29/07/2020

Décès de Joseph Moingt


Joseph Moingt, sj
1915  -  28 07 2020


Une interview d'il y a cinq ans.

Retraite paroissiale Barcelone 06 03 2010

24/07/2020

La folie du royaume Mt 13, 44-52 (17ème dimanche du temps)

Les trois petites paraboles (Mt 13, 44-52) de ce jour racontent moins qu’elles n’évoquent et suggèrent. Trois fois la même action à peine esquissée, la découverte d’un trésor ou d’une perle rare, une pêche fructueuse.

Chaque fois, l’abondance ou ce qui n’a pas de prix. Plus rien ne semble compter au point de rendre le texte incohérent. Que serait un négociant qui n’aurait qu’une seule perle ? Il n’a rien à négocier, il n’est plus négociant. La découverte renverse le monde d’avant.

Le texte ne raconte pas ce qui se passe après la découverte. N’importe que la découverte et l’acquisition. La perle suffit. Le trésor suffit. Ils remplacent tout, supplantent toute activité. Il n’y a plus rien si ce n’est posséder la perle, le champ, ou plutôt, être possédé par la perle, le champ, la pêche. On est pris par la découverte. La découverte s’épuise dans son advenue, et l’on devient le trésor ou la perle que Dieu découvre. Réciprocité de l’amour.

Ce qui importe, c’est l’émergence du royaume. Le royaume réside dans son advenue. Il est ce qui advient sans cesse, toujours neuf. Le royaume est ce qui nous arrive et tout est renversé, nouveau monde, monde qui demeure nouveau même après des années. L’amour aidera à comprendre : Ceux d’entre nous qui sont tombés raides amoureux, possédés par l’amant, connaissent cela. Plus rien n’a de sens. Tout change. Compte ce qui arrive, ni l’avant, ni l’après. L’amour et le royaume sont sans cesse renouvelés, ils ne peuvent qu’advenir.

L’évangile du royaume bouleverse les manières de penser et de vivre, les renouvelle. L’évangile du royaume n’est pas un badigeon sur nos vies, histoire de leur donner un petit coup de neuf ou de gaité, une dimension spirituelle parce que cela serait convenable. L’évangile change le nord. Nos boussoles ne sont plus bonnes à rien.

Tout plaquer pour l’évangile du royaume, tout claquer pour lui. Folle histoire comme un coup de foudre. Est-il possible d’être disciple du royaume autrement qu’à cette folie ? Nos paraboles ne le laissent pas imaginer.

Lire les trois histoires dans la foulée, c’est entendre une tension que la troisième met en scène. Que va-t-il se passer avec le filet ? Une nouveauté, encore ! Cette fois, on trie. Cette fois, on décrit ce qui se passe après l’advenue. Tout n’est pas bon dans ce qui advient. Il ne suffit pas du bouleversement pour qu’il s’agisse du royaume. C’est comme en amour. Il ne suffit pas du coup de foudre pour changer de vie, surtout si l’on est déjà engagé… par amour.

C’est pour cela qu’il faut prendre le temps de la critique ; c’est l’étymologie, passer au crible, trier. Il y a le bon et ce qui ne vaut rien. La conclusion des trois paraboles, avec le scribe « qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien », décale encore le propos, et c’est cela qu’il faut entendre. Attention, tout ce qui a saveur de royaume ne l’est pas.

Quel est le critère ? Le nouveau est l’ancien ! L’évangile du royaume n’apporte de nouveauté que ce qui est déjà bien connu, parce que la loi d’amour est aussi nouvelle qu’ancienne, et qu’il n’y en a pas d’autre. « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, c’est un commandement ancien, que vous avez reçu dès le début. Ce commandement ancien est la parole que vous avez entendue. Et néanmoins, encore une fois, c'est un commandement nouveau que je vous écris. » (1 Jn 2, 7-8).

De quoi parlent nos paraboles ? De l’engouement suscité par l’évangile du royaume, et de sa nouveauté. Assurément, sans engouement, sans folie, sans nouveauté, ce n’est pas l’évangile du royaume.

Mais au nom de cet évangile du royaume, on peut faire n’importe quoi, puisque le nord est bouleversé. On peut être manipulé et manipuler. Le royaume est prétexte à tout type de trafics, abus de pouvoir et autre ; comme l’amour. On s’abandonne, on se rend vulnérable puisque l’on abandonne tout pour le trésor ou la perle. Se laisser bouleverser par ce qui advient, toujours nouveau, requiert que l’on trie, juge du bon et de ce qui ne vaut rien. On ne retiendra de nouveau que ce qui est ancien, le commandement de l’amour.

