12/04/2024

La parole est eucharistie pour que nous puissions la manger (3ème dimanche de Pâques)

 

Rembrandt, Emmaüs vers 1628


La catéchèse depuis les années 80 se servait du récit d’Emmaüs pour introduire à la célébration de l’Eucharistie. Il y a quatre temps, dit-on, l’accueil, le temps de la parole, celui du partage du pain et l’envoi. Je ne sais de quand date cette lecture ni qui l’a vulgarisée. Elle est forcément assez récente puisque, jusqu’au Concile Vatican II, tout ce qui précède l’offertoire est appelé pré-messe ou avant-messe, et que la participation à la célébration était considérée comme pertinente et valide dès lors que l’on était arrivé avant ledit offertoire.

Jésus rejoint et fait communauté avec les disciples sur la route, les invite à exprimer ce qu’ils portent, en l’occurrence leur peine et leur désespérance. Puis il relit les Ecritures et les commente avant de rompre le pain. Alors les disciples repartent et annoncent la résurrection.

Plusieurs éléments laissent penser, sous réserve d’inventaire, que cette lecture certes pertinente, n’est pas traditionnelle. Maintenant qu’est intégrée la place centrale à la messe des Ecritures entendues par chacun dans sa langue, maintenant que l’on sait l’importance de faire communauté, d’être corps du Christ pour recevoir autant qu’en recevant le corps du Christ, il convient de porter un regard historiquement critique sur ce schéma catéchétique.

Encore au XIIIème siècle, la fraction du pain dans le récit d’Emmaüs désigne l’explication de la parole, comme la multiplication des pains raconte comment plus l’Ecriture est partagée, plus elle se multiplie. Il y en a toujours beaucoup plus à la fin qu’au début, ainsi qu’en attestent les restes. Les Ecritures sont le pain de vie, car « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche du Seigneur ».

La Réforme protestante du XVIème siècle et la Réforme catholique qu’on ne pouvait plus remettre forcent le trait et opposent parole et pain, Ecritures et sacrement, prédication et liturgie. Ce sont des théologies de polémique. On ne perçoit plus, et l’on n’en est pas encore revenu, que la lecture et le partage de la Parole sont la fraction du pain et que la communion eucharistique est une manière d’assimiler, de faire sienne, de se nourrir de cette Parole.

On note dans le dernier Concile une rature hautement significative. Parfois l’on parle de deux tables, celle de la Parole et celle de l’eucharistie, parfois d’une seule. (Les deux tables était le nom d’un recueil, élaboré à Lyon, de chants liturgiques dans les années 50.)

« L’Eglise a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table aussi bien de la Parole de Dieu que du corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles. » (Constitution dogmatique Dei Verbum) « La messe comporte comme deux parties : la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique ; mais elles sont si étroitement liées qu´elles forment un seul acte de culte. En effet, la messe dresse la table aussi bien de la parole de Dieu que du corps du Christ, où les fidèles sont instruits et restaurés. En outre, certains rites ouvrent la célébration et la concluent. » (Présentation Générale du Missel Romain)

On dit que l’on dévore un bouquin et que l’on boit les paroles d’un ami, d’un amant, d’un maître ; la Parole de Dieu est une nourriture que le prophète mange, douce comme miel et amère comme fiel, consolante autant que pleine de remontrances contre les infidélités et iniquités. L’Apocalypse de Jean s’en souvient quasi littéralement. « Mange le petit livre. » Manger le pain avec les oreilles du cœur et de la communauté ; écouter la parole avec la bouche et le ventre puisqu’elle fait vivre. Ecouter et manger le pain de vie, parole de vie.

Nous recevons le Christ diversement, certes sacramentellement, au sens obvie, dans sa parole également, mais aussi charitablement, dans la fraternité. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Le recadrage herméneutique que Jésus impose aux Ecritures de son peuple est un festin qui réjouit ‑ « notre cœur n’était-il pas tout brûlant alors qu’il nous expliquait les Ecritures ? » ‑ et met les disciples debout, les ressuscite pour aller trouver d’autres frères, pour se faire, avec et par les autres, frères, pour faire de l’humanité une fraternité.

C’est ce que nous vivons à lire notre histoire dans les Ecritures, à chercher avec et pour les frères ce qu’elles disent du Christ pour chacun dans la situation de chaque aujourd’hui. La parole partagée est une nourriture que nous consommons en faisant mémoire ecclésialement de la mort et de la résurrection du Seigneur. La parole est eucharistie pour que nous puissions la manger.

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