26/11/2021

« Viens, ne tarde plus ! » (1er dimanche de l'avent)

Nous ouvrons une nouvelle année liturgique et remettons nos vies, une nouvelle fois, dans la direction du Christ, lui le chemin. Les textes liturgiques, pour commencer l’année, parlent de la fin. C’est que la venue du Fils de l’homme, si elle concerne la fin, fait de cette fin notre aujourd’hui. C’est maintenant que nous voulons vivre avec Dieu ; c’est donc maintenant que nous voulons nous défaire des catastrophes et injustices, relever la tête.

Réserver, cantonner la vie avec Dieu pour après la mort ou pour la fin du monde, cela signifierait que nous ne souhaitons pas, maintenant, vivre de sa vie. Vivre avec lui, essayer de se laisser conduire par l’Esprit, à l’inverse, désigne et dénonce les catastrophes de notre monde que nous ne voyons que trop peu, que nous ne voulons pas voir. N’est-elle pas apocalyptique, la mort d’au moins vingt-sept personnes dans la Manche mercredi ? N’est-il pas apocalyptique, bête immonde, le discours des politiques qui prétendent na pas vouloir que la Manche devienne un cimetière ? Cynisme hypocrite. Et le dérèglement climatique ?

Ce qui se passe dans trop de pays, y compris en France, non seulement pour les migrants, mais pour les sans-voix en général, est pire que les signes dont parle l’évangile (Lc 21, 25-28.34-36). Cela est vrai, plus honteux encore, dans l’Eglise.

Se redresser, relever la tête, rester éveiller, se tenir debout sont des attitudes de résistance, de refus de la mort, de résurrection. Pour les disciples de Jésus, les catastrophes et cataclysmes manifestent, révèlent la proximité du Christ, car il se tient au milieu de nous celui qui doit venir. Ne pas se dresser contre le mal et les injustices, la mort et le mensonge, c’est déserter la voie baptismale, la volonté d’accueillir un monde nouveau que le Christ instaure.

Comment pourrait-on voir, ici et maintenant, le Fils de l’homme venir sur les nuées si les catastrophes apocalyptiques ne nous empêchent pas de dormir, si nous nous endormons pour ne pas le voir, pour mieux les ignorer ? Il est le toujours-venant, ce Fils de l’homme. Veiller, prier pour ne pas le rater. Veiller, prier, non en se retirant du monde, mais en s’y engageant décidément en vue de son renouvellement, de la résurrection.

Il ne s’agit pas de nous culpabiliser ni de nous rendre responsables de tous les malheurs du monde. Il s’agit de savoir si notre attachement au Christ nous tourne, comme il l’est lui-même, vers les frères. Il est le converti du Père, son visage tourné vers nous.

Il ne s’agit pas de désespérer devant l’ampleur de la tâche, mais de changer nos manières de vivre, écologiquement, socialement, économiquement, politiquement ecclésialement. La bête immonde se déchaîne, exclusion et mépris, mensonge et pseudo-solutions magiques. Les mois qui nous séparent des échéances électorales seront une lutte apocalyptique.

C’est une nouvelle année et rien ne change ; nous ne voyons pas que faire pour changer le monde, nous nous sentons impuissants. Que cela ne nous mène pas à tenir la foi comme une affaire personnelle, privée, concernant la santé individuelle de notre âme. Plus que jamais la dimension politique de l’évangile et de la prière s’impose, non comme régime ou pouvoir, mais comme un cran d’arrêt dans le mal. « Non ! » « Arrêtons, ce sont nos frères et sœurs. »

L’évangile et la prière ne s’arrêtent certes pas à un projet politique, mais sans la résistance aux catastrophes qui atteignent jusqu’à la mort des hommes, des femmes, des enfants, la venue du Fils de l’homme est un mensonge, une illusion. Comment ressusciter sans se dresser contre le mal, sans permettre aux frères de se relever ?

