
Un roman en forme de silence. Il y a le silence du
recueillement, parfois bienfaisant, mais aussi les silences qui tuent. Il y a
le silence qui arrête et celui qui fait marcher. Parfois, c’est le même. Certains
échappent au silence parce que l’environnement impose le bruit ou parce qu’on
fuit, par la distraction, ce que l’on ne veut pas, ne peut pas entendre de ce dont
le silence est enceint. D’autres, sans l’avoir choisi, s’y trouvent acculés. Le
silence est alors refuge autant que tourment. Les taiseux pourraient bien n’habiter
qu’à un seuil de la folie.
Comment parler d’un tel roman sans trahir le silence, sans
bavarder, sans tapage ? La langue ciselée, économe et curieusement
ponctuée crée l’espace que le silence enveloppe et enserre. « Au vrai, c’est
de son tourment qu’il tente de se sortir. De cette blessure sans nom qu’il a au
cœur. » Le point casse la phrase, l’empêche de couler, la retient. Il met
en relief une crête inaccessible qu’une virgule aurait rendu invisible. Subrepticement,
en silence encore, on passe de cet homme, Josef, au passé qui écrase tant et
tant.
« Au vrai c’est de son tourment qu’il tente de se sortir.
De cette blessure sans nom qu’il a au cœur. On se perd parce qu’on a trop mal.
On devient fou de trop souffrir. La folie ? C’est le pays des souffrances
qui n’ont plus nulle part où aller. Il le sait. Et voilà pourquoi il sent si
vivement qu’il faut aimer les être fragiles et un peu siphonnés : au fond
d’eux sont des pleurs qui n’ont pas d’autre issue. »
Gaspard avait écrit, attaché à son cou avec la corde à
laquelle il s’était pendu, « Je n’y suis pas arrivé, pardon. » Cette
fois, on aurait attendu un point entre les deux membres de la phrase. Mais là,
ça coule comme le nœud de la corde, ça emporte tout. Par la force des choses,
il n’y a rien à dire. « Je n’y suis pas arrivé, pardon. » Il aurait
fallu des paroles pour ne pas mourir, et non le secret. Passer sa vie à essayer
de ne pas mourir, non pour se posséder, mais pour se désaltérer de vivre. Recueillir
la vie ainsi que l’eau au creux de ses mains.
Le roman de la vie, de l’histoire de Josef, est écriture, Testament
même. Des cahiers, des dessins sur le sol. La faute, qui la condamnera ?
Pas lui. Il ne lapidera pas la vie. Le recueil de la vie, de l’histoire de Josef,
est recueillement. C’est même chose, vivre et prier, vivre et aimer. Josef meurt
de ne pas pouvoir aimer, et revit chaque fois que plus rien, et lui d’abord, ne
l’en retient. Le silence l’a fait ermite et nomade. Il ne fait que passer,
marcher. « Oportet transire » (Maître Eckhart). Les rencontres de
Josef, les plus belles surtout, ne sont que des visitations : une vie est
promise qui point déjà.