveugle-né, les noces de Cana et la multiplication des pains. Les spécialistes parlent de trois miracles de Jésus. L’un ou l’autre pensent qu’il ne s’agit pas d’un aveugle, mais de Madeleine avec le jardinier près du tombeau.

Quelle est l’unité des trois scènes ? Deux sont décidément eucharistiques, mais pas la troisième. Mais faut-il avoir une drôle de conception de l’eucharistie pour ne pas voir qu’il ne s’agit ni de miracles ni de l’eucharistie, mais seulement ‑ si j’ose dire ! ‑ de la résurrection ? Faut-il que notre théologie soit déficiente pour ne pas comprendre que l’eucharistie est affaire de résurrection ? Faut-il ne jamais avoir écouté l’extrait de la lettre de Paul que nous venons de lire : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26) ?

Nous avons découpé la proclamation de l’évangile en diverses traités autonomes qui n’ont plus rien à voir entre eux, de sorte que l’on parle ou de l’eucharistie ou de la résurrection. Or nous ne confessons que ceci : Dieu se donne, Dieu signifie don, ou grâce. Vous pouvez décliner cela de plusieurs façons, mais que vous parliez de création, de salut, de sacrements, d’eucharistie, de baptême, de mission, de Trinité, de jugement dernier, de miséricorde, d’amour de Dieu, de révélation, de souci des frères, d’incarnation, de calvaire et de résurrection, et j’en passe, vous désignez et confessez le Dieu qui se donne.

Au 5ème siècle et à de rares exceptions près jusqu’en l’an mil, il n’y a pas de représentation de la Cène. Non que les communautés ne considèrent pas la fraction du pain chaque dimanche comme centrale ; mais elle n’a pas de sens en soi, elle est sacrement et réalité du Dieu qui s’offre se faisant nourriture, en épousant l’humanité dans une alliance nouvelle. Un siècle plus tôt, à Nicée, il n’est venu à l’idée de personne de parler de l’eucharistie dans la profession de foi. Elle est déjà dite, pour ainsi dire, dans le reste du texte. Un siècle plus tôt encore, vers 250, Cyprien expliquait pourquoi on ne célébrait pas la messe le jeudi, en souvenir de la Cène, mais le dimanche. C’est en effet au matin du premier jour de la semaine que le Christ est ressuscité. L’eucharistie n’a pas de sens en soi, ce qui serait le cas si on se rassemblait les jeudis soir. Elle désigne la résurrection, le don par Dieu de sa vie.

A Cana, l’eau vive, l’eau de la vie, l’eau qui donne la vie, a le goût du vin, celui qui réjouit le cœur de l’homme, parce que lorsque Dieu se donne c’est l’ivresse assurée, non avec de la piquette, mais avec le meilleur. Le mal qui touche depuis l’enfance l’aveugle est détruit : Dieu veut l’homme libre et vivant. C’est ce qu’entend Madeleine, dans un jardin comme l’Eden et non dans un cimetière, lorsque l’Adam nouveau, jardinier des desseins divins, la libère de tout attachement au passé. Noli me tangere !

Le récit de la multiplication (Lc 9, 11-17) n’est pas un texte eucharistique. Il s’agit d’un récit de salut, la foule est nourrie comme autrefois le peuple dans le désert. De la mort – au moins comme menace – à la vie. Le récit de la multiplication est un texte eucharistique. Non seulement sa forme le laisse deviner. Comme tous les miracles, il n’a pas sens en soi mais par ce qu’il désigne, comme Cana, la guérison de l’aveugle ou la rencontre avec Madeleine.

Ainsi, on comprend que nos eucharisties ne sont ni rite, ni sacrifice, ni offrande. C’est Dieu qui offre sa vie, qui s’offre. L’humanité dont la communauté rassemblée est le signe, tend les mains pour le recevoir. Le pain n’est pas l’eucharistie, mais la parole qui fait vivre, puisque l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. Le pain est l’eucharistie, puisque c’est en le rompant que Jésus manifeste combien le Père aime ce monde. Sa fidélité à Dieu en fait l’homme pour les autres.

A la multiplication de pains comme à Cana, comme dans les guérisons, la création est sacrement du don de Dieu, est sacrement de Dieu comme don de vie, Dieu qui se donne pour que l’homme ait la vie, résurrection. C’est un pléonasme, mais il faut pourtant en user tant on l’oublie : Dieu signifie se donner. Et nous rendons grâce, nous remercions. Merci, eucharisto.


 

 

 

13/06/2025

P. Autréaux, L’Epoux

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 Patrick Autréaux, L’Epoux, Gallimard, Labor et fides, Paris 2025

 

Une histoire d’amour. Non pas une passion, mais la longue patience et obstination de la fidélité, parce qu’il est inenvisageable de faire souffrir celui que l’on aime. Pour l’aimer encore, le narrateur apprend une nouvelle langue, lit les Ecritures juives, revisite avec sérieux ce qui n’avait été qu’un christianisme de façade, aidé par ses compétences professionnelles, biologie, médecine, psychiatrie, littérature.

Comme un écrin, l’histoire encadre et protège une réflexion sur les certitudes, les croyances, le chantier qui consiste à les déconstruire pour n’en être point trop dupe, jusqu’à ne plus croire. Mais croire sans la critique, est-ce croire ? Loin de l’austérité d’un traité, l’ensemble est porté par la poésie de l’écriture qui lui confère beaucoup de douceur.

Les solutions faciles, en oui et non, binaires, ‑ Juif et goy, croyant et athée, scientifique et littéraire, médecin et malade, prose et poésie, etc. ‑ sont des attrape-nigauds, comme la division de l’humanité en deux genres fait l’un pour l’autre à l’exclusion de tout autre forme d’alliance. La preuve ? L’amour, les relations familiales ou amicales, les relations humaines sont toujours hybridation, qui brouillent jusqu’à les effacer les frontières. A moins que les frontières des lieux de passage et rencontre. Etre soi est un chemin non tracé de la conception jusqu’au dernier souffle, non un donné mais une tâche que l’auteur s’évertue à rendre douce malgré tous les heurts et violences.

L’inconfort de tout soumettre sans cesse à la question conduit à vivre dangereusement, au bord de l’abîme qui appelle jusqu’au néant. « Faut-il donc aller vers ce qui meurt en soi pour toujours ? Ne jamais dormir, ne jamais être certain, ne jamais savoir, ne jamais accepté d’être consolé à bon compte, mais seulement partager notre vertige avec qui le vit. […] Comment vivre ? Sinon en continuant d’écouter ces voix d’une agonie qui n’en finit pas et demeurer ainsi dans une veille qui scrute le moment de l’accomplissement inachevé qu’est notre vie. » S’il est possible de croire, c’est comme la suspension de tout, y compris du sens.

Le texte s’intitule L’époux. On ne peut pas penser (y compris et d’abord la foi) si l’on ne consent à laisser un autre entrer dans sa vie, de sorte qu’il y a homologie entre vie de la pensée, vie de foi et vie amoureuse ‑ avec leurs blessures, obstacles, empêchements, attentions, douceurs, bienveillance et confiance. Une mystique nuptiale se laisse deviner. Et s’il s’agit de ne pas croire, pour que l’on ne soit pas re(con)duit à une certitude dogmatique, celle de l’athéisme par exemple, il faut que de l’autre encore fasse irruption et soit accueilli de façon hospitalière. Les pensées de différents auteurs, en italique, que le texte héberge en sont la pratique et l’indice