17/11/2017

Entre dans la joie de ton maître (La parabole des talents) 33ème dimanche


On fait de notre parabole (Mt 25, 14-30) une leçon de morale : nous avons reçu des talents, des dons que nous devons faire fructifier. C’est particulièrement évident avec la lecture brève. Cela réduit, premièrement l’évangile à un code de bonne conduite. Comme si nous lisions l’évangile pour y trouver des règles de savoir-vivre ! Pas un mot sur Dieu ou les frères ! Nous avons reçu des talents, des dons que nous devons faire fructifier.
Plus grave encore et deuxièmement, cette morale dit le contraire de la parabole. Autrement dit, on fait dire à l’évangile le contraire de l’évangile tout en certifiant que c’est l’évangile. Nous disons parole de Dieu, ce qui est son contraire. Nous ne faisons que canoniser notre morale trop courte, sans doute pour ne pas entendre la nouveauté évangélique.
La parabole, en effet, avec le troisième serviteur, met en crise le mérite et le système de récompense, ou de punition. Nulle part n’est dit dans le texte ce que les serviteurs doivent faire des talents. Le maître les a remis et confiés, dit notre traduction. Ce n’est pas exact. « Il leur transmit sa fortune (comme un héritage). À l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités. » S’agit-il d’un dépôt avec une charge, ou bien d’un don ? Il est curieux qu’en affaires si importantes, rien ne soit dit d’un contrat ou de directives. C’est sans doute qu’il n’y a pas de contrat, mais un don.
Cela n’a rien de très étonnant si le maître représente Dieu. Eh bien oui, Dieu donne ! Je m’étonne que nous pensions spontanément que Dieu puisse demander des comptes, « régler ses comptes » dit même le texte – et nous n’avons pas sursauter ‑, attendre de nous un retour sur investissement. Quelle image avons-nous de Dieu ? Dieu donne, Dieu se donne. C’est le cœur de notre foi. Il ne demande rien : « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Et il n’y a pas de contrepartie. C’est même ce qui fait la différence de notre foi d’avec toutes les religions. Ce n’est pas nous qui donnons à Dieu, c’est Dieu qui donne, c’est Dieu qui s’offre. Comment se fait-il que nous revenions sans cesse à un Dieu qui attendrait que nous lui donnions, rendions, rendions des comptes ?
Ce sont les deux premiers serviteurs qui racontent qu’ils ont fait fructifier les biens. Et la félicitation du maître nous fait croire qu’il y a récompense. Puisque ce maître est Dieu, nous mettons en place une théologie du mérite. Les performants sont récompensés, les autres châtiés. Le problème, en outre, c’est que celui qui a le moins de capacités, selon les propres mots du texte est puni. C’est juste le contraire de l’évangile, l’amour préférentiel des pauvres, le pardon accordés aux pécheurs, Jésus venu pour les pécheurs et non les justes.
Plutôt que d’enlever du texte ce qui nous gêne, quitte à faire dire à l’évangile le contraire de l’évangile, il convient de regarder exactement où réside le problème. Réécoutons le boniment, il faudrait dire le « maliment » du dernier serviteur. « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. »
Le serviteur insulte le maître, le traite de voleur ! Celui qui récole où il n’a pas semé, n’est-ce pas un voleur ? Pire, il lui rend le talent, pourtant donné, et s’estime quitte : « tu as ce qui t’appartient », nous sommes quittes, je n’ai plus rien à voir avec toi. Etonnez-vous que cela ne se passe pas très bien ! Et nous qui nous faisions spontanément défenseur de ce pauvre type chassé alors qu’il avait moins de capacités que les autres !
Que vient faire ici la chute, la condamnation ? N’est-elle pas, elle plus que le reste, contraire à l’évangile ? Assurément. Mais nous avons ce que nous voulions. Si nous cherchons une théologie du mérite, de la récompense, cela ne pourra que mal finir, parce que nous ne méritons pas grand-chose en matière d’amour des frères et de service de Dieu. La théologie du mérite se fracasse contre cette implacable conclusion, contraire à tout l’évangile. Il nous faut impérativement passer à une théologie de la grâce, du don de Dieu, du don gratuit de Dieu. La conclusion n’est pas ce que pense Jésus, mais la conséquence logique de ce que nous pensons. Ce n’est pas la conclusion qu’il faut rejeter, comme le fait la lecture courte, mais, à la suite de Jésus, la théologie du mérite et de la récompense, la conception du Dieu qui punit.
Reprenons l’histoire. Le maître part au loin et longtemps ; Dieu qui nous laisse bien seuls, comme nous l’expérimentons. Chacun mène sa vie comme il peut. Certains font des affaires. Certains ne font pas grand-chose, ou du moins pas grand-chose qui ait du sens aux yeux des autres. Certains sont meilleurs que les autres. Le maître revient. Et voilà la rencontre avec le maître : « Seigneur, comme nous sommes heureux que tu sois revenu. Comme tu nous as manqué. Je sais que tu es un homme bon. Tu sèmes pour nous récoltions, pour que nous ayons la vie en abondance. Tu es généreux, tu te donnes. Tu nous avais donné des talents, un peu de toi. Durant ta si longue absence, il nous a rappelé ta présence. Mais maintenant que tu es là, il ne vaut plus rien. Tu es là, et c’est la joie. » Avant même que le maître n’ait répondu quoi que ce soit, les serviteurs sont entrés dans la joie de leur maître !

