24/06/2022

Tu viens ? (13ème dimanche du temps)

Le verbe utilisé pour dire la suite de Jésus dans l’évangile de ce jour (Lc 9, 51-62) signifie au moins aussi précisément accompagner. C’est presque pareil, encore en français. « Qui m’accompagne ? » « Je te suis ! » Suivre Jésus, c’est l’accompagner parce que Jésus ne trace par la route devant, sans égard pour qui chemine avec lui, mais il marche à nos côtés, comme le raconte Les pèlerins d’Emmaüs. Il écoute et interroge, il explique et redonne force.

Suivre Jésus, ce n’est pas une occupation à temps partiel, qui laisserait la possibilité de vaquer à ses affaires, enterrer nos morts ou que sais-je ? Non que Jésus refuse que nous pleurions ceux que nous avons aimés ! Il s’agit d’être avec lui aussi lorsque nous sommes en deuil, et non de le rejoindre, un peu plus tard, quand cela ira mieux.

Il n’y a pas de moments où nous pourrions ne pas être avec lui, parce que même lorsque nous nous écartons du chemin, lorsque le péché nous domine, il fait le détour avec nous pour ne pas nous lâcher. Plus qu’à tout autre moment, nous avons besoin de lui, dans la misère de notre mal autant que dans la tourmente du deuil et de la souffrance.

Suivre Jésus n’est donc pas d’abord prendre une route spécifique, devenir prêtre ou se marier, travailler comme vigneron ou physicien. Suivre Jésus, c’est faire de toutes nos activités, de toute notre vie un chemin sur lequel Jésus marche et nous donne de l’accompagner.

Un texte que l’on attribue faussement à François, avec des références qui ne me plaisent guère ‑ on ne va tout de même pas faire de la pub aux Américains et à leur colonisation des cultures ! – dit bien les choses : « Nous avons besoin de saints avec des jeans et des baskets. Nous avons besoin de saints qui vont au cinéma, qui écoutent de la musique, qui traînent avec leurs amis. Nous avons besoin de saints qui placent Dieu en premier lieu avant de réussir dans n'importe quelle carrière. Nous avons besoin de saints qui cherchent le temps de prier tous les jours et qui savent être amoureux de la pureté, de la chasteté et de toutes les bonnes choses. Nous avons besoin de saints – des saints pour le 21e siècle avec une spiritualité adaptée à notre nouvelle époque ».

Suivre Jésus c’est vivre la sainteté de l’Esprit dans la vie qui est la nôtre, et non changer de vie, au sens où ce serait une autre vie, saint-sulpicienne ou fantasmée que nous devrions adopter. Suivre Jésus c’est changer de manière de marcher, parce que désormais nous passons derrière Jésus qui nous ouvre le chemin, nous passons derrière les frères qui nous ouvrent le chemin vers Jésus, quand bien même c’est nous qui les tirons par devant pour qu’ils se relèvent. Accompagner Jésus c’est faire de la vie telle qu’elle nous échoie un chemin de sainteté parce que nous suivons Jésus.

Qui vient ? Qui répondra : « Je te suis ? »

Peut-être, commencez-vous à trouver que je suis hors sujet. Notre célébration accueille la première communion de plusieurs enfants, et je n’en ai encore rien dit. Ne devrais-je pas, pensez-vous peut-être, être attentif à ce qu’ils vivent et les aider à comprendre ce qu’ils font ?

Mais figurez-vous que c’est exactement ce que j’ai fait jusqu’à présent. Car qu’est-ce que communier sinon accompagner Jésus dans sa mort et sa vie, le suivre au soir de sa passion pour recevoir la force de résurrection du matin de Pâques ? Notamment chez les catholiques, on a tellement fait de l’eucharistie le plus grand sacrement ‑ c'est pourtant le baptême le sacrement primordial ‑ que l’on pense que si l’on ne parle pas du pain et du vin consacrés, on ne parle pas de l’eucharistie, on ne lui confère pas l’honneur qui lui est dû.