« “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.” Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.” »

 

 

 

 

- Apocalypse pour l’Eglise, révélation de ses crimes, de ses refus de conversion, de sa trahison de l’évangile. Viens, Seigneur ne tarde plus.

- Apocalypse pour le monde, révélation de ses crimes, migrants poussés à risquer tous les dangers, prisonniers et pauvres méprisés, pays exploités, opposants écrasés. Viens, Seigneur, ne tarde plus.

- Apocalypse pour notre communauté, révélation de sa tiédeur, engagement a minima, zèle refroidi, choix politiques assassins. Viens Seigneur, ne tarde plus.

18/11/2021

Régir le monde et nos vies au souffle de l'Esprit (Christ, roi de l'univers)

Nous sommes invités à célébrer la royauté de Jésus en ce dernier dimanche de l’année liturgique. Les évangiles emploient le champ sémantique de la royauté, à la suite de la conception que l’on se faisait du messie dont le roi David constitue le modèle. La prière que Jésus laisse aux disciples implore : que ton règne vienne !

Aujourd’hui, ce vocabulaire pose question voire met mal à l’aise, notamment depuis que la monarchie n’est plus la forme évidente de gouvernement des nations. Les rois de France, comme d’autres, se sont vus en successeurs de la dynastie davidique. L’Eglise a résisté longtemps aux aspirations démocratiques, alors même qu’elle pratiquait depuis des siècles, certes très différemment de ce que nous entendons aujourd’hui, et théorisait la liberté et la nécessité d’être consultés pour tous ceux qu’un sujet concerne. Il a fallu des révolutions politiques, idéologiques et théologiques pour que l’on en vienne à la liberté de culte, pour que le droit des pauvres ne soit pas conçu seulement comme un devoir des puissants.

Trois adultes font aujourd’hui leur entrée en catéchuménat. Officiellement, nous entendons et accueillons leur demande à recevoir le baptême. Le calendrier de la paroisse fait que nous sommes rassemblés en messe dite des familles. Pour tous, il s’agit de s’approprier l’annonce chrétienne. Comment vivre avec Jésus ? Qu’est-ce que cela signifie être disciples ?

Lors de l’onction, pendant le baptême, nous sommes configurés au Christ, prêtre, prophète et roi. La royauté du Christ est inscrite au cœur de ce que nous sommes. Pour comprendre quelque chose à la royauté de Jésus, nous devons la concevoir comme ce qu'il nous partage, ce en quoi nous lui ressemblons.

Le roi n’est pas le chef tout-puissant qui règne sur les nations, méchantes nations païennes, voire communistes, anti-chrétiennes. Le roi n’est pas non plus celui des contes de fées, gentils ou méchant, avec une jolie princesse de fille ou un prince impossible à marier. L’évangile n’est pas un conte de fée. Pour comprendre quelque chose à la royauté de Jésus et à la nôtre, il nous faut faire un trait sur la puissance politique, économique, sociale comme sur la magie de la féérie. L’évangile (Jn 18, 33-37) nous mène au pied de la croix.

La royauté de Jésus, comprise à partir de la nôtre, c’est la capacité à mener notre vie dans le monde. Etre chrétien, ce n’est pas une affaire spirituelle, entendez qui n’aurait rien à voir avec la vie ordinaire, prosaïque, matérielle, temporelle. La vie chrétienne comme vie dans le souffle de l’Esprit, c’est nous disposer à laisser passer l’Esprit en tous les domaines de notre existence. Au boulot comme à l’école, en famille comme avec les amis, les voisins, dans l’organisation sociale et internationale du monde, voilà le domaine du Christ, son royaume.

