29/04/2023

Prière pour les vocations

 

Prière pour les vocations
Dire que l'on porte le souci que certains s'engagent au service de l'Evangile, quel que soit leur mode de vie, est légitime. On peut adresser ce souci à celui auquel nous voulons joindre nos vies, puisqu'il nous offre de le faire. Prière pour les vocations.
Dire que l'on craint pour ceux et celles qui s'engagent dans l'institution ecclésiale aujourd'hui, et adresser ce souci au Père de toute miséricorde, est tout aussi légitime. C'est encore une prière pour les vocations.
Penser que cette prière-là fera entrer du monde dans un noviciat ou un séminaire, et celle-ci non, ou penser que l'on pourrait réciter un Ave chaque jour entre Pâques et Pentecôte pour qu'il y ait du monde au séminaire, c'est de la fumisterie, n'est-ce pas ?


 
 
 
Je recopie quelques lignes d'un commentaire de Jean-Louis Schlegel à ce poste qui illustre l'adage de Boileau : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. »


« L'Eglise invite à prier pour des vocations de prêtres selon le modèle clérical actuel, bien identifié, bien connu, pas nécessairement traditionaliste mais traditionnel, pour avoir les "ouvriers" qui manquent alors que la moisson est "abondante". Et c'est bien ainsi que les catholiques des paroisses du monde entier l'entendent. C'est pourtant aussi ce "modèle" qui est en cause, en crise depuis longtemps, en état d'effondrement numérique aussi, bien avant le rapport de la Ciase sur les abus sexuels... Le dimanche pour les "vocations" suggère ou affirme qu'ils seraient la solution à la difficulté de l'Eglise s'ils étaient nombreux, alors qu'ils sont peut-être (par leur statut bien sûr, pas par leur personne ou en tant qu'individus) le problème. »

Une illustration qui illustre de que dit JLS
Journée du séminaire (Venezuela 2016)



28/04/2023

Berger de l'autre. La vie en abondance Jn 10, 1-10 (4ème dimanche de Pâques)

Que peut bien signifier ce chapitre 10 (1-10) de l’évangile de Jean pour qui est éloigné de la culture chrétienne. Il y entendrait peut-être que le quatrième dimanche de Pâques puisse être dit dimanche du bon pasteur ; pas celui des vocations. Il y entendrait sans doute une lutte de Jésus, sa revendication d’être lui, à l’exclusion de tout autre, la porte et le berger.

Qui sont ceux qui escaladent le mur de l’enclos, voleurs et bandits ? Ceux avec qui Jésus est en débat à la toute fin du chapitre précédent, « des pharisiens ». La question est alors de savoir qui est pécheur, qui voit, qui est aveugle. Thème classique que l’on retrouve chez les Tragiques grecs. Le vieillard Tirésias est plus lucide qu’Œdipe, lequel ne peut, pour voir la réalité justement, que se crever les yeux !

Jésus, le Juif, Jésus, un fils d’Israël, est en désaccord frontal à propos de la lecture juive des Ecritures de certains de ses contemporains. Juifs pharisiens et Juifs comme Jésus se disputent le sens de la pratique de la Torah. Jésus, conteste une lecture qui en serait un vol, un rapt et prétend ouvrir grand la porte de la vie. Et certains reconnaissent sa voix.

On a l’habitude de dire que le christianisme est un rejet, au sens arboricole du terme, du judaïsme. Pour Jésus, il ne fait pas de doute que sa pratique de la loi est l’expression fidèle et idoine des Ecritures. C’est cette fidélité qui l’autorise. En l’espèce, le pécheur n’est pas celui qu’on pense. Il est des gens dont l’œil est sain mais qui n’y comprennent rien, sont totalement aveugles, et même aveuglés par leur conviction d’être voyants.

Boiter n’est pas pécher, pourrait-on dire. Mensonge en revanche nier que l’on boite. Etre aveugle n’est pas pécher ; prétendre voir juste parce que l’on n’est pas aveugle, si.

La prétention de Jésus à avoir raison contre d’autres, pose la question du sens des Ecritures et de la vie, un ou multiple, unicité ou profusion. Reconnaître à Jésus une pertinence n’est pas difficile, le rôle unique qu’il se donne, paraît folie et violence. Ce qui l’autorise, la rend possible, c’est sa solidarité avec les aveugles qui ne peuvent, sous prétexte de leur cécité, être exclus de l’humanité. Effectivement, Jésus ne laisse aucune place à ceux qui excluent ; ceux-là sont voleurs et brigands de ce que nous avons en propre, des différences, de l’altérité. Le dira-t-on d’intransigeant ?

On comprend que le berger soit lui-même la porte. Il aménage le chemin pour ceux qui ont du mal à voir. C’est son job. Etre berger, bon, c’est prendre soin de la cécité des autres pour que personne ne soit exclu. Etre berger, bon, c’est être la porte sans obstacle pour, quelle que soit ses particularités chacun puisse accéder à la bergerie.

Faut-il pour être disciples se reconnaître aveugle, et ainsi voir ? Faut-il pour être du bon côté, jouer la carte de la culpabilité ? Faudrait-il pour être disciple endosser le misérabilisme ? Nietzsche a justement dénoncé une sorte d’amour de la mort sous prétexte d’être récompensé par une vie ailleurs. La reconnaissance de la vulnérabilité cependant n’est pas morbide, loin s’en faut, éventuellement scandale pour notre suffisance, blessure narcissique. La reconnaissance que nous avons besoin d’autrui est chemin de vie.

Nous pourrions entendre dans ces lignes de l’évangile de Jean la nécessité où nous sommes, chacun et ensemble, à accueillir un chemin qui n’est pas nôtre (au sens de notre fait) et qui l’est pourtant (au sens où il est pour nous et avec nous). Etre en chemin, être en vie, voir, c’est recevoir un asile de qui a préparé pour chacun un refuge à sa fragilité.

Jésus n’est pas Panurge et ses moutons sans personnalités. Si nous avons besoin d’un berger, c’est parce que la vie n’est pas notre production, parce la vie en société réclame que tous reconnaissent l’autre comme nécessaire. Personne ne peut se prendre pour le berger, ou alors il mène les autres à la mortelle tyrannie, celle qu’imposent les voleurs de la place de l’autre, les meurtriers de la différence. Si Jésus se prétend porte et si sa voix est reconnue comme celle du berger, ce n’est pas que d’autres ne seraient aussi bons que lui, mais qu’il refuse définitivement tout ce qui exclut, ce qui nie l’autre. Babel inversée !

Il est berger de l’autre comme autre, il est le berger des différences qu’il vient rassembler, non pour les uniformiser mais pour leur donner de jouer la symphonie de « la vie en abondance », ce qu’Irénée de Lyon appelait, au IIe siècle, la symphonie du salut.

21/04/2023

Parole et pain, parole-pain (3ème dimanche de Pâques)

Angers, Tapisserie de l'Apocalypse, 1375-1380
"Mange le petit livre"

« Le sacrement de l’ordre a pour fin le sacrement de l’eucharistie, le sacrement des sacrements. » Thomas écrit cela dans les années 1255 et n’aura pas le temps d’y revenir. Il exprime une théologie commune, dérivée de l’affirmation de Pierre Lombard, un siècle plus tôt : Ordo est pars potestatis. Qu’est-ce qu’un prêtre sinon celui qui a le pouvoir de consacrer ? Aujourd’hui, nous butons encore sur cette définition. Les laïcs peuvent tout faire, sauf célébrer les sacrements, et encore, seulement ceux de la pénitence et de l’eucharistie.

Je sais que les choses sont mal dites ainsi, mais c’est la référence pour beaucoup : le prêtre est celui qui dit la messe ; c’est ce qui explique que le prêtre fasse face à l’assemblée ou la précède. Il n’est pas la voix de l’assemblée, in persona Ecclesiae mais agit in persona Christi. Quand bien même on n’aime pas parler ainsi, cela conditionne aujourd’hui encore la pastorale et l’on refuse de revenir décidément sur ce point. Ainsi, s’il n’y a pas de prêtre, on préfère priver les communautés de la fraction du pain, ou aller chercher un très vieux monsieur qui n’a pas de rapport avec la communauté. Notre Eglise, pour tenir sa théologie du prêtre, piétine le commandement du Seigneur de faire cela en mémoire de lui !

Cette théologie conduit à penser que ce qu’il y a de plus important à la messe est la consécration. On fait sonner les clochettes aux paroles devenues quasi magie, prononcées in persona Christi, transformation du pain et du vin en corps et sang, alors que la célébration tout entière a pour but que chacun devienne un seul corps avec les autres.