8 commentaires:

  1. Pour moi la théologie du mérite n'existe absolument pas,car bien entendu il est hors de question de faire du bien dans le but de nous sauver et d'obtenir notre visa pou la Vie Eternelle,il n'est nullement question de performances, mais le Christ nous demande de tenter de passer par la porte étroite,or le serviteur qui rend don talent au Maître à refuser volontairement de le faire. Par ailleurs je ne crois pas que "Dieu nous laisse bien seuls" car le Christ a dit "et moi je suis avec vous chaque jour jusqu'à la fin du monde" Certes, il est évident que nous avons le sentiment d'être v bien seuls,qui pourrait le nier,mais ce n'est pas LUI qui nous donne ce sentiment

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  2. Merci.
    Où avez-vous lu dans la parabole que le serviteur qui rend son talent "a refusé volontairement" de passer par la porte étroite ? Qu'est-ce qui vous permet semblable affirmation ? Je pense que sur ce point du moins, vous ne respectez pas le texte.

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    1. C'est tout de même bien ce serviteur qui, selon vos propres termes, insulte le maitre en allant même jusqu'à le traiter de voleur;Certes il dit qu'il a eu peur,mais est ce suffisant sans exprimer le moindre regret ,bien mieux il envoie le maître dans les cordes

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    2. Oui, vous relevez bien ce que je dis. Mais je n'assimile pas cette attitude au refus de passer par la porte étroite. Cela, je ne le trouve pas dans le texte, et je ne vois pas ce qui peut autoriser à l'y mettre. Cela je répugne à le mettre, parce que cela risque de nous ramener à une histoire de morale, de comportement.

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    3. mais cela n'a rien à voir avec une morale de comportement:le Christ nous a dit de nous efforcer de passer par la porte étroite. Dés lors il me semble que nous devons nous y efforcer en ne comptant évidemment pas uniquement sur nous-mêmesmais aussi sur Lui puisque nous devons tout faire par amour et bien évidemment pas par obligation
      Certes ce texte ne parle pas de "porte étroite" effectivement mais , peut -être à tors je ne peux m'empêcher d'y penser,et ce sans avoir pour but d'être" dans les clous",absolument pas

