24/03/2012

Dieu et la mort (5ème dimanche de Carême)

Nous voulons voir Jésus (Jn 12,21). Alors que l’on parle de nouvelle évangélisation, nous pourrions rêver que l’on s’adresse ainsi à nous. Nous aimerions bien, comme disciples de Jésus, à la suite de Philippe, être abordés pour que nous montrions le Seigneur de notre foi.
Cependant, si l’on ne s’arrête pas à l’enthousiasme d’une lecture conditionnée par notre souci missionnaire dans un monde toujours plus déchristianisé, le texte de l’évangile nous convoque à une sorte de coup d’arrêt. Jésus, que Philippe et André sont allé chercher, comme des intermédiaires, parle de mort. Il parle de la sienne, mais l’inscrit dans un cadre plus général, non seulement la mort de chaque homme, mais la mort y compris des végétaux.
Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit. (Jn 12,24)
Cette loi de la nature qui fait passer la vie par la mort n’est pas le simple constat du naturaliste. C’est le cri d’un homme bouleversé au point de ne même pas se réjouir de ce que des Grecs, des païens, cherchent à le voir, qui n’a même plus la politesse de les accueillir. Comme si l’adresse de l’évangile à tout homme, à l’humanité, devait passer par la mort de Jésus, comme si l’universalité de l’évangile comme abondance de fruit devait passer par la mort. Et de fait.
Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci. (Jn 12,27)
Si Jésus est ainsi sens dessus dessous, nous avons de quoi accepter notre propre révolte. Que la loi de la vie passe par la mort, voilà qui justement, pour l’homme, ce vivant qui pense son existence, ne passe pas, ne peut pas passer. Il y a scandale, ce qui fait trébucher.
Le Christ, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. (He 5, 7-9)
On dira que Jésus finalement consent. Mais ce n’est pas pour dire oui à la mort. C’est plutôt pour lui apporter le non définitif. C’est pour tuer la mort si l’on peut dire, qu’il se livre à la mort. L’acceptation de l’heure, l’accueil de l’heure n’entretient aucune complicité avec la mort. L’acceptation de l’heure est l’achèvement, l’extrême de l’amour du Père pour le monde, la possibilité de ce qu’enfin, la parole du Père puisse être adressée de façon audible, à tout homme, de toute culture, de tous les temps. L’acceptation de l’heure n’a de sens que pour la récolte des fruits. Le semeur ne consent à sacrifier le grain que parce qu’il en attend une récolte. Si toute la semence est mangée par les oiseaux ou détruite par les intempéries, les semailles sont vaines. Sans la récolte les semailles sont folies.
La mort de Jésus est folie. Elle révolte jusqu’à Dieu. Comment le Père qui est un avec le Fils ne serait-il pas profondément atteint par la mort de cet homme ? Dieu est bouleversé par chaque mort humaine. Car Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la perte des vivants (Sg 1,13). Qui donc est Dieu pour laisser son Fils livré à la mort ?
Avec le Fils, il a engagé le grand combat. Il faut détruire la mort et je ne trouve pour l’exprimer pas d’autre manière que de dire qu’en s'y livrant, il la fait exploser de l’intérieur. C’est comme si le Fils, Dieu lui-même, source intarissable de vie, en entrant dans la mort, la faisait voler en éclat, anéantissait le néant de la mort.
Le prophète donne le sens de notre rassemblement. Nous anticipons dans l’eucharistie le festin des noces de l’agneau, lorsque le Seigneur aura fait disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux, de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages (Is 25,6.8).

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