C’est dans la totalité de notre existence, et non dans un domaine réservé que serait la religion, que nous sommes invités à la sainteté, à vivre comme Jésus, à laisser l’Esprit respirer en notre bouche pour nous faire vivre. Il en serait ainsi, notre monde n’aurait pas la même tête ! Chaque fois que nous laissons l’Esprit nous mener, nos familles, cercles d’amis, connaissance du club du sport ou de la musique, etc., sont des lieux de vie, où nous menons, dirigeons nos vies comme des rois de paix, comme le Prince de la paix.

A la suite de Jésus, nous sommes invités à faire de ce monde, avec ses limites, la souffrance, la violence, les injustices, avec ses promesses, moments de partage et de joie, de légèreté et de plaisir, le royaume des frères et sœurs d’un unique Père. Le royaume de Dieu n’est pas pour demain, mais le commandement reçu du Seigneur de nous aimer les uns les autres comme il nous aime.

Bâtir et accueillir le royaume est un projet tant personnel que politique, non comme une prise du pouvoir, mais, à la suite de celui qui se fait serviteur, comme la transformation de nos vies et relations en vie bonne, heureuse, avec et pour les autres, dans des institutions justes. La royauté de Jésus nous commande de régir le monde et nos vies au souffle de l’Esprit. Voilà notre baptême.

12/11/2021

Apocalypse now (33ème dimanche du temps)

La conférence sur le climat de Glasgow à peine achevée, demeurent les menaces sur la planète. « Après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. » (Mc 13, 24-32) Le niveau des océans augmentera au point d’engloutir bien des cités et des champs. Les populations fuiront se protéger sur les terres élevées et les guères s’ensuivront. Les habitants de ces terres ne voudront pas partager leurs biens. Des myriades de personnes quitteront leur pays et ne seront nulles part accueillies.

Nous y sommes. L’apocalypse, la fin des temps, c’est maintenant. Et que faisons-nous ? Nous continuons comme si rien n’était. Les migrants meurent en mer, coincés aux frontières, en Grèce, en Biélorussie, à Calais, à Ceuta.

Que faisons-nous ? Rien. Pour nous, jusque-là, tout va bien. Pourquoi faudrait-il changer ? Ce qui change peut-être c’est que notre cynisme ou notre surdité, l’incapacité ou l’impassibilité à voir les autres mourir éclatent au grand jour. Même nos enfants et petits-enfants, nous n’en avons finalement rien à faire. Qu’avons-nous changé de nos modes de consommation et de pollution ?

Pouvons-nous seulement, dans ces conditions, continuer notre célébration ? N’est-elle pas sacrilège ? Ne rajoute-t-elle pas l’hypocrisie, la mauvaise foi à notre crime ?

L’imminence de la catastrophe n’est pas nouvelle, même si sa forme l’est. La catastrophe prend figure de fin parce que l’on ne voit pas comment en sortir, parce que l’on va droit dans le mur pour s’y fracasser.

Cependant le monde de l’évangile a toujours été celui de la fin, parce que l’évangile est de ceux qui mettent en évidence la catastrophe. Lorsque vous faites de l’amour, de l’amour de Dieu, l’axe autour duquel tout devrait se déployer, vous percevez que la fin est proche, que les temps que nous vivons sont les derniers. « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » (He 1, 1-2)

Vivre l’évangile, c’est forcément être projeté à la fin des temps, interpréter les temps comme les derniers, parce que tout ce qui est pâlit, perd de sa pertinence. Qu’est-ce qui fait sens si Dieu habite ici ? Comment ce monde est possible tel qu’il est si Dieu l’habite ? « Vous, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. » C’est la confession chrétienne ; Dieu n’habite pas les palais inaccessibles, mais les lieux de souffrance, parce que c’est là qu’il y a urgence à rendre la vie.

Rien des menaces climatiques ni des périls de la migration pour les migrants eux-mêmes, rien des violences y compris dans l’Eglise ni des massacres d’enfants de par le monde ne peut être relativisé sous prétexte que Dieu est là, tout proche. Au contraire, l’horreur du mal n’en est que davantage dénoncé. Une partie de la réponse est entre nos bras, dans nos richesses partagées, dans notre souci de prodiguer, sans cesse un peu de bonté.