17/07/2020

Offrir nos corps comme une flûte où chante l’Esprit (16ème dimanche du temps)

Durant le confinement, alors que la pandémie brouille tous les repères, manifeste à tous ce qu’est la science, une recherche sans cesse contredite, rend violemment évidente la fin des certitudes, beaucoup, de par le monde, ont besoin de se raccrocher à un puissant secours, à un roc inébranlable. Rien de mieux que la religion, qu’il s’agisse des traditions immémoriales ou des bricolages improvisés.

On a assisté, y compris dans l’Eglise, à des expressions plus que curieuses, mariant la technique dernier cri et les superstitions qu’on croyait d’un autre âge. Même des évêques s’y sont hasardés, brandissant l’ostensoir depuis un hélicoptère au-dessus de cités violemment touchées par le virus. Des neuvaines aux saints les moins attestés se sont développées sur les réseaux sociaux. On a sorti les reliques médiévales : or, on n’est plus au Moyen-âge. A faire en 2020 comme il y a six ou sept cents ans, on fait différemment ; pensant être traditionnels, on innove... ou plutôt, on renoue avec l’archaïque, ce qui en religion s’appelle paganisme. On s’imagine chrétien et l’on est païen.

Est-ce cela la prière ? La question mérite d’être posée à l’aune de la deuxième lecture (Rm 8, 26-27). « Nous ne savons pas prier comme il faut. » S’il est acquis que la prière n’est pas notre œuvre, n’est pas une œuvre, mais grâce, don de l’Esprit, est-il légitime de regarder de haut la débauche superstitieuse à laquelle nous avons assisté. A travers les mots et les rites les moins orthodoxes, l’Esprit prie en nous parce qu’il « vient au secours de notre faiblesse ».

Il convient alors de considérer moins ce que l’on a fait pour prier que la disposition qui était la nôtre. L’Esprit « intercède pour nous » « et les fidèles ». Il transforme notre faiblesse en « gémissements ineffables ». Nos cris sont les siens. Notre attente d’un secours permet qu’il prie en nous, si nous reconnaissons ne plus rien maîtriser, si nous nous abandonnons.

Si ces prières, gestes et rites ont prétendu avoir une efficacité contre la pandémie, ils étaient païens, dévoiement de ce que l’Eglise a de plus cher, avec le service, l’eucharistie. Si ces prières signaient notre renoncement à tout maîtriser y compris Dieu, elles étaient confiance ‑ ta foi t’a sauvé ‑ même indéterminée, et l’Esprit s’en est emparé. Nombre de ceux, quelle que soit leur tradition religieuse, qui ont ainsi fait confiance à celui qui pouvait les sauver sont entrés par l’Esprit dans le mouvement même du Fils : sa violente clameur et ses larmes, ses implorations et des supplications sont devenues les leurs. (cf. He 5, 7).

Voilà de quoi nous décomplexer. Mais si l’on relativise ainsi les formes que prend notre prière, il n’est plus possible de penser que l’on prie plus ou moins bien, plus ou moins. Il n’y a plus de super prières, de rites plus efficaces que les autres. Inutile et même sot de promener le saint sacrement en hélicoptère, de monter sur les toits ou clochers des églises pour bénir la cité avec un ostensoir, de sortir des placards les reliques médiévales.

Si l’on ne sait pas prier comme il faut, il est inutile de vouloir bien faire, il est même païen de penser que l’on peut bien faire, mieux faire, faire plus. La prière n’est pas une œuvre. Elle est fondamentalement disponibilité, passivité. Nous prêtons notre corps à l’Esprit qui souffle en nous comme en une flûte, un cor, une trompe ou une corne, la louange que le Fils rend au Père.

Si l’on doit bien faire, ce n’est pas à faire plus, mais plutôt moins, ce que la tradition appelle passivité, s’abandonner à l’Esprit qui prie en nous et « vient au secours de notre faiblesse ». Ce n’est pas nous qui prions. D’ailleurs, « nous ne savons pas prier comme il faut ». Prier, c’est s’en remettre au seul orant, ce que fait l’Esprit en nous.

On pourra réciter des prières, on pourra danser ou se tenir debout les mains tournées vers la face du Père. On pourra écouter de la musique, chanter ou se taire. On pourra contempler une œuvre d’art, icône ou toile de maître, s’émerveiller devant un paysage. Tout cela n’est pas prière cependant, mais ce qui nous tient dans le silence. Les gestes et mots nous aident à répondre à Dieu, à son amour premier. Lui répondre, c’est l’écouter.