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    4. Comme cette parabole a pu desservir la transmission de la foi !
      Un Dieu qui donnerait…pour reprendre, qui réglerais des comptes, tel un banquier inique, qui rejetterais le « paresseux », qui s’accaparerait le fruit du travail de l’autre…Il est clair que l’on ne peut pas croire en un tel Dieu !
      Pourquoi a-t-on changé le sens même du texte ? Pourquoi toujours prêter à Dieu des sentiments qui sont les pires que nous ayons en nous ?
      L’amour, qui est toujours un « éternel voyage » comme dit Debruyne, laisse des dons sur sa route : dix, cinq, un talent. Nous sommes effectivement les œuvres du créateur, avec son infinie diversité. Le créateur se retire toujours, car la création est séparation.
      L’essence des créatures, images et ressemblances du Créateur est d’être, à leur tour, créateurs. D’où le travail des talents (έυ αύτοις) La fierté de l’homme et son bonheur est, bien sur, de pouvoir créer du nouveau. Dieu fait toutes choses nouvelles. L’homme heureux peut gagner des autres talents (le mot αλλα, autre, a évidemment une grande importance). Une grande partie de la signification du texte tient dans ce petit mot « autre ». Comme la joie d’un père qui, ayant donné quelques bases de musique à son enfant, est fou de joie de l’entendre, des années plus tard, jouer un morceau qu’il serait lui-même incapable de jouer. « En vérité, en vérité, je vous le dis : si quelqu’un croit en moi, il fera lui aussi les œuvres que je fais, et comme je retourne vers le Père, il en fera de plus grandes encore ».
      Le Créateur (amour d’où provient tout amour, et où retourne tout amour) revient, non pour « régler ses comptes », comme on dirait, « je vais te régler ton compte, et tu va voir ce que tu vas voir ! », mais pour « συναιρει λογον » « prendre ensemble la parole », « ramasser la parole ». Il s’agit de retrouvailles, d’épousailles même, où la Parole est vraiment commencement. La créature est heureuse de présenter au créateur l’œuvre qui s’est faite « par lui, avec lui en en lui ». Le texte ne dit évidemment pas que Dieu récupère quoique ce soit. On n’imagine pas qu’un don puisse être repris, car cela n’en serait pas. Imagine-ton « louer » à Dieu la vie, la prendre en « location-vente », en « leasing » ! Dieu, que je sache, est vraiment don. Donner c’est donner, reprendre, c’est voler, disaient les enfants…
      Par contre, le serviteur « qui est en mauvais état » (πονηρε), et qui a bien des raisons d’y être, puisqu’il a une vision de l’amour désorientée. On moissonne toujours où l’on n’a pas semé, certes, et on ramasse effectivement où l’on a dispersé, c’est la logique même de l’amour, et sa gratuité, mais cela n’est nullement « dur », « figé », comme mort (le mot σκληρος a aussi donné le mot « sclérose »). Le « mauvais » serviteur ne croit donc pas en un amour qui est mouvement, vie, imprévu, création ; il croit en la sécurité de la cachette, comme Adam après la découverte de la liberté. Se cacher, se protéger, se sécuriser, s’assurer…voici des termes de peur et non de confiance.
      « J’aurais recouvré mon bien avec un intérêt » Pourquoi diable le maitre demande de « recouvrir son bien avec un intérêt » au serviteur qui n’a reçu qu’un talent ? Après tout, il ne demande rien aux autres.
      Le verbe κομιζω signifie « prendre soin, soigner avec sollicitude, nourrir » et τόκος signifie effectivement « intérêt », mais aussi, et surtout semble-t-il, « action d’enfanter », « enfant ». On peut donc fort bien traduire : « à mon retour, j’aurais pris soin (de toi) comme un enfant », traduction à rapporter à Osée : « j’étais pour eux comme celui qui soulève un nourrisson contre sa joue et lui donne à manger. » On est loin du règlement de comptes…
      Enlevez le talent : la vie retourne à la vie… Même s’il n’a pas compris, le « mauvais » serviteur peut encore être sauvé, finalement.

      Parabole fabuleuse, comme toutes les autres, à lire sans oublier que Dieu n’est qu’amour…Et l’amour est création, vie.
      Pourquoi lit-on l’Evangile comme si Dieu était un despote ?...

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  3. Ne connaissant strictement rien du grec (en dehors du Kyrie bien sûr) j'aurais bien du mal à répondre à cette réflexion,mais il me semble qu'on n' a pas le droit de quasiment passer sous silence la conclusion de cette parabole laquelle me semble-t-il condamne le comportement du "mauvais serviteur" et non le serviteur lui-même certes
    Autrement je ne prends nullement bien sûr le Seigneur pour un despote,absolument pas mais qui néanmoins attend de nous que nous témoignions de notre foi dans nos actes de tous les jours,ce que bien sûr le mauvais serviteur n'a pas fait volontairement(il ne s'agit pas de "faire des bonnes œuvres pour être en règle,mais de les faire par amour)

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    1. Je me garderais bien de passer la conclusion sous silence. Elle est extrêmement nécessaire pour dire l'échec (el fracaso, disent les espagnols)de la théologie de la rétribution. Si nous pensons selon cette dernière, voilà où et comment cela ne peut que finir. Et cela finit comme... le contraire de l'évangile, amour de prédilection pour les pauvres, miséricorde et venue de Jésus pour les malades et les pécheurs.
      Il s'agit justement de sortir pour parler de Dieu, de la logique des œuvres. Non que agir bien ne soit pas un impératif. Mais que si l'on reste dans la logique de la rétribution, comme le dit très bien le commentaire de l'anonyme précédent, on n'est pas dans la logique de l'amour.
      Pour parler de Dieu, pour parler des frères, qu'est-ce que vous choisissez ? La logique du mérite ou la logique de l'amour ? La logique de ce qui rapporte ou la logique de la gratuité ?

      Le même commentaire précédent se conclut sur la question centrale : Pourquoi lit-on l'évangile comme si Dieu était despote ?
      (Mon grec n'est pas assez bon, sin libris, pour que je me prononce sur le sens de tokos, intérêt. C'est ainsi que la vulgate a traduit, usura. De fait, Theotokos signifie Mère de Dieu. Si cela s'avérait juste, alors la réponse terrible du despote ne pourrait pas ne pas avoir la nostalgie, ou du moins faire allusion, à la logique de l'amour au moment même où il prononce le châtiment.)

      Merci à tous pour ces remarques qui font avancer la lecture.

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