Notre célébration nous ouvrira-t-elle les yeux ? Elle n’est pas là pour nous consoler et nous rassurer, mol édredon d’un sommeil coupable et insouciant. Au cœur de nos détresses, elle est l’annonce encore et toujours, de la présence du Seigneur. Dieu, contrairement aux dirigeants de la Cop 26 ne fait pas mine de ne rien voir quand le monde est en feu ; contrairement aux épiscopats mondiaux, Dieu ne détourne pas son regard des enfants blessés ; contrairement à l’opinion publique, Dieu ne referme le journal quand il arrive à la page où sont racontées les horreurs de la migration, Biélorussie, Grèce, Libye, Calais et Manche.

Notre célébration nous donne de proclamer que le Seigneur est tout proche et même que nous le touchons de nos mains, le voyons de nos yeux, l’entendons de nos oreilles. Il a faim et nous le nourrissons, ou pas. Il a soif et nous lui donnons à boire, ou pas. Il est étranger, et nous l’accueillons ou pas. Il est nu et nous l’habillons, ou pas. Il est malade ou en prison et nous allons jusqu’à lui, ou pas. Chaque fois que nous retardé les catastrophes, c'est le temps de la révélation. Apocalypse now : « Vous, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. »

10/11/2021

R. BURROWS, La montée vers l’amour

 La montée vers l'amour - Pédagogie spirituelle de Jean de la Croix

Il me semble que nous devrons laisser notre prière disparaître, abandonner que nous appelons notre vie spirituelle et n’avoir plus aucun contrôle sur celle-ci. C’est effectivement ce qui doit arriver. Nous devons donner toute la place à l’Esprit qui veille en nous et exprime sa prière secrète. Là est la prière véritable. Même la meilleure éducation spirituelle ne pourra pas le faire à notre place. Il revient à chacun de choisir de faire confiance non à sa propre subjectivité, mais au Dieu de toute bonté et fidélité qui s’est révélé en Jésus.

[…]

« Quand vous priez dites … » N’aurions-nous pas plutôt attendu quelque chose du type « Père, je t’aime ? » Bien sûr, Jésus aimait son Père, de cet amour qui faisait sa préoccupation passionnée le jour et la nuit. Sa « nourriture », ce qui le faisait agir. Mais il voyait son amour pour son Père comme notre amour pour lui : d’abord comme une raison pour agir. « Je fais toujours ce qui lui plaît ».

[PR : Commentaire précis de Notre Père, que ta volonté soit faite ! L’amour passionné de Jésus pour son Père pousse à agir pour les frères, car c’est la volonté de Dieu, car c’est sa nourriture.]

Ce que j’essaie de dire, c’est que Jésus nous enseigne que, par-dessus tout, la prière est la réponse que nous adressons à Dieu, et elle ne diffère que par son intensité de toutes les autres réponses que nous lui faisons. Ce n’est jamais quelque chose d’ésotérique, c’est seulement la vie, dans ce qu’elle a de plus pur. Nos sentiments, nos goûts, nos dégoûts, tout ceci est immatériel. La prière n’a tant à voir avec « moi » qu’avec Dieu.

L’acte essentiel de la prière c’est de se tenir dépouillé devant Dieu.

 

Dans mon bouquin, je cite deux livres de Ruth Burrows et pas ce troisième paru depuis. Il y a encore de superbes pages que je regrette de n’avoir pas connues.

R. Burrows, La montée vers l’amour, Cerf, Paris 2021, pp. 110 et 123-124.

05/11/2021

A la mi-temps de l'assemblée des évêques de France

Chers amis,
Vous voilà à la mi-temps de votre assemblée plénière.
Vous dire combien je porte votre rassemblement dans l’espérance et la prière.
Vous dire la confiance en même temps que l’effroi.

