29/08/2025

La dernière place (22ème dimanche du temps)

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Il y a quelques temps, le vice-président Vance se réclamait de l’autorité de saint Augustin pour défendre un ordre de l’amour. « Vous aimez votre famille, puis votre voisin, puis votre communauté, puis vos concitoyens… Après, vous pouvez vous concentrez sur le reste du monde. » Celui qui était encore le cardinal Prévost lui avait répondu clairement et strictement. « JD Vance is wrong: Jesus doesn’t ask us to rank our love for others. »

La page d’évangile que nous venons de lire illustre parfaitement le propos, le radicalise de façon plus extrême encore. « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles. »

Pour l’évangile, le premier n’est pas l’ami, le frère, les parents ni les riches voisins. Remarquons comment la proximité affective e fait préférence pécuniaire. Le premier, c’est le déclassé socialement, au point de ne pouvoir inviter en retour.

Jésus renverse l’ordre du monde, en anarchiste. C’est inaudible dans un monde antique où l’ordre est synonyme d’équilibre et de viabilité. Aujourd’hui, il va de soi qu’une société se doit de se protéger, de privilégier ses intérêts. Eh bien non. L’intérêt d’une société comme celle de chaque individu, c’est le bien commun et non l’intérêt personnel. Si le principe à court terme est aisément falsifiable, il est vérifié à plus long terme. La situation de globalisation et de mondialisation nous le met sous les yeux. Il n’y a pas de paix sans respect multilatéral de chacun. Le dérèglement climatique n’en est qu’un des révélateurs, cependant au combien éloquent. Tous y perdront lorsque quelques uns massacrent la nature et exploitent la planète au-delà de ce qu’elle peut offrir.

Le choix de la dernière place n’est pas une stratégie pour recevoir, en définitive, la première. Ce n’est pas une question d’humilité ni d’automutilation ou de sacrifice expiatoire. Le choix de la dernière place est une question de charité, d’amour. Quand on aime, ce n’est pas « moi en premier ».

Il n’y a pas ici de sacrifice, qui rend possible les manipulations et violences par autrui. Personne, surtout par amour, ne peut être sacrifié ni se sacrifier. Jésus ne parle pas de cela !

Mais l’amour n’est possible que dans le fait de ne pas penser à soi d’abord, de mendier, car c’est de l’autre que l’on reçoit précisément l’amour. Les rapports de force tuent. Bien sûr, on tâchera de faire respecter ses droits et les droits de ceux qui ne peuvent faire respecter eux-mêmes les leurs. Ce n’est pas cela non plus dont il s’agit. Mais la faiblesse de l’amour peut renverser la loi de la force et de la jungle.

Le choix de la dernière place est une manière de mettre l’autre en premier, et non pas moi. Cela me fait accéder à la première place, non que je l’aie recherchée, non comme une récompense ; mais que dès lors que je vis par l’autre et pour l’autre, je vis. Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui (Paul Ricoeur). L’expérience de l’hospitalité, dans tant de cultures et de religions, c’est en outre, cela. A servir autrui, on est soi-même plus riche.

« Moi d’abord » c’est ce que nous appelons le diable, le diviseur. Non, une fois encore, qu’il ne faille pas que je prenne soin de moi, mais que je prends soin de moi en laissant à l’autre la place : « lui d’abord ».

Choisir la dernière place et vivre pleinement ne sont pas contraires à la différence de choisir la dernière place et vivre pour soi. Non que je recherche, par le do ut des, à recevoir, mais l’existence est échange, admirable échange, admirabile commercium. La dernière place n'est pas humilité, mais vie, résurrection. Si Dieu épouse l’humanité à devenir l’un d’entre nous, c’est qu’il pratique, qu’il est tout entier, cet échange. Cela se dit par la naissance d’un enfant, promesse de vie. Et nous vivons divinement, je veux dire, c’est divin, ce qui nous advient.

 

Piero della Francesca, Nativité, vers 1470 

22/08/2025

« Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas. » (21ème dimanche du temps)

La porte étroite 

 

Ce qui arrivera à ma mort ne me préoccupe pas. Passer sa vie à préparer le ciel, croire pour demain, ne m’intéresse pas. De surcroît, il n’est pas d’autre manière de préparer la vie après la mort, si elle existe, que de vivre dans la chair, ici et maintenant. Considérer cette vie non comme une propédeutique, mais comme la résurrection et la vie, avec le plus de sérieux possible, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas s’amuser ni jouir, au contraire.

