26/01/2018

Sexe et vie chrétienne (4ème dimanche du temps)


Voici trois dimanches que nous entendons des extraits des chapitres 6 et 7 de la première lettre de Paul aux Corinthiens. Il s’agit d’une réflexion sur le corps. Paul n’a pas peur de parler avec verdeur. La liturgie, pudibonde, traduit bien peu de ce qui est dit.
Devant les divisions dans la communauté, qui pouvaient aller jusqu’à trainer un frère de la communauté en justice, Paul recourt à une comparaison qui lui est habituelle, la communauté est un corps. « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ?»
Parler ainsi, c’est s’inscrire dans une représentation de l’homme, une anthropologie, où le corps joue un rôle déterminant. Contrairement à ce que l’on dit parfois, l’évangile ne peut pas conduire à un mépris du corps, puisque l’homme est ressuscité par le Christ. L’homme ‑ c’est-à-dire l’homme et la femme, est-il nécessaire de préciser en français, et donc aussi les enfants ‑ l’homme est appelé à être « sanctifié dans son corps et son esprit ».
La confession de la résurrection dessine une anthropologie. Si c’est l’homme qui ressuscite alors le corps est aussi pour la vie, pour la sainteté. Penser l’homme sans son corps, ce n’est plus penser l’homme mais une chimère. « Je crois en la résurrection de la chair », non que la viande ait quelque avenir, mais que notre corps c’est nous aussi, et que s’il ne ressuscitait pas, nous ne ressusciterions pas entièrement, nous ne ressusciterions pas du tout.
Pour parler du péché ‑ et Paul fait une liste : impudicité, idolâtrie, adultère, dépravation, mœurs infâmes, vol, cupidité, ivrognerie, insulte, rapacité – il parle de prostitution, comme la partie qui désigne le tout. On se rappellera que dans le premier testament, la prostitution désigne le péché par excellence, non en soi comme commerce sexuel, mais en tant que lui est comparée l’infidélité à Dieu. Laisser Dieu tomber, choisir l’idole, qu’il s’agisse des autres dieux ou de l’injustice et de tout attachement au mal, c’est une prostitution, s’offrir à d’autres.
Ainsi donc, plutôt que de morale sexuelle, Paul traite de morale sociale. La puterie qui nous guette n’est pas tant la prostitution que l’injustice et la rapacité ou l’amour de l’argent, le refus du partage et de l’égalité. Nous sommes peu nombreux à nous prostituer, bien plus à caresser l’injustice, à nous laisser caresser par le profit que nous tirons des inégalités. Il y a ici plus de fils de p. que ce qu’on pense, et Paul n’y va pas par quatre chemins pour le dire !
Une question lui a été posée à propos des relations entre les hommes, les males cette fois, et les femmes. Or, là où le corps est en danger, c’est n’est pas dans la sexualité, pas d’abord du moins, mais dans l’injustice, qui plus est entre frères… et nous sommes tous frères.
Au premier siècle de notre ère, dans les relations entre homme et femme, il y a d’abord l’inégalité et la dissymétrie, il y a ensuite le droit de l’homme libre sur l’esclave, homme ou femme. La femme se doit d’être fidèle ; il est admis que l’homme ait outre sa femme des relations avec d’autres. Le mariage n’est pas la seule forme d’union. L’épouse est destinée à la descendance, les plaisirs peuvent être trouvés sans doute auprès d’elle, mais pas seulement.
Hier comme aujourd’hui, le plaisir charnel nous mène par le bout du nez, et la morale antique condamne moins les plaisirs et le type de partenaires que l’incapacité à se maîtriser. Dans cette logique, Paul écrit : « "tout m’est permis" ; mais je ne me laisserai, moi, dominer par rien. » Il n’y a pas tant d’actes interdits que réprobation de ceux qui sont esclaves du plaisir.
Et là, coup de tonnerre dans la morale antique, que la liturgie ne nous a pas donné à entendre : « La femme ne dispose pas de son corps, mais le mari. Pareillement, le mari ne dispose pas de son corps, mais la femme. » Totale réciprocité, totale interdépendance. Je ne m’appartiens pas, je suis pour l’autre, comme Jésus est l’homme pour les autres. En mon corps, je suis invité à être pour les autres, à passer derrière, à servir. Je ne me possède pas.
La recherche du plaisir n’est pas la question ‑ et l’on ne dira donc pas quelle est mauvaise ‑ mais la dépossession de soi. On passe une nouvelle fois de questions sexuelles à la morale sociale, pour des raisons christologiques. Pour ne pas trahir la configuration baptismale qui nous a fait revêtir le Christ, nous devons vivre pour les autres. Paul voudrait nous voir sans soucis pour avoir le souci des affaires du Seigneur, lui plaire, vivre comme lui pour les autres.
S’il suffisait d’être sans conjoint pour ne pas avoir de souci et s’adonner aux affaires du Seigneur, ça se saurait. La virginité ou le célibat ne font pas plus disparaître la sexualité que les soucis. Paul, à partir d’une question de mœurs posée par les Corinthiens, nous place face aux vrais enjeux pour les disciples, non pas ce qui est permis ou non ‑ « tout m’est permis, mais tout n’est pas profitable » ‑ mais comment être tout entier au Seigneur ? On n’est pas plus ni moins tout entier au Seigneur dans le célibat que dans le mariage, dans la virginité ou la chasteté que dans les relations sexuelles. La question qui se pose est celle-là : qui se fera « pour l’autre » comme Jésus est l’homme pour les autres ?

