19/08/2022

C'est quoi, la grâce ? (21ème dimanche)

« Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice. » Comme elles sont dures ces paroles. Quelle place laissent-elles au pardon, à la miséricorde ? « Nous avons mangé et bu en [s]a présence, et [il] a enseigné sur nos places. »

Nous savons bien que notre vie n’est pas à la hauteur. Dieu en Jésus ne se fait-il pas proche des pécheurs que nous sommes ? « Eloignez-vous de moi. Je ne sais pas d’où vous êtes. » La vie avec le Maître nous est-elle fermée, définitivement ? La vie avec le Maître serait-elle récompense, ou du moins, ceux qui commettent l’injustice en seraient-ils privés ? La parabole de Lc 13, 22-30 nous ramène-t-elle à la théologie de la rétribution ? Et dire que Luc est appelé l’évangile de la miséricorde. Où est le salut par la grâce seule, le salut par Jésus – qui veut dire Dieu sauve ! « Pour les hommes c’est impossible », seul le don par Dieu de lui-même est vie.

La Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification signée par les Catholiques et les Luthériens à la veille de l’an 2000, puis par les Méthodistes, les Anglicans et les Réformés, reconnaît que nous avons la même foi. « Notre foi commune proclame que la justification est l’œuvre du Dieu trinitaire. […] De ce fait, la justification signifie que le Christ lui-même est notre justice, car nous participons à cette justice par l’Esprit Saint et selon la volonté du Père. Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes. » (Numéro15 que les trois suivants explicitent.)

Si tout n’est pas dit, ce qui est dit affirme « la fonction spécifique du message de la justification. » Le luthérien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), devant la compromission de son Eglise avec le nazisme, semble lui-même gêné par le sola gratia. La grâce seule, oui, mais pas à n’importe quel prix, pas une grâce facile. Il parle de « la grâce qui coûte ». N’est-ce pas une contradiction dans les termes ? Comment ce qui est gracieux aurait-il un prix ? Mais quand l’injustice règne ‑ le contexte est celui du Troisième Reich ‑ comment pourrait-on s’en remettre à la seule grâce de Dieu, inconditionnelle, au point de n’avoir cure de ce que nous faisons de nos frères, de leur vie, de la nôtre ? La sola gratia n’efface pas l’antique question : « qu’as-tu fait de ton frère ? » Quand coûte d’obéir à la voix de sa conscience, on perçoit que la grâce ne peut être légèreté morale, encore moins collaboration coupable.

Et pourtant, la grâce est gratuite. Elle est don, elle est Dieu qui se donne, inconditionnellement. Et que pourrait-il faire d’autre, être d’autre ? Mais qu’est-ce que vivre en grâce ? Qu’est-ce qu’être en état de grâce ? Sans doute aucun autre chose qu’une affaire qui concerne l’après la mort. Evidemment autre chose qu’une affaire de récompense, de rétribution. C’est ici et maintenant que Jésus est notre salut, notre justice, qu’il nous rend justes. Ici et maintenant, Dieu se donne ; il est possible de vivre en grâce. C’est le seul sens du don qu’est Dieu, de la grâce. Mais à manger et boire avec lui tout en commettant l’injustice, nous ne le connaissons pas, nous détournons les autres de le connaître par contre-témoignage.

La grâce ‑ je le redis, car on use de ce mot à tout bout de champs, sans jamais dire ce qu’il signifie, Dieu qui se donne ‑ ouvre au Père et par conséquent aux frères. La grâce et la justice, c’est la même chose. Dieu gratuitement rend juste, justifie. La grâce sans la justice, cela n’existe pas parce que la grâce, le Dieu qui se donne, c’est la justice. Dieu est justice. Comment ne serait-il pas justice celui qui fait justice ? « C’est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est Justice et Rectitude. » (Dt 32, 4) « Quand j’appelle, réponds-moi, Dieu, ma justice ! » (Ps 4, 2) Le descendant de David se nomme (Je 23,6) : « Le-Seigneur-est-notre-justice ».

La justice de Dieu est ce qui rend juste, justifie ; elle est salut. C’est dans la justice pratiquée que l’on rencontre Dieu, notre justice, qu’il nous connaît, qu’on le connaît, même à n’en avoir jamais entendu parler. « On viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. »

Vivre en grâce avec le Père et les frères est un don, celui de la justice, que nous recevons de celui qui est notre justice, notre paix, don de lui-même pour qu’on vive. (Jn 10,10)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire