07/10/2022

Eucharistie Lc 17, 11-19 (28ème dimanche du temps)

Dans cette petite dizaine de versets (Lc 17, 11-19), les mots de la liturgie sont nombreux : prendre pitié, rendre gloire, rendre grâce. On parle de prêtres, de purification alors que Jérusalem est en ligne de mire, autant d’éléments pour une liturgie. On est à une frontière géographique ; il y a d’autres lignes de démarcation, celle des exclus et des inclus, des impurs et des purs. Potentiellement, encore une affaire de culte.

Jésus traverse, verbe résurrectionnel s’il en est. Opportet transire, comme dit Maître Eckhart. Et c’est vrai que c’est une histoire de salut ‑ la santé, parabole de vie éternelle ; la vie éternelle efficiente ici et maintenant.

L’histoire redistribue les cartes, l’étranger reconnaissant est pourtant censé ne rien y connaître ; les autochtones ‑ on ne peut pas dire les installés car la maladie les a délogés, hors-lieu, hors-jeu – dont Jésus s’étonne qu’ils ne rendent pas grâce, ne soient pas reconnaissants.

Je propose de nous arrêter à un mot seulement, remercier, rendre grâce, eucharistier. Le terme ne revient que quatre fois dans l’Evangile de Luc. C’est peu, surtout lorsque l’on pense à ce que le terme représente notre foi. Nous venons de lire la première occurrence, au chapitre 17 : « Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. » Les deux dernières occurrences se trouvent lors du dernier repas de Jésus, au chapitre 22.

Le troisième emploi n’a pas de quoi faire du mot eucharistie un terme important. Il est mis sur la bouche d’un anti-héros, le pharisien content de lui qui rentre de sa prière au temple sans être aucunement justifié. Lui-même n’y trouve sans doute rien à redire, puisque juste, il n’a pas besoin de justification. Nous sommes au chapitre 18. C’est donc dans les derniers chapitres de l’Evangile que l’on remercie ou pas, bien ou mal.

Rendre grâce. Est-ce ainsi qu’il faut traduire ? Peut-être remercier suffirait-il, même si l’on entend déjà l’objection : Attention, les eucharisties de la Cène ne sont pas un simple remerciement ! Au temple, le pharisien peut employer la traduction liturgique : « je te rends grâce. » En traduisant le remerciement du lépreux samaritain par action de grâce, le lectionnaire confirme le sens liturgique de la rencontre des dix lépreux. (Au chapitre 18, on parle pas mal de prière.)

On voit bien de quoi remercie le lépreux guéri. Enfin, jusqu’à un certain point, car ceux qui n’ont pas remercié ne sont sans doute pas des mal-élevés ; statistiquement du moins, il n’y a aucune raison. Les neuf lépreux juifs ne voient pas qu’il y ait à remercier, ou alors au temple. Pourquoi remercier Jésus, qui n’a rien fait si ce n’est donner un ordre ? C’est en cours de route qu’ils sont guéris. Pas facile de dire que c’est Jésus qui les a purifiés. C’est la marche ‑ il faut traverser ‑ c’est la vie, c’est une histoire qui se décide avec ou devant les prêtres.

De quoi remercions-nous ? De quoi faisons-nous eucharistie ? De quoi remercions-nous lorsque nous faisons eucharistie ? Rendons-nous grâce pour le pain et le vin ? Le texte du chapitre 22, pas plus que nos eucharisties ne disent cela. Le pain et le vin que Jésus prend servent à remercier ; on ne remercie pas pour le vin et le pain. Le vin et le pain reçus sont, en tant que donnés et reçus, le support de l’action de grâce. Dans leur réception et le partage, ils permettent de remercier. Avec Jésus, pour remercier, il faut recevoir.

Avec Jésus, on est dans la logique du don toujours, comme la source, le don n’est jamais donné, hier ; non qu’il serait repris ou périmé, mais le don est toujours en train d’être donné. Le don est acte, le don est vie. On vient toujours trop tard, parce que Dieu, le premier, nous a aimés. Parce que Dieu le premier se donne et c’est la vie. Dieu donne toujours, il n’arrête jamais. On ne le remercie pas de ceci ou cela. C’est lui qui est remercié d’être source. De cela précisément, uniquement, nous rendons grâce, nous faisons eucharistie.