« Veux-tu savoir ce qu’est le corps du Christ ? Ecoute l’Apôtre ; voici ce qu’il écrit aux fidèles : "Vous êtes le corps du Christ et ses membres". Mais si vous êtes le corps et les membres du Christ, c’est votre propre mystère qui est posé sur la table du Seigneur, vous recevez votre propre mystère. A ce que vous êtes, vous répondez Amen, et en répondant, vous souscrivez. Tu entends en effet : "le corps du Christ" et tu réponds : "Amen", Sois membre du corps du Christ, pour que ton Amen soit vrai. » (Augustin, Sermon 272, vers 410)

L’insistance sur les espèces consacrées a conduit à distinguer jusqu’à opposer la parole de Jésus et son corps sacramentel. On s’est même fait la guerre avec les Protestants pour cette affaire. Et nous continuons à penser que l’eucharistie n’est pas la même chose que la parole, que le Christ s’y donne davantage, comme si Jésus pouvait se donner un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout ! Nous continuons à dire que nous allons célébrer l’eucharistie dans un instant, par exemple pendant l’homélie, alors que l’assemblée est déjà en train de célébrer.

Juste avant Augustin, celui de qui il a reçu le baptême, Ambroise. « Ce pain que rompt Jésus [Lc 9,10-17] est, quant au mystère, la parole de Dieu et le discours sur le Christ : distribué, il augmente ; car avec quelques discours, il a fourni à tous les peuples un aliment surabondant ; il nous a donné les discours comme des pains, et tandis que nous les goûtons, ils se multiplient dans notre bouche. De même aussi visiblement et d’une manière incroyable, ce pain quand on le rompt, quand on le distribue, quand on le mange, s’entasse sans subir aucune diminution. Et ne doutez pas que cet aliment augmente soit dans les mains qui le distribuent, soit dans les bouches qui le mangent, puisqu’en tout cela le témoignage de notre activité est invoqué pour affermir notre foi. C’est ainsi qu’aux noces les eaux prennent la couleur du vin tandis que les serviteurs agissent, et ceux mêmes qui avaient rempli d’eau les jarres puisaient un vin qu’ils n’avaient pas apporté. » (In Lucam, VI, 86-87, vers 380)

En lisant Emmaüs, nous distinguons la parole des disciples avec Jésus et la fraction du pain. Mais s’ils le reconnaissent à la fraction du pain, c’est qu’à partager entre eux sa parole, en faisant mémoire de tout ce qu’il avait dit, ils se nourrissent, ils deviennent le corps qu’ils reçoivent. « Mange le petit livre » dit l’ange au visionnaire de l’Apocalypse comme cela avait été dit au prophète.

Il n’y a pas la parole et le pain. Le pain est la parole pour qu’on la mange. La parole est pain qui nourrit, car nous ne vivons pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur. Lire les Ecritures en Eglise, même seul dans le secret de sa chambre, est une eucharistie !

 

 

 

 

Complément

La théologie de l’eucharistie et celle des ministères selon lesquelles le prêtre agit in persona Christi à la consécration pose problème. C’est l’Eglise qui agit ici, par la bouche du prêtre, in persona Christi, et non le prêtre qui exercerait indépendamment de l’Eglise en prière.

C’est ce que l’on peut lire dans le premier texte à parler de paroles de la consécration distinguées des autres paroles de la prière eucharistique. Je ne suis pas certain que cette distinction soit pertinente, d’autant qu’il y a des prières eucharistiques qui ne comportent pas le récit de l’institution et Benoît XVI en a reconnu expressément la validité. Mais partons d’Ambroise, donc, vers 380-390.

Ambroise n’a pas en vue la question de l’in persona Christi. C’est anachronique, l’expression se répand au sens où y recourt aujourd’hui qu’au 13ème siècle, et encore, chez Thomas, mais pas chez Bonaventure. Ambroise quant à lui veut juste attester que c’est le Christ qui est l’auteur des sacrements, parce qu’il a besoin d’établir « comment ce qui est du pain peut-être le corps du Christ ».

« Tu dis peut-être, c’est mon pain ordinaire. Mais ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles ; dès que survient la consécration, le pain se change en la chair du Christ. Prouvons donc ceci. Comment ce qui est du pain peut-il être le corps du Christ ? Par quels mots se fait donc la consécration et de qui sont ces paroles ? Du Seigneur Jésus. En effet tout le reste qu’on dit avant est dit par le prêtre : on loue Dieu, on lui adresse la prière, on prie pour le peuple, pour les rois, pour tous les autres. Dès qu’on en vient à produire le vénérable sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du Christ. C’est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement. » (De sacramentis IV, 14).