Même assemblés dans la prière de l’eucharistie, archétype de toute prière, nous sommes seulement entraînés à cela, nous laisser traverser par l’Esprit, donner nos corps aux langues de feu pour que brûle enfin le cœur de la terre.

12/07/2020

Maurice Bellet, quelques citations

L’ouvrage de Myriam Tonus, Ouvrir l’espace du christianisme est une introduction à l’œuvre de Maurice Bellet. Fallait-il parler de christianisme alors que Bellet, comme le rappelle M. Tonus, se méfie des « -isme » ? Les mots sont piégés. Ils importent que pour autant qu’ils permettent d’entendre la parole.

Le début de la deuxième partie met en place une grille de lecture de l’écoute à partir de la psychanalyse. Les « éléments » présentés deviennent théorie, et même vulgate analytique. Assurément, il importe de distinguer le bien et le mal, le vrai et le faux. Assurément, une autorité, comme ce qui assure et rend possible, est nécessaire. Assurément, la différence, les différences, structurent l’existence humaine et leur négation est toujours violence.

Cependant, cette grille n’est plus donnée, disponible, si jamais elle l’a été, sans cesse contredite dans la vie des humains. Ce dont elle parle n’existe pas comme idéal, ni même utopie, mais comme ce que l’on sauve de l’humain dans l’inhumain, ce par quoi l’on sauve l’humain de l’inhumain, ce que l’on récolte d’expérience après la traversée du mal. Pourrait desservir l’impression d’une mythologie analytique, encore décidément moderne, cartésienne, en contradiction avec ce que Freud prétend faire en humiliant la certitude.

L’ouvrage présente une ouverture, il ne la décrit pas seulement, mais comme l’œuvre de Bellet, il la pratique. Le texte de M. Tonus est une expérience d’ouverture, non seulement à la pensée de Bellet, mais plus encore à travers les enfermements auxquels Bellet propose une sortie.

Les citations de Bellet sont autant de pépites, introduites ou commentées. Outre la connaissance que M. Tonus a de Bellet et de ses travaux, le choix et l’enchâssement des citations indiquent l’ouverture. Comme un bouquet champêtre, composé avec ce qu’offre le hasard d’une balade, je ne voudrais pas perdre ces lignes, les paroles que M. Tonus donne d’entendre ou de réentendre.

Je ne retiens ici que celles concernant la foi et l’évangile, quelques-unes d’entre elles. Celles sur l’écoute, sur le monde contemporain, sur la traversée du mal mériteraient d’autres cueillettes, ce qu’on l’on appelle florilèges.

La parole de Bellet a autorité ‑ non pas institutionnelle, encore que ‑ parce qu’elle est écoute. A la suite de Jésus qui parle avec autorité, elle assure ceux qui l’écoutent dans leur désir de vivre malgré le mal, ne serait-ce qu’en les relevant ; elle témoigne que l’écoute de la parole de Jésus fait jaillir la vie ; elle se débrouille à laisser l’évangile être parole nouvelle, heureuse annonce.

 

J’en ai donné une comparaison fragile, mais peut-être utile ; c’est comme un cube dessiné au tableau noir, qui n’est pas du tout un cube, mais pourtant le rend présent à qui peut voir – sans voir. (Si je dis credo, p. 55 / MT 46)

La parole d’amour ne parle pas sur l’amour – sinon occasionnellement, et c’est d’ailleurs vite suspect quant au sérieux de l’amour ; elle parle amoureusement à l’aimé. La parole qui « porte » Dieu ne parle pas nécessairement de Dieu ; c’est même son plus grand piège. Elle parle « divinement » à l’homme. (Naissance de Dieu, p. 531 / MT 125)

Le visage du ressuscité, c’est celui du crucifié ; sa parole est celle d’un amour qui ne s’est pas tenu dans le cercle bienheureux de l’amour réciproque, mais qui s’en est allé jusqu’au lieu de la violence extrême et qui s’est tenu là, jusque dans l’angoisse et l’extrême douleur, sans pourtant que faiblisse le très essentiel, sans que la destruction soit le dernier mot. Dans cet homme-là, le lieu de l’amour, c’est l’abîme.
Et le sens que peut prendre ici (je dis bien ici, en ce moment-ci, sans préjuger d’ailleurs ou d’après) la résurrection, c’est que l’amour peut vivre jusque sur la croix, après le procès infâme – et que donc l’amour vit, par-delà la grande mort.
Le procès, la crucifixion, le resurgissement, c’est la traversée de l’abîme. Ce que dit cette parole, identique à l’être humain resurgi, c’est que l’abîme n’est pas tout-puissant. (Le Dieu sauvage, pp. 76-79 / MT 128)