La porte étroite s’ouvre pour que l’on ressuscite aujourd’hui. C’est aujourd’hui que le Seigneur nous connaît ou non. Le jugement dernier, dans la chapelle Sixtine, eut-il jamais quelque influence sur le vote des cardinaux ? Ils n’élisent pas celui qui est le meilleur pour l’Eglise mais celui qui va le plus dans leur sens. La preuve en est qu’ils ont toujours choisi l’un d’entre eux, alors que le droit ne l’impose pas. Qui nous fera croire que, depuis que le conclave existe, le meilleur a toujours été un cardinal ? Quelle auto-estime démesurée, quelle superbe ! Qui nous fera croire que la peur du Jugement dernier retient les rois très chrétiens de la guerre et encourage les milliardaires très catholiques au partage sans acception des personnes, hantés par la seule justice ? La peur du jugement dernier a-telle jamais retenu un croyant voire un théologien du fanatisme et de l’intransigeance, cramponné à son catéchisme pour exclure ou supprimer celui qu’il voit hérétique ?

Ceux que je visite en prison, chrétiens ou non, savent qu’ils ne sont pas dans les clous, mais cela n’a pas l’air de leur faire craindre l’enfer. Une fois seulement, un truand, aussi agréable que violent, m’avait dit que la damnation était son tourment. Aussi vertigineux et sans réponse que ce soit, je ne pus que m’interroger : n’aurait-il pas mieux valu que la vie de ses victimes, celles de sa femme et ses enfants aussi, fussent son tourment ? Porte étroite...

Le Seigneur me connaît-il ? Je mange et bois avec lui, au moins sacramentellement. Mais est-ce ce dont il s’agit ? Manger et boire avec lui, s’il s’agit de l’étude, qui d’une façon ou d’une autre est toujours étude de sa parole, dans le grand-livre de la création ou dans celui des Ecritures. Est-ce dont il s’agit ? Manger et boire avec lui, dans la fraternité qui fait vivre parce que l’homme ne vit pas seulement de pain. Est-ce ce dont il s’agit ?

Que savons-nous de l’authenticité de notre vie de disciples ? Devons-nous même en savoir quelque chose ? On s’estimerait en avoir fait assez, ou au contraire n’en avoir jamais fait assez. La même maladie : le salut comme une rétribution, un dû, et non un don, une grâce.

Etre reconnu ou non pour avoir mangé et bu ne peut être affaire de ce que nous avons fait ou non, parce que cela nie la gratuité du don de Dieu. Et la multitude de ceux qui viennent de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu n’est pas celle des gens bien mais qui ne comptent pas sur eux pour vivre.

« Mon Dieu, mes amis. » Prière de Jacques Pohier. Compter sur les autres non parce qu’ils sont à mon service, mais parce que sans eux, je ne peux rien faire, je ne suis rien. « Sans moi, dit Jésus, vous ne pouvez rien faire ». Et le moi de Jésus, c’est tous, dès lors que nous nous osons à appeler chacun ami, comme lui, nous appelle ses amis.

La porte étroite ‑ ne pas commettre l’injustice ‑ découvre la Vie, révèle la vie, est son apocalypse, ici et maintenant. Se faire mendiant, tendre les mains, les ouvrir, non seulement parce que c’est l’autre qui fait vivre, mais parce que cela lui permet d’être providence. Les parents savent que leurs enfants ‑ certes pas toujours, mais tout de même ‑ sont leur providence, la joie d’une grâce, d’une gratuité offerte. L’amitié est cela, y compris et d’abord avec l’ami si lointain, mon prochain, celui dont je voudrais savoir être le prochain.

Elle est large la porte qui mène à la mort. Et ce n’est pas bien sûr les futilités de l’existence vilipendée dans les homélies, mais l’injustice, violence et escroquerie, crimes et viols, chaque fois que je mets la main sur l’autre pour prendre, me servir, plutôt que d’ouvrir les mains pour recevoir. Il est assez rare qu’à espérer la vie, à la recevoir, on commette l’injustice. « Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » On dira que cela n’a rien de chrétien, que c’est un simple humanisme. Allez-vous plaindre à Jésus, à notre texte, version lucanienne de la parabole du jugement dernier de Matthieu ! Mais n’oubliez pas, c’est maintenant et pour maintenant qu’il ne faut pas rater la porte étroite de la Vie.

 

 

Parvine CURIE (1936)
La porte étroite, 1992
Pierre de Chauvigny, 55 x 32 x 44 cm 

 

15/08/2025

La tentation de vouloir en finir (20ème dimanche du temps)

 

Cela devient rare que l’on se déchire dans une famille àcause de la religion. Certes cela existe, mais ce n’est pas tous les jours. Ce qui n’est pas nouveau mais durable et violent, c’est la déchirure à l’intérieur de l’Eglise. Je ne pense pas d’abord aux guerres de religion et aux séparations traumatisantes entre Eglises des siècles passés, encore que. Je pense à la haine ordinaire, par exemple imprimée dans les journaux, entre catholiques, de différentes opinions.