Mais enfin, cette fois c’est bien François que je cite, c’est de la foutaise, l’eucharistie en dehors de nos vies, dans le lieu de nos rêves, avec cierges et encens, folklore de la première communion qui sera la dernière avant bien longtemps, ou habitude dominicale qui ne change rien à notre vie. Si l’eucharistie n’est pas le lieu de notre sainteté, source et sommet, nous sommes en pleine idolâtrie. « Parfois, on court le risque de confiner l'eucharistie dans une dimension vague, distante, peut-être lumineuse et parfumée d'encens, mais loin des situations difficiles de la vie quotidienne. […] C’est ce que nous trouvons dans le pain eucharistique, l’attention du Christ à nos besoins, et l’invitation à faire de même envers ceux qui sont à nos côtés. Il est nécessaire de manger et de donner à manger. » (Angélus 19 06 2022)

17/06/2022

Qui célèbre la messe ? (Le saint sacrement)

Qui célèbre la messe ? Les textes de la liturgie le disent sans ambiguïté : c’est nous. La prière eucharistique commence par ces mots : « Toi qui es vraiment saint, toi qui es la source de toute sainteté, Seigneur, nous te prions. » L’Eglise assemblée est le sujet de l’eucharistie.

Quoi qu’il en soit des textes qui pourraient laisser penser qu’il en va autrement, on ne peut que constater et appuyer le retour à la grande tradition, notamment scripturaire et patristique que le dernier Concile a décidément consacré. On lit dans le premier texte voté, la constitution dogmatique sur la liturgie : « Le jour même de la Pentecôte, où l’Église apparut au monde, "ceux qui accueillirent la parole" de Pierre "furent baptisés". "Et ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres, à la communion fraternelle dans la fraction du pain et aux prières... louant Dieu et ayant la faveur de tout le peuple" (Ac 2, 41-47). Jamais, dans la suite, l’Eglise n’omit de se réunir pour célébrer le mystère pascal ; en lisant "dans toutes les Écritures ce qui le concernait" (Lc 24, 27), en célébrant l’Eucharistie dans laquelle "sont rendus présents la victoire et le triomphe de sa mort" et en rendant en même temps grâces "à Dieu pour son don ineffable" (2 Co 9, 15) dans le Christ Jésus "pour la louange de sa gloire" (Ep 1, 12) par la puissance de l’Esprit Saint. » (SC 6)

La constitution dogmatique sur l’Eglise définit la chose très clairement : « Toutes les activités des fidèles laïcs, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, si elles sont vécues dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient "offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus Christ" (cf. 1 P 2, 5), et dans la célébration eucharistique, rejoint l’oblation du Corps du Seigneur pour être offert en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu par la sainteté de leur vie un culte d’adoration. » (LG 34)

La Présentation générale du Missel Romain, même dans sa dernière version est très explicite même si elle n’est pas vraiment univoque ou cohérente. « La célébration eucharistique est l’action du Christ et de l’Eglise qui est le peuple saint réuni et organisé sous l’autorité de l’évêque. C’est pourquoi elle concerne le Corps tout entier de l’Eglise ; elle le manifeste et l’affecte ; en réalité, elle atteint chacun de ses membres, de façon variée, selon la diversité des ordres, des fonctions et de leur participation effective. De cette manière, le peuple chrétien, "race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple racheté", manifeste sa cohésion et son organisation hiérarchique. » (n°91 cf. aussi n°5)

Le Catéchisme de 1983 est encore plus explicite. « C’est toute la Communauté, le Corps du Christ uni à son Chef, qui célèbre. "Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église […] L’assemblée qui célèbre est la communauté des baptisés qui, "par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, sont consacrés pour être une maison spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, moyennant toutes les œuvres du chrétien, des sacrifices spirituels" (LG 10). Ce "sacerdoce commun" est celui du Christ, unique Prêtre, participé par tous ses membres. (n°1140 et 1141. Cf. aussi n°1119)

J’ai cité longuement quelques-uns seulement des textes parce que nous continuons à penser que c’est le prêtre qui célèbre. « Elle était très bien votre messe », « J’ai servi la messe du père Untel », etc. Tant que nous n’entérinerons pas l’enseignement de la foi, nous ne pourrons qu’être schizophrènes, vivant autre chose que ce que nous déclarons confesser. Notre Eglise est malade de cette schizophrénie, interprétée comme lutte entre progressistes et traditionalistes. Cette interprétation est pernicieuse. Il en va de ce que nous croyons.

Nous n’avons pas encore pris au sérieux les conséquences des affirmations conciliaires. Ainsi, et contre le Concile, s’il n’est pas possible de célébrer la messe sans prêtre, il ne devrait pas être possible de célébrer la messe sans assemblée. Ainsi nous ne sommes pas en rang d’oignons, à regarder ou écouter ce que le prêtre fait dans le sanctuaire, mais réunis autour de la table de la parole et de l’eucharistie. Ainsi, l’acte liturgique ne peut être séparé ni pensé indépendamment de la vie dans l’Esprit toute entière, parce que de la charité à l’action de grâce, c’est la même offrande spirituelle que l’assemblée des baptisés présente à son Seigneur. Ainsi, chacun à sa manière et avec les autres est ministre de l’action de grâce.

