09/06/2023

Banquet eucharistique, table des religions (Corps et sang du Seigneur)

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Quel rapport entre la célébration de l’eucharistie et le dialogue interreligieux ?

L’accès à la table eucharistique ne fait-il pas partie des éléments qui marquent la limite de la pratique de la rencontre interreligieuse ? Déjà l’hospitalité eucharistique est assez restreinte entre chrétiens, alors c’est un non-sujet, un non-sens que eucharistie et inter-religion.

Et pourtant. Le sang n’est-il pas versé « pour vous et pour la multitude » ? Cela signifie-t-il que l’universalité de la coupe eucharistique n’est possible qu’avec la conversion de tous à l’unique Eglise du Christ ?

« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. » On l’avait presque oublié ce verset de la Première à Timothée. Or le sang versé, avant d’être sacrement du salut, est salut, dessein de Dieu, salut de tous, vie pour tous, Dieu donné Ce serait un comble que le sang soit versé pour tous et que le sacrement ne soit que pour quelques-uns. Quoi, le Christ serait mort pour tous, mais communier à cette mort serait réservé à quelques-uns seulement ?

Conception trop étroite du sacrement, réduit aux saintes espèces.

La rencontre, la pratique interreligieuse oblige à reconsidérer notre conception du sacrement.

Vivre dans la reconnaissance, vivre eucharistiquement, il est fort possible que les disciples de Jésus, par Jésus, sachent l’exprimer hautement, aient des mots, des gestes, importants, définitifs, pour le dire. Pas sûr qu’ils le vivent mieux.

Alors qu’il faut gagner sa vie, alors que le salaire est un dû, alors que l’on achète selon son pouvoir d’achat (et tant pis pour ceux qui n’ont pas ou quasi pas de pouvoir), dire la vie comme reçue, se sentir reconnaissant, obligés (obrigado, merci, disent les portugais !) ce n’est pas rien.

Il se pourrait que pour toutes les religions, l’existence, la vie soit, non ce que nous gagnons, achetons, nous procurons, mais ce qui nous échoit, souvent comme cadeau, même si pour beaucoup, c’est un cadeau empoisonné. Le dieu n’est pas toujours celui qui donne ; cela c’est plutôt lorsqu’il est confessé comme créateur. Le dieu parfois réclame plus qu’il ne donne. Le dieu encore pourrait ne pas se soucier des humains. Mais quand dieu il y a, souvent, la vie, c’est reçu.

Il se pourrait que pour toutes les religions, une forme d’action de grâce, de gratitude découle de ce qui a été ainsi reçu, offert, quoi qu’il en soit du mal qui pourrit parfois le don, quoi qu’il en soit du dieu.

Il est indispensable que dans le monde soit contestée la vie comme un gain ou un dû. Chaque fois, c’est la guerre pour mettre la main sur plus, c’est l’injustice, source de toutes les guerres et humiliations. Il est indispensable qu’il y ait des prophètes de gratuité, de grâce, des hommes et des femmes qui exultent ou crèvent de ce que vivre est cadeau. Il est indispensable de vivre en grâce avec les frères, parce que c’est l’unique chemin de paix.

Et cela est stupéfiant ainsi que le peint Caravage dans le repas d’Emmaüs (vers 1601, Londres). Cette reconnaissance est bouleversante, à en tomber de sa chaise.

Nous, disciples de Jésus disons par du sang versé ‑ le mal ‑ une forme de fête, un remerciement. Aussi particulier que soit culturellement ce rite de la coupe, il désigne plus universel que sa détermination ethnologique. Il le faut, sans quoi, ce n’est pas à la mort de Jésus que nous avons part, et partant, pas davantage à sa résurrection.

Il y a bien des manières d’exprimer l’action de grâce, la gratitude devant l’émerveillement, parfois blessé, que suscite que nous ne cessions de recevoir, que nous vivions de recevoir. La fraction du pain et la coupe du sang versé en sont l’expression sacramentelle. Meilleure ? unique ? ultime ? Que nous importe ! Ce qui se joue en Jésus n’est pas fait pour que certains puissent se penser comme des happy-few.

Ce qui se joue avec Jésus, bien au-delà de ce qu’en confessent les pratiques, ne vaut que si c’est en vue de rassembler en une seule fraternité ceux qu’un unique Père aime comme ses enfants, rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.

 

 

Caravage, La Cène, vers 1601, Londres
 

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