La foi au Christ n’est pas une croyance, mais une mutation de l’homme. (Théologie express p. 58 / MT 130)

Jésus n’est pas une idée, c’est un style. C’est un déplacement de tout ce qu’il touche ; la religion, les rites, les croyances, les miracles, la loi, le temple. D’autres que lui faisaient des miracles ; il y a, dans les mythes païens, des dieux qui ressuscitent. Mais il y a sa manière à lui. (Le Dieu sauvage, pp. 98-99 / MT 130)

Cet homme est le grand JE, pas l’individu, pas le sujet singulier existentiel. […] JE où toute humanité communique, en sorte que le plus propre et singulier de chacun se connaît hors solitude – et donc possible – d’être ce JE dans l’union avec lui, qui elle-même ne m’est donnée que dans l’amitié et l’amour, le soin et le pardon que je donne à ceux qui me sont donnés. (L’extase de la vie, p. 56 / MT 131)

Alors commence d’apparaître qui si je dis : Christ est ressuscité, ou si je dis : aimons-nous les uns les autres, je dis la même chose, parce que le lieu de cet amour est l’abîme, quand l’abîme est traversé par l’homme resurgissant de la ténèbre. (Le Dieu sauvage p. 79 / MT 133)

Si cela est [la résurrection], ça se passe en Dieu. Mais comme Dieu, personne ne l’a jamais vu, il est également impossible de parler de la résurrection… (sans référence / MT 144)

Un homme s’est levé parmi les humains qui osa risquer le tout pour le tout. Il crut l’impossible, il crut que l’obscure puissance où git le destin des humains, elle était en lui, qu’elle le traversait de part en part et qu’elle donnait la vie. Il a cru qu’il était le vivant et que l’homme, en tout homme, n’est pas né pour la mort, mais pour la vie. Il a cru que l’obscure puissance était en vérité lumière, un amour passant tous les amours, la donation irrésistible qui pouvait tout transfigurer, même l’intolérable, l’abject, l’en-bas. Il a cru pouvoir passer par l’en-bas sans s’y détruire, sans que son esprit soit détruit, ce souffle qui faisait de tout son corps la parole vive où pouvaient se nourrir les affamé – la faim est le fond de l’homme.
Il est mort.
Quelques-uns ont affirmé que sa mort n’était pas sa fin. Le souffle tombait sur eux comme un feu du ciel et le grand Serviteur des humains revivait en eux. Ils se sentaient le don et la force d’aller jusqu’aux confins du monde pour porter la nouvelle inouïe ; nous sommes saufs de la mort, cette mort qui emplit la vie elle-même, qui corrompt tout, qui fait des humains les meurtriers des autres et d’eux-mêmes. La destruction n’est pas le dernier mot. Quelque chose commence aujourd’hui, dans l’éternel aujourd’hui du Fils de l’homme, où tous les dieux partent en fumée, où tous les pouvoirs sont subvertis, où la sagesse avoue sa folie et où les hommes pieux sont bouleversés, quelque chose où le Dieu créé par les humains se défait dans cette apparition inimaginable : le fascinant et terrifiant s’est résolu en ce Visage d’homme où tout visage humain peut être reconnu, en cette Parole où toute parole peut être entendue, où le moindre des humains, enfin, a la dignité du Dieu par-delà tous les dieux.
Ainsi naît une humanité délivrée de l’enfer. (Translation p. 71 / MT 191-192)

C’est un changement de lieu, vers un autre ensemble premier de relations. Dès les évangiles, dès Paul et les autres, ce changement en en marche. On sait la critique, parfois féroce, que Jésus fait des hommes religieux de son temps. On sait comment la critique de la Loi menée par Paul bouge tout. Mais le plus fort est évidemment la mort du Christ. Ce qui meurt sur la Croix, c’est tout le divin tel que les humaines le pensent et l’imaginent. (Christ, p. 58 / MT 195)