Je me permets ce courrier, après l’intervention de Jean-LucSouveton que vous avez entendue, dont le texte a été rendu public ce 3 novembre.
J’ai remercié Jean-Luc pour ses paroles.
Peut-être trouverais-je qu’il n’a pas assez souligné le rapport entre l’ampleur de la crise pédocriminelle et la résistance à Vatican II.
Depuis que Joseph Ratzinger est aux affaires de toute l’Eglise, en 1981, le Concile a été réduit à un texte figé. La dynamique, qui indiquait la direction à suivre, a été niée. S’en tenir au texte, pas au soi-disant esprit du concile, nous répétait-on.
Nombre d’entre vous ont laissé faire cela, voire l’ont clairement facilité, en ont été les artisans.

La réponse à la crise de la pédocriminalité dont une part au moins de l’ampleur a été mise en évidence par la Ciase est urgente et nécessaire.
Elle ne pourra être pertinente qu’à vous engager dans les faits, non dans les paroles ou les gestes symboliques qui pour l’heure nous ont trop trompés. Si vous n’avez pas l’intention de changer quoi que ce soit, abstenez-vous de profaner la liturgie par une célébration pénitentielle.

La réponse à cette crise de la pédocriminalité cependant serait mensonge si cela ne changeait rien à la manière de mettre en œuvre le dernier Concile, à l’obligation où nous sommes tenus d’en revenir à l’esprit du Concile pour poursuivre les réformes qui n’ont été qu’ébauchées et dont le mouvement est dessiné par l’histoire de la rédaction plus que par les textes définitivement votés, aussi importants soient-ils. Nous avons plus de cinquante ans de retard. Trop de diocèses n’ont pas, par exemple, de Conseil Diocésain de Pastoral, ou l’empêchent d’être pertinent.

Vous n’êtes pas en mesure de mener les réformes. Vous avez perdu trop de crédibilité. Cela ne vous concerne peut-être pas personnellement. Mais telle est aujourd’hui la situation de l’épiscopat, en France comme en bien d’autres pays.
Vous ne pouvez décider seuls de ce que vous devez faire maintenant. Il n’est pas possible, surtout dans la double crise (pédocriminelle et institutionnelle) que nous connaissons, que seuls cent vingt hommes, fussent-ils évêques, décident pour tous. Quod omnes tangit ab omnibus tractari debet. (Vous connaissez l’article d’Yves Congar à ce propos.)

Vous devez confier, sur le modèle de ce que vous avez fait avec M. Sauvé, la conduite de la réforme, ou au moins la mise en disposition de l’Eglise en France en vue de la réforme, à une personne en qui vous et une large part du peuple de Dieu, ont confiance. Cette personne, sans doute une femme, constituera une équipe.
Pendant ce temps, vous ne demeurez qu’administrateurs de nos diocèses.

La résistance à la réforme depuis des décennies rend cette réforme d’une violence folle. Et vous n’échappez pas à cette violence. Je n’ai sans doute qu’une piètre idée de ce que vous subissez.
Mais plus vous vous opposerez à une vraie réforme, plus la violence sera dévastatrice, plus vous détruirez l’Eglise et rendrez aussi difficile que nécessaire, s’il est alors possible un jour, le changement que vous refuseriez aujourd’hui.

Si vous ne parvenez pas à l’unanimité entre vous, que les hommes de foi et de bon sens parmi vous mettent en œuvre ce qu’ils pensent. Le refus des autres ne fera que les dénoncer.

Bon courage pour ces décisions difficiles
Fraternellement
Patrick Royannais

 

Moi d'abord ! (32ème dimanche du temps)

Pourquoi faut-il tout donner pour suivre Jésus ? Pourquoi la suite de Jésus semble-t-elle exiger une radicalité impossible ? Car, soyons clairs, tout donner est impossible. Qui a tout donné ? Se gargariser avec la mystique – au sens le plus péjoratif de terme – du don est mensonge.

