26/05/2023

T. Ben Jelloun, Au plus beau pays du monde (nouvelles)

Tahar Ben Jelloun, Au plus beau pays du monde, Seuil, Paris 2022
 
 

 

Une série de quatorze nouvelles (publiée en octobre 2022) comme autant de micro-observations de la société marocaine contemporaine, surtout celle d’une classe sociale aisée, souvent installée entre le Maghreb et l’Europe. Des miniatures pleines de tendresses ou porteuses d’une violence terrible. Le déchirement d’une identité entre un pays dont on n’est pas ou plus et un autre dont on ne sera jamais totalement, soit que le racisme l’empêche, soit que la nostalgie d’un art de vivre l’interdise.

Au plus beau pays du monde dit l’exagération nostalgique au point que l’on ne sait s’il faut entendre le titre comme la joie et la fierté d’avoir la chance d’être de ce pays ou l’ironie qui dénonce le mensonge de ce que l’on serait obligé de dire à propos de son pays. Selon que vous lisez telle nouvelle plutôt que l’autre, selon que vous êtes sensible à la beauté d’une civilisation ou agressé par la force du destin ‑ Mektoub, c’est écrit ‑ vous oscillez d’une interprétation. Le titre du recueil, contrairement à ce qui arrive souvent, n’est pas celui d’une des nouvelles mais celui du poème qui ouvre le volume. Pas sûr qu'il permettre de trancher sur ce que l’auteur pense lui-même du plus beau pays.

La langue est belle, poétique. Cela ne fait qu’en rajouter au déchirement. Comment dire la méchanceté et la cruauté bellement ? N’est-ce pas déjà les civiliser, les policer, les amoindrir ?

La première nouvelle se joue dans la dernière ligne. C’est magnifique. Mais là encore, les interprétations sont ouvertes, rien n’est dicté. Non, ce n’est pas écrit, et c’est sans doute cela qui permet de dire, au premier degré, que l’on est au plus beau pays du monde.

Colmater les brèches ou laisser passer l'Esprit (Pentecôte)

Eglise St François, Abrahamic village (EAU)

 

C’est bien embêtant ces petits morceaux d’évangile découpés pour l’occasion. Matthieu ne raconte pas la Pentecôte, alors on imagine que Jean le fait et l’on entend un bout (Jn 20, 19-23) de ce que nous avons lu il y a six semaines, la rencontre avec Thomas (Jn 20, 19-29). Quel sens ont ces versets hors contexte ? L’introduction temporelle a été trafiquée. Nous sommes au soir de Pâques, et non un dimanche après la mort de Jésus.

Voilà un évangile à lire en prison, au plus fort de la guerre, dans la crise, lorsque la maladie va l’emporter. « Les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs. » Une crainte à mourir de trouille ! Et, dans la mort, un souffle… de vie.

Le contraire de la foi n’est pas l’athéisme, mais la peur. Croire, c’est refuser l’inéluctable ; croire, c’est la vie qui échappe à l’emprise de la nécessité ; c’est le contraire de la vie sans avenir, non que l’adversité soit dissipée, la mort renversée. Croire, c’est refuser que la mort é-dicte le dernier mot, surtout par anticipation. Les Onze sont morts alors qu’ils respirent encore, suffisamment pour calfeutrer la prison où ils se réfugient et s’enterrent.

Voilà ce que fait la résurrection, l’insurrection. La peur, la mort au terme de la maladie, le handicap qui limite nos relations et nos capacités à jouir de l’existence, cela n’est pas l’horizon ni notre avenir, ici, maintenant, dans les jours, mois, années qui viennent. La vie, que l’on ne découvre pas autrement qu’à croire, à faire le pari de la confiance avec et pour les autres dans des sociétés que nous voulons justes, c’est possible ; tant la pratiquent.

Il ne s’agit pas d’imaginer que ce qui fait peur, ce qui tue, ce qui ampute va ‑ coup de baguette magique ‑ disparaître. Il s’agit, dans ce qui tue, d’être attentif au souffle de vie, imprévisible, ou du moins, imprévu, survenant comme un don, la gratuité, le superflu.

Dans l’impossible ‑ « pour les hommes, c’est impossible » ‑ reconnaître une brèche, ou du moins, une fissure par où entre le souffle. Jésus est mort. Voilà qui met tout en l’air (!), pour les disciples, de leur espoir. Ils seraient surpris que 2000 ans plus tard, on célèbre encore le don de l’Esprit : « il souffla sur eux et il leur dit : "Recevez l’Esprit Saint" ».

Notre Eglise va mal, nos communautés. Avec Jésus, nous pouvons légitimement poser la question de savoir s’il y aura, non à la fin mais dans quelques générations, la foi sur la terre, du moins dans la vieille Europe. Certains, pour faire face, s’emploient à colmater les brèches. C’est tout le contraire qu’il faut faire ! S’ouvrir au souffle. Non pas mastiquer les fissures, mais les agrandir pour que le vent souffle où il veut, comme il veut, grandes rafales. Ce qu’est l’avenir d’une communauté de consacrés, d’une paroisse, d’un mouvement d’apostolat, de nos structures qui ont tant porté, ne peut pas, ne doit pas être notre préoccupation.

S’il n’y a plus personne pour être prêtre comme nous définissons qu’il faut l’être, va-t-on continuer à euthanasier les communautés ? S’il n’y a plus personne pour s’engager dans la vie consacrée, va-t-on continuer à dire que la vie de la majorité est moins donnée, disponible ?

« Recevez l’Esprit saint. Pardonnez. » Annoncez à temps et à contretemps, non par des paroles ‑ assez de blabla ! ‑ mais par votre vie que la paix est là, juste derrière nos haines, qui attend qu’on veuille bien ouvrir les yeux et les mains. Nous sommes tous pour la paix, à condition que cela ne nous empêche pas de gagner voire de seulement continuer nos guerres ! Nous sommes plusieurs à vouloir la vie de l’Eglise, mais nous refusons d’abandonner ce qui la fait mourir. Soyons sérieux ! L’inéluctable n’est pas l’insurrection de Jésus, mais le souffle.

Nous avons tous vécu qu’à croire l’inattendu, on était vivant, qu’à mourir on ressuscitait. C’est psychologiquement commun. Parfois, c’est de l’auto-persuasion. Mais c’est un fait, un souffle de vie s’engouffre dans nos failles et nos morts, on est relevé, ressuscité. « Cherchez le royaume et sa justice et le reste sera donné par-dessus le marché ! »

« Le problème n’est pas de savoir s’il sera possible de restaurer l’entreprise ‘Église', selon les règles de restauration de toutes entreprises. La seule question qui vaille est celle-ci : se trouvera-t-il des chrétiens pour vouloir rechercher ces ouvertures priantes, errantes, admiratrices ? S’il est des hommes qui veuillent encore entrer dans cette expérience de foi, qui y reconnaissent leur nécessaire, il leur reviendra d’accorder leur Église à leur foi. » Certeau, La faiblesse de croire, p. 313).