Le peuple qui dit sa référence christique risque de l’enfermer dans ce qui détruit la relation où précisément c’est ce Christ qui aurait à parler. […] On peut s’en étonner, s’en irriter, mais c’est ainsi, sinon toujours, du moins en bien des cas. Dites : Christ, Evangile, Dieu, Eglise, et ce qui s’entend est tel que ces mots-là réduisent ou suppriment le lieu où ils pouvaient parler. Extrême paradoxe de la conséquence : pour les dire, il faut les taire. (Translation p. 230 / MT 201)

L’Eglise, c’est que je ne peux être seul devant Dieu. (La longue veille 187 / MT 202)

Peu à peu, pour moi, l’Eglise s’est déliée, détachée, de ce qu’à peu près tout le monde met sous ce mot. […] Le « sujet » de la mystique elle-même n’est pas moi, mais nous. Il n’y a pas d’âme et Dieu : il y a Dieu en nous. (La longue veille p. 187 / MT 202)

Si vraiment de cet homme a jailli le feu qu’il voulait voir s’allumer sur la terre, alors il est impossible que ceux qui entendu cette voix ne constituent pas un groupe à part : tout simplement parce que d’autres ne l’ont pas entendue et que ce qu’elle dit est d’une telle force que d’entendre ou pas fait une différence majeure. (Translation p. 177 / MT 203-204)

Celui qui nomme Dieu et celui qui ne le nomme pas peuvent s’éprouver proches, profondément proches, par leur façon d’habiter la vie, l’esprit de recherche et d’ouverture, le lien d’amitié qui se soutient par-delà toute prétention. En revanche, l’un et l’autre étrangers à ceux qui, paraît-il, sont de même conviction, opinion ou appartenance qu’eux-mêmes, en butte fréquemment à leur hostilité, et dans l’impossibilité de se faire entendre d’eux. Autre paysage, vraiment. (Dieu, personne ne l’a jamais vu, p. 74 / MT 204)

Si Dieu est, il n’est pour nous que dans la relation actuelle. Dieu est pour nous quand nous sommes à Dieu, c’est-à-dire quand se fait en nous l’émergence de cette humanité où l’amour est vainqueur du meurtre. Et si nous sommes chrétiens, Dieu est pour nous quand Jésus, le frère premier-né (celui qui parla le premier) devient Christ et Seigneur, « image du Dieu invisible ». Mais hors ce moment de lumière, Dieu retombe dans les constructions équivoques, au péril de la perversion majeure. (Le Dieu sauvage p. 179 / MT 227)

Ce que signifie Jésus-Christ, lui-même et en personne, c’est déjà que tout passe en l’être humain, en chacun, chacune et toute l’humanité. Il n’y a plus de puissance extérieure qui imposerait à l’homme sa loi. Ce n’est pas un constat tranquille ! Le croire, c’est un acte de foi, qui ne se vérifie que dans ce qu’il opère, jusque dans les moments de désespérance, quand la foi ne tient malgré tout qu’à la « fine pointe de l’âme », comme on disait autrefois. C’est là déjà le sens qu’on peut entendre à la formule « Dieu fait homme », puisqu’elle attribue à l’être humain ce qui relève de la puissance divine. Prodigieux déplacement, qui pose en quelque sorte au principe que l’écart entre Ciel et Terre est en nous… (Un chemin sans chemin, p. 100 / MT 228)

C’est à la fois le réel de chaque jour et le très lointain. Nous restons, pour cette lumière, boue et cendre. Ce n’est pas correction ou perfection acquises et possédées, c’est toujours enfouissement, mûrissement, traversée.
La seule déviance à absolument éviter serait cette prétention bouclée sur soi, qui nous rendrait sourds et aveugles, comme cet étrange péché contre l’Esprit, dont la morale ordinaire ne sait rien.
Il arrive à certains de ne goûter que l’absence et l’épreuve.
Si quelqu’un se trouve alors sans Dieu, sans pensée, sans images, sans mots, reste du moins pour lui ce lieu de vérité : aimer son frère, qu’il voit.
S’il ne parvient pas à aimer, parce qu’il est noué dans sa détresse, seul, amer, affolé, reste du moins ceci : de désirer l’amour.
Et si même ce désir lui est inaccessible, à cause de la tristesse et de la cruauté où il est comme englouti, reste encore qu’il peut désirer de désirer l’amour. Et il se peut que ce désir humilié, justement parce qu’il a perdu toute prétention, touche le cœur du cœur de la divine tendresse.
« Ce n’est pas sur ce que tu as été ni sur ce que tu es que te juge la miséricorde, c’est sur ce que tu as désir d’être. »
Il n’y a pas d’homme condamné. (Incipit p. 75-77 / MT 229)