19/01/2018

"Je crois l'Eglise une" (Semaine de prière pour l'unité des chrétiens)



L’Eglise qui devrait être signe de l’humanité réconciliée est divisée. Dans ces conditions, peut-elle accomplir sa mission ? Peut-elle être l’Eglise si elle n’est pas une ? On ne pourra sans doute pas aller jusqu’à dire que la division des chrétiens est la cause de la déchristianisation, mais il n’est pas contestable que les séparations, depuis les guerres de religion jusqu’à l’ignorance commune des uns par les autres, discréditent l’évangile même.
Que l’on s’oppose en traitant les autres d’hérétiques, se pensant uniques disciples authentiques, est source d’un scepticisme ou d’un relativisme qui ne peut qu’atteindre la vérité évangélique. Est-il possible qu’une Eglise confisque l’unité du Credo, je crois l’Eglise une ?
Il fallut des années pour que les séparations apparaissent scandaleuses au point de mettre en route un mouvement œcuménique, un souci de l’unité. Contre la volonté d’unité, certains, y compris des papes, préférèrent mettre en garde contre l’esprit mortel de la relativisation de la vérité. Pire, on continua à poser des définitions dogmatiques dont on savait qu’elles ne pourraient que rendre plus difficile l’unité. Les évêques espagnols dans leur très grande majorité s’opposèrent à la déclaration conciliaire de 1965 sur la liberté de conscience parce que rien n’empêcherait alors les protestants de se développer dans leur pays !
Aujourd’hui encore, plus de cinquante ans après le décret conciliaire sur l’unité, on continue à lire ici ou là, de la part de catholiques, un usage péjoratif du terme protestant. Ce sont nos frères, mais que surtout l’on ne pense pas comme eux !
Nous préférons encore la vérité à l’unité. Mais nous rendons-nous compte de la fumisterie de la chose ? Qu’est-ce que la vérité, si elle n’est pas partagée, commune ? Pire, comment peut-on penser que ce que l’on dit, y compris dans une Eglise, coïncide avec la vérité au point d’exclure du vrai tout ce qui serait différent de ce que cette Eglise enseigne ?
En toute bonne conscience, en toute certitude d’être dans la vérité, d’être orthodoxes, nos Eglises contreviennent au commandement du Seigneur. L’actuel pape semble mesurer la limite du chemin emprunté jusqu’à présent. Les théologiens ont travaillé et sont parvenus à de nombreuses possibilités de rapprochement. Ils butent aujourd’hui sur des sujets à propos desquels les évêques ne sont pas près de changer. François propose alors d’encourager tout ce que nous pouvons faire ensemble, notamment dans le service des autres, espérant que, nous connaissant, agissant ensemble, nous appréciant, il devienne évident que nous sommes unis, que nous ne pouvons plus nous satisfaire des divisions. Pas sûr que cela marche mieux !
La question me paraît être de savoir si nous pouvons continuer à penser qu’il manque quelque chose de décisif pour la foi dans toutes les autres Eglises. Nous pouvons ne pas partager certaines manières de faire, de penser, d’enseigner, de prier. Très bien, mais pensons-nous qu’il manque à toutes les Eglises quelque chose de décisif pour la foi ? quelque chose qui leur manque-plus qu’à nous ? Et si ce qui manquait surtout c’était l’unité, que nous pourrions nous offrir.
L’unité ne signifie pas le retour à une unique institution. L’histoire nous a formés en différentes théologies, différentes manières de prier, différentes manières de nous organiser. Nous ne saurions renoncer à cela sans appauvrir toutes les Eglises. Mais ne pouvons-nous pas reconnaître que nos Eglises, avec leurs limites, sont des lieux de l’authentique discipline du Christ et que partant, nous nous reconnaissons disciples authentiques de Jésus. Nos différences nous opposent moins qu’elles expriment la légitime et nécessaire diversité d’une unité des différences. L’unité est un acte pas un état ; l’unité se fait des différences, elle n’existe pas comme absence de différences.
A titre de comparaison, la diversité des spiritualités, des théologies, des communautés, religieuses ou diocésaines n’empêchent pas d’être unis dans une même Eglise catholique. Non que nous soyons tous et toujours d’accord entre nous, c’est rien de le dire, mais importe l’unité. Nous ne pourrions rien faire sans vivre en communion, même différents voire opposés. Sans quoi nous serions une secte !
Si les autres Eglises, ou pour le moins d’autres Eglises et communautés ecclésiales, permettent, aussi bien que notre Eglise catholique, d’être disciples, qu’attendons-nous pour en tirer les conséquences, reconnaître que nous sommes les uns avec les autres, les uns grâce aux autres, l’authentique Eglise du Christ qui reçoit son unité du Christ, une, non d’être uniforme mais unifiée, faite un.