A-t-on connu pareille haine exprimée publiquement et sans vergogne que celle qu’on a vu se déchaîner contre François ? D’aucuns rêvent, espèrent la paix, avoir la paix, qu’on leur fiche la paix. Mais « pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »

Le baptême de feu est là, entre catholiques. On parle d’une Eglise clivée, dont les membres ne communiquent pas entre eux tant leurs positions sont incompatibles, contradictoires. Beaucoup, en responsabilité pastorale, parce que c’est leur boulot, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de se couper de tels ou tels, prônent l’unité et parlent avec tous. Il se pourrait que cela les empêche d’annoncer l’Evangile. Comment être prophète, avoir une parole de feu, comme le glaive à deux tranchants de la Parole ?

Le pontificat de François s’est affronté à la stérilisation de la Parole en remettant les pauvres et les parias au centre du discours. Il a rendu de nouveau cette Parole inattendue, et donc susceptible d’être écoutée. L’option préférentielle pour les pauvres avait fini par être abandonnée. Est-ce que la donne en est changée dans les diocèses et paroisses, pas sûr. Sont un peu moins marginaux et plus légitimes ceux qui dans la communauté sont pauvres et parias, et ceux qui tâchent de les accompagner, de marcher avec eux.

La prédication de François, par ses paroles, gestes et attitudes, sa manière aussi de rompre avec le décorum a mis le feu. Cela donne une idée de ce dont parle Jésus avec les divisions entre membres d’une même famille.

Jésus a apporté le feu par le recadrage qu’il impose aux interprétations de la Loi. ‑ Il « nous change la religion ». Nous n’allons pas abandonner la foi de nos pères ! ‑ C’est déjà fait : « vous annulez la parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes transmise. » Il s’agit d’interpréter les Ecritures selon la miséricorde. Tiens revoilà François et son année sainte ! Dieu est inconditionnellement tourné vers ceux qui n’en peuvent plus. L’option préférentielle pour les pauvres n’est pas un truc pastoral des années soixante, c’est la geste même de Dieu : « J’ai vu la misère de mon peuple. »

Le recadrage de la Loi, non abolie mais accomplie, dans la logique des prophètes, dénonce la religion comme cohésion sociale et identité (qui excluent, la cohésion se fait sur le dos de l’autre dont on ne veut pas, hier et aujourd’hui) et comme culte, car Dieu réclame en premier la justice envers les frères. Amos a une parole de feu à dénoncer la triche et l’exploitation du faible, tout comme Isaïe. Elie a une parole de feu, passée au creuset, quand Dieu n’est pas le garant du sens, mais ce qui renverse tout ce que l’on pense de lui. Il n’est qu’une voix de fin silence, et non le tout puissant. Et pour rien, comme Job, il est rempli d’un zèle jaloux pour celui devant qui il a décidé de se tenir.

Aujourd’hui c’est la même haine. Les fidèles des fidèles tuent leur Seigneur : L’’évangile est réduit à de l’humanitaire. Il faut une annonce décomplexée, comme la droite et désormais l’extrême droite. ‑ Avec Jésus, pas d’identité puisque la vie est transformée, convertie pour libérer. Il ne s’agit pas de convertir, d’agréger à une religion. « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! »

Il faut des disciples, assurément, juste ce qu’il faut pour montrer l’urgence de rendre la vie, hommes, femmes, enfants vivants. Quand l’évangile est chrétienté, c’est sa fin. Quatre religieuses en un village musulman du Sénégal, ai-je lu dernièrement. Elles font ce qu’elles peuvent avec les enfants. Et c’est tout, à tous les sens de l’expression. Le feu du glaive tranchant ne fait pas de bruit, ou alors seulement dans les réactions qui s’opposent à lui.

Jésus impatient du baptême de feu, ou fatigué, désirant comme Elie, en finir, et que soit mis un dernier mot, celui de sa fidélité, au Oui qu’il est tout entier, oui à la vie, à la vie des frères et sœurs, et ainsi, oui à son Dieu et Père.

 


 J. Bosch, Jardin des délices, détail enfer

08/08/2025

Il partit là où il ne savait pas... (19ème dimanche du temps)

The Prayer Book of Bonne of Luxembourg, Duchess of Normandy, Attributed to Jean Le Noir (French, active 1331–75)  , and Workshop, Tempera, grisaille, ink, and gold on vellum, French 

 

Le chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux s’ouvre par une définition de la foi dont je ne parviens pas à voir qu’elle soit illustrée par les exemples qui suivent, rappelant tels événements de la foi des patriarches. Nous lisons ce qui concerne Abraham et Sarah. Je n’y vois pas de certitude, pas d’assurance, mais plutôt une sorte d’agnosticisme, au moins au sens étymologique. « Il partait sans savoir où il allait. » Le patriarche ne sait pas, et cependant se met en route.