10/06/2022

La Trinité, quésaco ? (Dimanche de la Trinité)

Le professeur de la faculté de théologie qui enseignait « La question de Dieu » dans les années 80 à Lyon racontait que le dimanche de la Trinité, il passait d’église en église pour écouter les homélies. Il jugeait que ce qu’il entendait était bien peu satisfaisant.

Quelques années plus tôt, un autre professeur de théologie, au grand-séminaire, avait écrit comme thèse Prêcher la Trinité. Il estimait que la prédication sur la Trinité n’existait pas, ou était excessivement formelle, et n’aidait pas à entrer dans le mystère de Dieu. Celle qui n’était pas encore canonisée, Elisabeth de la Trinité, l’inspirait par sa manière de s’en remettre au Dieu Trinité. « Oh mon Dieu, Trinité que j’adore. »

« Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. » (Dt 6, 4). Il ne faudrait pas oublier que ce pour arriver à ce verset, il a fallu beaucoup de temps, et que l’épreuve de l’Exil, autant que l’expérience de la « délocalisation » de Dieu hors de son ou ses temples sont assez récentes dans l’histoire biblique au moment où vit Jésus. Ce n’est pas le lieu de refaire l’histoire du Premier Testament. Retenons que ce que nous appelons monothéisme est d’autant plus central dans la confession de foi de l’Israël romanisé qu’a connu Jésus qu’il a été durement acquis, conversion des mentalités du peuple Juif.

Et voilà que Jésus met le bazar dans ce qu’on comprend du Dieu unique, son Père et notre Dieu. Jésus est assurément un croyant au Dieu unique d’Israël. Mais peut-être faut-il déjà faire attention, Dieu unique ou Dieu un ? Monothéisme ou Dieu uni ? Indiscutablement le Dieu et Père de Jésus est Dieu de l’unité ; il nous convoque à l’unité ; il fait de l’absolue profusion de sa création une unité harmonieuse. Il est l’unification de l’humanité que l’unité de l’Eglise devrait préfigurée.

Jésus met le bazar parce que sa sainteté empiète sur celle de Dieu. Peut-être à ses propres yeux, en tout cas très vite dans l’histoire des disciples, si l’on en croit tout particulièrement l’Evangile de Jean. Encore plus primitivement, l’enseignement de Paul tire du côté du Dieu un cet homme né d’une femme. Impossible de faire de la divinité de Jésus une invention tardive ; mais qu’entendre en ces mots ? L’interrogation trinitaire est tout entière christologique. Que disons-nous de Jésus ? Comment penser au plus juste ce qu’il est face au Dieu un ?

Les premiers siècles jouent un rôle décisif en menant à la profession de foi de Nicée et Constantinople, au IVe siècle. Remarquons que le mot de Trinité ne s’y trouve pas, inventé au début du IIIe siècle. Il me semble que nous sommes aujourd’hui dans un moment où doit être réinterprété et ce qui est rapporté de Jésus par les générations apostoliques, et la réinterprétation qu’en ont faite les générations suivantes, depuis le IIIe jusqu’au VIIe siècle.

Je le disais, il y a quinze jours. Savons-nous ce que nous disons lorsque nous parlons de « personne » divine. Le mot n’a pas aujourd’hui le sens de l’Antiquité ; et à ne pas voir la différence nous faisons dire au dogme trinitaire ce qu’il n’a jamais voulu ni pu dire. Je disais aussi que, plutôt que de s’occuper des trois « personnes », nous gagnerions sans doute à nous focaliser sur la relation qui les unit. Les personnes divines n’existent pas en dehors des relations entre elles, elles existent à partir des relations qui les unit.

Penser Dieu en terme de relation n’est pas nouveau. C’est ce que le Premier Testament et le Second à sa suite appellent l’alliance. L’alliance est non seulement ce qui nous attache à Dieu, mais Dieu lui-même, Dieu tel qu’en lui-même. Alliance est sans aucun doute une manière pertinente de dire la Trinité, de « prêcher la Trinité », de vivre de la vie trinitaire.

En Dieu, rien n’est résultat (d’une action), tout est acte. Dieu lui-même est acte, pur acte d’être. La création pour Dieu, c’est son action créatrice, et c’est lui-même. La relation pour Dieu, c’est la pratique de l’alliance, et c’est lui-même. Ainsi que le dit le dernier concile, de cette unité, de cette unification, action d’unifier, l’Eglise tire son unité, son unification.