12/01/2018

"Certains, sans le savoir, ont accueilli des anges" (104ème Journée mondiale du migrant et du réfugié)


Aujourd’hui, je ne commenterai pas les textes. J’espère bien cependant commenter la parole de Dieu en reprenant la doctrine sociale de l’Eglise à l’occasion de la journée mondiale du migrant et du réfugié. Cette journée n’est pas une nouveauté ou la lubie de l’actuel pontificat. C’est Benoît XV, il y a 104 ans, qui l’institua et Jean-Paul II qui en fixa la date.
Il ne s’agit pas de s’attendrir sur le sort des déplacés ni de faire pleurer dans les chaumières, même si l’image-choc du petit Aylan Kurdi, dont le corps était ramassé par un garde-côte turc en 2015 avait vivement ému l’opinion, comme le font ces jours les africains qui passent le col de l’Echelle dans les Hautes-Alpes. Mais l’émotion ne dure pas ; c’est de réflexion et d’action que nous avons besoin.
A cause de l’efficacité oratoire de l’émotion, je ne résiste cependant pas à rapporter des propos récents du président des Etats-Unis d’Amérique. « Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? » La Maison Blanche n'a pas démenti et commente : « Certaines personnalités politiques à Washington choisissent de se battre pour des pays étrangers mais le président Trump se battra toujours pour le peuple américain ». Tout est dit, le mépris et la vulgarité sous couvert de se préoccuper des siens. Et qui pourrait condamner celui qui prendrait soin des siens ?
Des migrations, il y en a toujours eu. C’est une histoire aussi vieille que l’humanité. Les Européens aussi migrèrent en grand nombre, décimant au besoin les populations des territoires qu’ils découvraient et s’appropriaient. On apprend à l’école les « invasions barbares ». Les deux mots méritent critique. S’agit-il d’invasion ou de migration ? On redécouvre aujourd’hui la culture de ceux qui ont transmis la culture romaine parce qu’ils l’ont admirée. Ils sont devenus chrétiens, voire catholiques, comme les Francs de Clovis.
On estime à 250 millions les migrants aujourd’hui, soit 3% de la population mondiale. Le chiffre est en légère augmentation (absolue et proportionnelle) ces dernières années, dopé par la mondialisation voulue par et pour l’économie. Entre 2000 et 2010, le Bangladesh, le Mexique et l’Inde ont constitué les premiers pays d’émigration, qui l’aurait dit ?
On parle de crise migratoire. Mais n’est-ce pas parce que nous nous focalisons sur les migrants des pays pauvres qui viennent dans les pays riches. Plus de 50 millions des migrants viennent des pays du nord, ce n’est pas rien, 20%. On ne parle jamais des migrations Sud-Sud. On ne parle jamais de crise migratoire pour les Espagnols, nombreux, jeunes et qualifiés qui ont quitté leur pays pour chercher du travail. Ils seraient un demi-million en 5 ou 6 ans. Pas davantage pour les deux millions de français vivant à l’étranger, soit 3% de la population française. Nous sommes en pourcentage exactement autant de français hors de France qu’il y a de personnes dans le monde hors de leur pays. Trump disait qu’il était prêt à accueillir les Norvégiens plutôt que les ressortissants « des pays de merde ». « Crise migratoire » paraît signifier arrivée non acceptée de personnes pauvres, de couleur, et non chrétiennes. Certains reprochent à François d’avoir hébergé des musulmans plutôt que des chrétiens d’Orient.