Cette attitude est commune : n’est-ce pas ce qui arrive à tout le monde ? Partir dans la vie, partir dans une aventure amoureuse, dans la constitution d’une famille, un projet de vie, etc. c’est toujours partir vers un endroit que l’on ne connaît pas. Nos existences nous placent devant autant d’embranchements de chemins. Aller à droite, à gauche, ou ailleurs encore ? Nous ne savons pas. Nous ne saurons jamais si nous avons fait les bons choix. Nous sommes en route, il faut avancer. Il faut vivre et nous optons pour ce qui paraît promesse de vie, quand bien même ce qui nous apparaît serait, et est en fait assez souvent, chemin de mort.

Je pense à tous ceux qui n’ont su faire autrement que de tirer le rideau, parce que la promesse ne paraissait que mort, que mortelle. Et nous ne savons pas, s’il y a l’agnosticisme de la foi, alors, comment dire que chaque vie a un sens, que le suicidé n’a pas vu.

Croire va jusque-là. Il n’y a pas de Dieu garant du sens, ni une foi qui serait l’assurance, le moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. C’est aussi, si ce n’est toujours, dans le non-sens, que nous croyons, que nous sommes disciples. Il se pourrait même, dans le contexte actuel de ce que nous appelons savoir et sens, que les adeptes du sens soient les païens, entendons les gens religieux, de quelque religion que ce soit y compris chrétienne, mais si peu voire pas du tout disciples. Ce que l’on appelle ici le destin, là la bonne étoile, là encore la vocation à laquelle Dieu appelle, tout cela n’est-il pas une manière de nous assurer, de nous rassurer sur ce que doit être notre vie, comme sensée ?

Je ne sais faire autrement que redire toujours le même exemple. Quel est le sens de la vie de l’enfant de Gaza tué par une bombe, pire encore peut-être survivant de la famine et de l’horreur, massacré, qui devra traîner ces traumatismes jusqu’à la fin de ses jours ?

Perdre sa vie, n’est-ce pas consentir à n’en pas voir le sens, à ne pas en chercher ? La réussir ou la gagner, vouloir absolument un sens, n’est-ce pas la perdre comme dit l’évangile ? Agnosticisme de la foi, nous ne savons plus rien, et surtout pas ce que dit le catéchisme. Nous marchons comme si nous étions devant et avec Dieu, mais sans Dieu. Ainsi s’exprimait Bonhoeffer quelques mois avant son assassinat par les nazis. Augustin d'interroger : « Faut-il t’appeler pour te connaître », mais peut-on appeler sans connaître ? « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois aller par où tu ne sais pas. » (Jean de la croix)

La foi, ce n’est pas que Dieu fasse surgir le miracle, la vierge qui enfante, l’enfant mort ressuscité, la porte de la prison qui s’ouvre, car rien n’est impossible à Dieu. Tout cela dans les Ecritures n’est pas preuve de la vérité de Dieu, plutôt l’indice de ce que dans le non-sens aussi Dieu habite, que la vie est souvent plus forte que toutes les morts qui nous affligent, nous détruisent. Remarquez la relecture du sacrifice d’Abraham. Non pas Dieu peut éviter le drame du père meurtrier ou du Dieu pervers, mais la vie plus forte, jusqu’à relever les morts.

La foi, c’est quand il n’y a rien à voir, comme au tombeau, comme Abraham. Un trou, comme le côté ouvert, déchiré, la poitrine de Jésus. Une béance, une faille. Thomas ausculte le trou de la plaie. Il n’y a rien à voir, pas de preuve, seulement la mort et… une faille.

Pouvons-nous croire ce que nous avons sous les yeux sans cesse, la puissance de vie, malgré tout, malgré la force de destruction ? Il est des lieux où on ne peut guère ne pas la voir, avec les agonisants, dans les hôpitaux bien sûr, mais aussi les enfants ou anciens enfants cabossés, détruits, les pauvres, les parias, les rejetés, exilés, qui ont, comme Abraham, quitté leur terre pour plein de raisons, mais aussi parce que la vie est toujours départ vers où l’on ne sait pas, ou découvrant dans l’exil que la vie est toujours autre que l’on ne sait pas.

Aucun discours ne boucle, pas plus celui de la foi que celui de la science. Surtout pas celui de la foi, ce serait le comble de l’idolâtrie, donner la réponse avec ce qui dans l’épaisseur du monde refuse la réponse, inscrit la faille, la béance et le manque.

 

Bréviaire de Bonne de Luxembourg, la blessure du Christ. vers 1340, folio 331 recto. Que cette blessure soit à s'y méprendre un sexe de femme ne put échapper à l'artiste.