Pour vivre, pas besoin de remercier, c’est un fait de la nature. Certains ne rendent pas grâce. Ils sont cependant vivants, guéris, et mêmes relevés de la mort. Certains réserve le remerciement à Dieu, dans le temple, pour des choses sérieuses. C’est la religion, ce que l’on appelle le paganisme. Enfin, un sur dix, c’est peu, reconnaissent derrière la nature, le cosmos et la vie, un amour premier. Reconnaissance, action de grâce, eucharistie.

Nous ne faisons pas comme les païens, une messe d’action de grâce, sacrifice d’action de grâce. Nous sommes par le partage du pain et du vin emportés dans la force du don que nous ne voulons cesser de recevoir… non en communiant plus souvent ‑ le pain et le vin ne sont que les supports de l’action de grâce ! Mais en reconnaissant ce qui nous arrive, ce que nous sommes : vivant de recevoir. 

2 commentaires:

  1. Pas un mot sur le pain et le vin qui est transformé en hostie consacrée, au sang du Christ à boire. Étonnant.

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    1. Si l’étonnement est le début de la philosophie ou de la sagesse, vous êtes en passe de percevoir ce que cette homélie veut dire.

      Réduire l’eucharistie à la transsubstantiation, puisque c’est ce dont vous parlez, est d’une part anachronique en commentant l’Evangile, d’autre part exactement ce que les quatre emplois de eucharistein empêchent de faire.

      J’ai dû déjà publier sur ce blog des réflexions sur la transsubstantiation. Je pourrais rapidement recopier les lignes suivantes d’un commentaire récent que j’ai fait sur FB.
      La théologie de Thomas d’Aquin n’a pas pour but d'expliquer comment le pain devient corps du Christ. Thomas n'est pas un matérialiste ! Sa théologie de l'eucharistie vise à tenir que ce pain est corps "vraiment". Mais que signifie vrai ? C'est matériellement le corps, réellement, ontologiquement, typologiquement, sacramentellement, etc. ? N'oublions pas que sous prétexte que vérité, on en était venu à un matérialisme eucharistique, c'est le comble quand il s'agit d'un sacrement ! Ainsi ne fallait-il pas mordre l'hostie pour ne pas faire mal à Jésus, ainsi Jésus était-il plus près du croyant quand le pain consacré était à 10 m et non à 50, ainsi celui qui recevait une hostie plus grande communiait-il d'avantage que celui qui ne recevait qu'une parcelle, etc. etc. C'est à cela que s'attaque Thomas : comment dire que c'est vraiment le corps du Christ et pourtant, un corps sans localisation, ni étendu, ni quantité. (Un corps sans tout cela, c'est la quadrature du cercle, n'est-ce pas.)
      Aristote permet de penser autrement que la théologie alors dans l'impasse, et Thomas s'en saisit pour tenter d'en sortir. Dirions-nous aujourd'hui la même chose ? Est-ce souhaitable ? Si la question de Thomas est contextuelle, et comment ne le serait-elle pas, et je viens de le rappeler, pas sûr qu’il faille la reprendre. Manifestement, on ne pose plus ces questions de matérialisme eucharistique. Mais si l’on voulait dire la même chose que Thomas, il faudrait de toute façon des mots différents, parce que nous ne pensons plus comme au 13ème. Essayer de se mettre dans la peau d'un homme du 13ème suppose plus d'érudition qu'en ont ou qu'en revendiquent tous les catéchismes. Qu'est-ce que le réel aujourd'hui, alors que la physique quantique et plus encore l'informatique modèlent, informent nos vies. Une réunion "virtuelle" est tout à fait "réelle", parfois davantage qu'en "présentiel". Présence réelle... Ces mots n'en plus le même sens qu'au 13ème (expression que Thomas n'aime guère d'ailleurs). Sans parler de la théorie du langage, des actes de paroles, de l'efficacité de la parole jusqu'en psychanalyse, tant de choses connues depuis si longtemps, mais aujourd'hui penser différemment, pas mieux obligatoirement, mais différemment.

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