L’actuel gouvernement français souhaite améliorer le dispositif du droit d’asile, et l’on peut s’en réjouir. Mais les migrants ne sont que dans une faible minorité susceptibles de prétendre à ce droit puisqu’on a décrété que la migration pour raison économique en était exclue. Vous êtes accueillis en France si votre pays vous persécute. Mais si vous crevez de faim, ce n’est pas notre problème. Nous sommes heureux de notre mode de vie. Comment nous étonner qu’il fasse envie et attire ?
La question n’est pas de savoir si l’on peut accueillir toute la misère du monde, mais de prendre nos responsabilités. Nos pays riches engrangent les principaux profits et richesses de la planète. Couper la question des migrants de celle de l’économie et de l’écologie, c’est déjà un mensonge. La question n’est pas même de savoir si on est d’accord pour accueillir ou pas. On pourra penser que nous avons le droit de reconduire à la frontière qui est entré illégalement en Europe. Reste que nous avons le devoir de le faire en respectant les droits de l’homme et que nous ne pouvons laisser la Méditerranée, notre mer comme disaient les Romains, être le plus grand cimetière de la planète.
Jusque-là, pas besoin d’être chrétien. Il suffit de comprendre ce qui se passe dans le monde en essayant de ne pas se placer seulement du point de vue de nos intérêts, qui plus est à court terme, et de notre confort, mais de se mettre un peu dans la peau des autres, ou seulement, de chercher le bien commun de l’humanité. L’accueil que nous réservons, ou non, aux pauvres prépare la paix ou les guerres de demain, celles que nous laissons à nos enfants.
La doctrine sociale de l’Eglise aide toutefois à comprendre la situation du côté des autres. « N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges. » Le conseil de l’épître aux Hébreux, nombre de ceux qui accompagnent les migrants, croyants ou non, en font l’expérience. Comme Abraham, on peut avoir peur où se méfier de l’inconnu qui arrive. Que nous veut-il ? La paix ou le vol ? (Les migrants sont plutôt en situation de faiblesse et n’arrivent pas les armes à la main comme les Européens aux Amériques ou dans les colonies, et encore aujourd'hui!)
A rencontrer, on connaît la grâce qu’ils offrent par leur seule présence, leur volonté démesurée de vivre, la fraternité élargie et partagée. Avant d’avoir un avis sur les migrants, nous pourrions nous engager à avoir parlé humainement, à avoir écouté l’un ou l’autre. Ce serait déjà beaucoup. Nous ne croyons plus aux anges, mais c’est mieux encore que nous accueillons, le Seigneur lui-même. « Tout ce que vous aurez fait, ou pas, à ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait, ou pas. »