Il n’y a pas que les disciples à vouloir tout donner. Tous les parents sont appelés à donner beaucoup. Ils répondent comme ils peuvent, comme ils veulent, souvent très bien, parfois fort mal, à l’exigence que la simple existence de leurs enfants leur impose. Bien sûr, on se gardera du temps pour soi, bien sûr, pour le bien même de l’enfant, il est hors de question de se laisser happer par l’enfant et ses caprices. Mais lorsqu’un enfant est malade, on y va. Lorsqu’il est handicapé, c’est pour des années, toute la vie peut-être que l’on donne. Certains s’y épuisent. Quand un enfant, en pleine forme, même adulte, a besoin de vous, on y va, on est appelé à y aller, qu’on y aille ou pas. Il n’y a pas de limites a priori.

Nous passons notre vie, si du moins nous persévérons dans la suite du Christ, si du moins nous persévérons dans la responsabilité qu’exige d’être parent ou citoyen, à tâcher d’apprendre à donner, à tout donner.

Non pas à Dieu, mais aux frères, aux autres.

Cela fait souvent notre joie. Heureux de ce que les autres puissent, aussi par nous, vivre bien, heureux. Cela fait parfois notre douleur, notre souffrance. Nous nous aimons. Nous aimons être reconnus, puissants, riches, au centre.

Avez-vous remarqué, juste avant l’épisode de la veuve qui donne tout, on parle précisément, et ce n’est pas par hasard, de ceux qui se mettent au centre (Mc 12, 28-44). « Ils tiennent à se promener en vêtements d’apparat et aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur et les places d’honneur dans les dîners. » Il n’y a pas grand-chose à modifier dans ces versets pour que leur actualité saute aux yeux.

Oui, c’est vrai, nous ne sommes pas tous ainsi. Beaucoup se moquent des honneurs ou de leur mise vestimentaire. Mais c’est tout aussi vrai : comme il nous est difficile de ne pas habiter le centre de notre existence, de n’être pas notre principal sujet de préoccupation. Nous apprenons aux enfants à ne pas penser à eux d’abord, mais toute notre vie, ne sommes-nous pas à manifester notre droit ou notre envie : « Moi d’abord ! » Nous nous plaçons au centre dans nos jugements, nous pensons presque toujours de notre point de vue. Comme il nous est difficile de déplacer notre regard, d’imaginer la situation du point de vue de l’autre.

Un bébé qui vient de naître est en général l’objet de toutes les attentions, le centre du monde. Et c’est bien ainsi. Mais c’est l’exception, le tout premier âge. Vivre, c’est apprendre à déserter cette place du centre, le « Moi d’abord », ne serait-ce que parce que, sans les autres, nous ne pouvons pas vivre. Et pour vivre sans réduire les autres à être les esclaves de notre vie, nous ne pouvons que déserter le centre.

Ces considérations n’ont rien de spécifiquement chrétiennes. La suite du Christ les requiert cependant. Occuper le centre, c’est rendre le cœur de notre vie indisponible pour Jésus, pour Dieu.

La radicalité dans l’exigence d’effacement, disons de désertion de la place du centre, est telle qu’elle ne peut que rebuter, décourager, nous faire abandonner la partie. Comment accepter l’invitation à ne pas occuper le centre, autrement dit à ne pas compter sur nous-mêmes, nos certitudes, nos moyens, etc. ?

Tout donner est alors paradoxalement synonyme de tout recevoir. Les mains vides sont disponibles pour recevoir. Alors, il ne s’agit plus seulement, dans le don, de déserter le centre, pour des raisons morales et de vie commune. Ni même par amour des autres. Il s’agit de permettre à l’autre de nous donner de vivre et de surcroît à Dieu.

Etrange retournement où la radicalité du don se fait abondance reçue, au centuple.