16/04/2023

Une Eglise qui fait fuir...


Il y a beaucoup de raisons pour les Catholiques d'être désorientés. L'insistance à communiquer sur le nombre exceptionnel de catéchumènes (5500, plus 28%), et l'émerveillement partagé par les évêques à propos des lettres de demande du baptême et celles des adolescents en vue de la confirmation sont plutôt l'exception qui confirme l'ampleur du désarroi causé par une Eglise qui fait fuir. Les scandales d'agressions sexuelles notamment pédocriminelles sont une des raisons principales ces dernières années de la nécessité de rompre avec l'Eglise qu'éprouvent certains. Ces crimes et délits, en tant que systémiques, sont l'expression d'une pourriture viscérale, celle du cléricalisme que soutient une théologie enseignée et accueillie. Les silences institutionnels sont plus ravageurs que les crimes dans la haine que l'on peut ressentir par rapport à l'Eglise.

Dénoncer cette théologie complice est nécessaire mais laisse dans l'embarras, parce que l'on ne sait guère, souvent, par quoi la remplacer.

Ce qui me paraît en jeu, c'est la sortie de l'évangile de la religion. Nous sommes nombreux à ne plus supporter la religion, alors même que beaucoup s'y réfugient avec une détermination symétrique à notre dégoût. C'est dire combien l'Eglise est divisée, et sur des sujets centraux. Or, l'évangile n'est pas un "système du monde". Il n'en est pas non plus le sens. Il est un chemin de choix pour résister, s'insurger contre le mal et la mort. La religion chrétienne s'est fondée sur l'évangile en se confondant avec lui, alors que nulle part les évangiles ne présentent Jésus comme un homme religieux, au contraire. C'est sans aucun doute LA raison de sa condamnation. Paul le dit, prêcher le crucifié est scandale et folie, scandale pour la religion, qu'elle soit juive ou païenne, folie pour la raison qu'elle soit bon sens ou philosophie.

Le chemin évangélique est politique ou social selon que l'on parle grec ou latin. Il n'est possible qu'ensemble, dans une union des différences. C'est pour cela qu'il n'y a guère d'évangile sans Eglise. Non que dans l'histoire individuelle, il ne soit pas possible de vivre l'évangile sans cette institution. Mais que fondamentalement, on n'existe pas, à la suite de Jésus, sans les autres. Et nous expérimentons autant combien le rassemblement fait vivre qu'il tue.

Quand nous nous rassemblons, nous ne faisons rien de religieux, de sacré. Nous devons ensemble nous organiser et décider. Vu comme nous sommes différents, divergents, c'est quasi impossible. Seul l'engagement pour la charité nous permettra de nous estimer, et ensuite nous pourrons nous organiser.

C'est ensemble que nous voulons servir parce que la suite de Jésus n'appartient à personne et n'est reconnaissable que dans l'amour que nous avons les uns pour les autres. Lorsque l'Eglise s'occupe des "périphéries" comme dit François, l'option préférentielle pour les pauvres comme l'on disait il y a quelques décennies, elle ne fait pas honte, elle ne détourne pas de l'évangile.

Nous tenons ensemble en éveil la mémoire de Jésus. Cela ne se fait pas par des discours, une doctrine, mais par un récit, un symbole (comme l'on parle de symbole de foi, comme Augustin parle aussi des sacrements.) Que raconter l'histoire de Jésus soit un partage de pain c'est d'une force incroyable.

Parce que l'évangile n'est pas une religion mais l'histoire d'un don, d'une gratuité, nous n'en avons pas besoin. Nous pouvons vivre sans. La foi est rendue à la grâce d'une fragilité. La foi n'est pas assurée, et pour nombre de catholiques, cette découverte est ravageuse. On a tellement dit que la foi était solide, selon son étymologie, c'est solide, amen, je crois. Mais si la foi est assurée, ce n'est pas la foi.

Croire est une pratique de ce que je ne maîtrise pas, de ce qui échappe, de l'autre qui peut-être aussi prend les traits de Jésus. Croire c'est s'aventurer au risque de se perdre.
 
Rebâtir l'Eglise, comme le comprend François d'Assise, ce n'est pas réformer la curie romaine ou les diocèses. C'est mettre l'Eglise au service, parce qu'une Eglise qui ne sert pas est une Eglise que ne sert à rien. Nous n'en sommes pas à restructurer ou repenser une institution. C'est de commander à tous la charité qui permettra à l'Eglise d'être encore ferment de fraternité et de paix dans le monde. Vu comme il en a besoin, peut-on se permettre un autre programme ?

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