Yves Congar écrit en 1978 : « Dans la seconde moitié du 12ème siècle, on a défini le "sacerdoce" du prêtre par le pouvoir de consacrer l’eucharistie. Le "caractère" conféré par le sacrement de l’ordre était "spiritualis potestas". Ainsi s’est développée une vision du prêtre comme personnellement, définitivement qualifié par un pouvoir sur le "corps vrai" du Christ, pour le consacrer, et sur son "corps mystique" pour l’enseigner, le gouverner et l’absoudre. » (Préface à B. Marliangeas, Clés pour une théologie des ministères, p. 10)

Ces théologies de l’eucharistie et du sacerdoce sont situées dans l’histoire par les études compétentes. Les documents officiels les contestent, mais latéralement, sans les abandonner loin s’en faut. Elles continuent à déterminer licéité et validité du sacrement eucharistique.

Les communautés peuvent légitimement avoir un problème avec l’exercice du ministère presbytéral telles que ces théologies l’induisent. Les prêtres pareillement, devant pratiquer des théologies qu’ils n’assument pas parce qu’ils ont compris que dans la primitive Eglise, comme ne cesse de le dire les enseignements des autorités, le sujet de l’eucharistie c’est l’Ecclesia.

Même les plus « progressistes » continuent à penser la nécessité du prêtre pour la consécration, c’est-à-dire continuent à penser dans le cadre de la pars potestatis et de la définition du sacerdoce par la célébration de la messe, quoi qu’ils disent. Le prêtre ne serait nécessaire que pour la consécration. Mais quelle drôle de manière de voir les choses !
Si le Christ est l’auteur des sacrements, comme le dit Ambroise, c’est par son Eglise ; alors l’in persona Christi, s’il faut maintenir l’expression, ne vise pas le ministre mais l’Ecclesia. C’est elle alors qui agit in persona Christi.

Beaucoup, et je le comprends, ne supportent plus les homélies qui tombent d’en haut. La célébration eucharistique n’est sans doute un forum, mais si l’homélie est un entretien familier, tant pour le prédicateur que pour l’assemblée, il est nécessaire que s’exprime avant ou après le prédicateur des membres de l’assemblée. Cela apparaît plus que nécessaire compte-tenu de l’égalité baptismale et de la taille souvent petite des communautés.

La récitation de la prière eucharistique n’est pas le fait du prêtre, sacerdote au pouvoir consécratoire. Il est le porte-voix de la prière de l’assemblée. Dans les résidences de personnes âgées, souvent, les participants récitent à voix presque haute, les paroles de la prière eucharistique. Ils la savent par cœur, il prient de tout leur cœur, comme nombre de chrétiens, mais ne retiennent pas le mouvement des lèvres ni même le son de la voix.
Il est alors manifeste que le prêtre dit la prière au nom de tous. S’il agit in persona Christi c’est parce qu’il agit in persona Ecclesiae. Personne n’a le sentiment ni la volonté que ce ne soit pas lui qui récite la prière.

Les prêtres (le singulier employé jusqu’à présent n’était justifié que par l’usage lorsque l’on parle d’in persona Christi, ce qui en dit long sur l’absence de considération de l’ordo prebyterorum) éprouvent le même malaise que les communautés. Quelque chose ne va pas à en faire les vis-à-vis de la communauté, alter Christus. Mais comme ce point semble intangible, on continue de faire avec alors même qu’on le conteste.

J’entends déjà les critiques. Si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à aller chez les Protestants. Mais il est clair que ce n’est pas la question. Si ce que j’écris permet une position partageable avec certains Protestants, tant mieux. La question est celle de l’Eucharistie et du ministère ordonné chez les Catholiques, de la confusion entre théologie de l’eucharistique et théologie des ministères, de ce qu’il faut bien appeler une prise de distance par la théologie scolastique ‑ durcie par la théologie de polémique après la Réforme ‑ par rapport à la théologie néo-testamentaire et patristique.

Il ne s’agit pas de revenir en arrière. L’archéologie théologique ne détermine pas ce que nous devons vivre aujourd’hui. Mais cela explique pour une part le malaise des ministres et des communautés obligés de pratiquer une théologie qui n’est pas conforme à ce qu’ils confessent avec l’Eglise de son enseignement tant eucharistique que de théologie des ministères.