Dieu est manifesté en Jésus et dans l’Esprit qui le remplace désormais dans le monde comme celui qui fait l’unité des vivants parce qu’il est lui-même unité, un et qu’il nous fait partager cette unité dès lors qu’il nous crée, nous aime, nous souhaite vivants de son amour.

03/06/2022

Tu crois au paradis ? (Pentecôte)

Qu’est-ce que faire profession de foi ? Qu’est-ce que signifie professer sa foi ? S’il s’agit d’une célébration dont la tradition, très française, remonte à environ quatre-cents ans, cette question n’intéresse que peu de monde tant, quelques pré-ados, leurs parents, et les nostalgiques d’un christianisme qui n’existe plus.

Nous pouvons nous réjouir de ce que des enfants reçoivent une culture chrétienne, entendent parler de Jésus, de la vie avec lui. Mais si demain s’arrête leur découverte de Jésus, s’ils sont rassemblés pour la dernière fois ou presque avec d’autres chrétiens, si être chrétien ne détermine pas leur manière de vivre, catéchistes et enfants auront perdu leur temps.

On pourra penser que ce qui a été semé germera un jour. On pourra aussi penser que ce qui a été semé fera croire que l’on sait ce qu’est être chrétien, que l’on est chrétien et dispense d’aller plus loin. Avec Jésus, c’est comme avec les amis, à ne plus les fréquenter, on se perd de vue, quand bien même on aurait vécu autrefois des moments très forts.

Professer notre foi nous projette en dehors de cette église, à chaque instant de nos vies, pour tâcher de vivre comme Jésus. Professer sa foi c’est vouloir vivre comme Jésus, lui qui, partout où il passait faisait le bien, lui qui relève les accablés et soigne les blessures, lui qui partage la table de la fête, lui qui ne se résigne pas à voir la mort et le mal l’emporter.

Faire profession de foi, parce que c’est vouloir vivre comme Jésus, c’est choisir la vie, avec et pour les autres, dans une société toujours plus juste, une société à aiguillonner en vue d’une plus grande justice. Cela concerne toute la vie, et non des affaires de sacristie.

Jésus sait que la transformation du monde et de lui-même ne relève pas que de sa propre volonté. Certes il veut cette transformation, mais elle est, parce qu’elle est, la volonté du Père. Depuis la création le Père veut le paradis, sa vie partagée avec tous. Notre boulot de chrétiens, c’est de vouloir, comme Jésus, la vie de Dieu partagée avec tous, le paradis

Dans le langage de Jésus, la volonté commune du Père et du Fils, c’est l’Esprit Saint. « Personne n’est capable de dire : "Jésus est Seigneur" sinon dans l’Esprit Saint. » (1 Co 12, 3) L’Esprit est Dieu en nous qui nous donne de vouloir le paradis, la vie heureuse avec et pour tous. Il est tellement évident que nous nous fermons à l’Esprit quand nous ne choisissons pas la vie, quand nous ne voulons pas la volonté du Père, la vie bonne pour tous.

Faire profession de foi, c’est à 13 ans comme à 100, choisir Jésus, choisir avec Jésus la volonté du Père, et, je le redis, cette volonté c’est le paradis, la vie pour tous et avec tous. Faire profession de foi, c’est croire au paradis, non comme un mythe mais comme l’engagement à faire que ce monde soit le jardin des délices. Crois-tu au paradis ?

Pendant des siècles, on a cru qu’il suffisait d’être baptisé pour cela. On s’est mis le doigt dans l’œil, ou du moins, on se fourvoie si, aujourd’hui, on pense que le baptême enfant, un peu de caté et une profession de foi, fait de nous des chrétiens. On ne peut choisir de vivre comme Jésus, seul. C’est pour cela que nous avons besoin de nous retrouver. On ne peut vivre comme Jésus sans se préoccuper de Jésus et de ses frères jour après jour. Comment sommes-nous disciples si nous ne prenons pas le temps de chercher comment Dieu compte sur nous pour faire sa volonté ? Et pourtant, c’est la prière que nous redisons sans cesse : « que ta volonté soit faite ».

Chacun d’entre nous, pour que la prière ne soit pas mensonge, se doit de vouloir la volonté du Père. Heureusement, ce Père habite en nous par son Esprit, ainsi nous pouvons pour de vrai et déterminer cette volonté, et nous retrousser les manches pour qu’elle soit faite.