16/05/2025

L’amour les uns pour les autres comme profession de foi (5ème dimanche de Pâques)


 

Lors de sa rencontre avec les cardinaux au lendemain de son élection, le nouvel évêque de Rome formula en quelques propositions ce qui constitue la nouveauté de Vatican II. Il commença par « le retour à la primauté du Christ dans l’annonce ». Les exégètes du Concile le disent, mais voilà qu’une thèse herméneutique devient un enseignement du magistère ordinaire du Pape. Allant de soi, dit paisiblement, sans créer de polémique, l’herméneutique d’une certaine rupture : on avait sorti donc le Christ du centre et il fallait l’y remettre.

Qu’avait-on mis à sa place ? Sommes-nous définitivement protégés de l’exclusion du Christ du cœur de la foi et de la pratique ecclésiale ? La prédication, la pratique et la vulgate contemporaines insistent, dans un monde dont Dieu semble absent, sur sa présence et les signes que nous en avons : ce que l’on ressent dans la prière jusqu’aux miracles de Lourdes en passant par la prière d’adoration et la présence réelle.

Evidemment, on n’exclut pas volontairement le Christ du discours, mais son nom n’est pas prononcé. Simultanément, tout est mis sur le même niveau, comme si les miracles et les guérisons, la prière et l’adoration, pouvaient venir avant ou avaient la même importance que la mort et la résurrection du Christ et sa fraternité avec chacun, à commencer par les rejetés.

Le dernier concile, dans un contexte œcuménique, a avancé le concept de hiérarchie des vérités. A mettre toutes les affirmations de foi sur un même plan, on construit un système religieux et une perception du monde qui ne sont plus chrétiens. On s’interdit de voir tout ce qui unit les chrétiens – le Christ lui-même – et se retrouve face à que ce qui les oppose.

La hiérarchie des vérités de la foi permet de ne pas bâtir, à partir du secondaire et même du second, un discours et une pratique qui omettent le centre, pour confesser la foi catholique et non un catholicisme plus guère chrétien.

Dès le Premier Testament et explicitement dans le Second, la présence de Dieu réside dans la considération des frères et sœurs, à commencer par les plus déconsidérés. La parabole du jugement dernier de Matthieu affirme : ce que l’on fait ou pas à l’un de ces petits qui sont les siens, c’est à lui, Jésus, qu’on le fait ou non.

L’évangile de ce jour (Jn 13, 31-35) parle explicitement de la présence de Jésus par son absence imminente. Ce qui authentifie que nous sommes dans le coup, ce n’est pas la prière ou les guérisons et leur merveilleux, ni les sacrements (dont l’eucharistie et son ultime dérivation, l’adoration), mais l’amour que nous avons les uns pour les autres. En outre, la charité comme centre de la foi est missionnaire ; c’est à elle que sont reconnus les disciples.

Quant au verset souvent invoqué de la présence de deux ou trois réunis en son nom, il faudrait s’assurer qu’il ait un rapport direct avec la prière, ce que pourrait laisser entendre le verset précédent mais pas le suivant. Etre réunis au nom de Jésus, n’est-ce pas la vie des disciples lorsqu’ils aiment ? La première lettre de Jean exprime comme le commandement de marcher comme lui a marché. Jamais Jésus n’a marché seul, toujours avec les disciples. Dès les premiers instants, c’est net chez Marc et Jean, son ministère est une marche avec d’autres.

Guérison, adoration, prière, présence réelle. Tout cela peut se prononcer sans les frères. Cela devrait nous prévenir qu’il s’agit davantage d’un ordre du monde à défendre que de la discipline du Christ. L’amour mutuel – la voie éminente, dit Paul : si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un cuivre qui résonne – est le cœur de la confession de foi parce qu’il est la pratique de Jésus, lui qui passait en faisant le bien.

Tout est dit dans l’amour pour les frères et sœurs, il n’y a pas à ajouter un amour pour Dieu. « L’amour de l’homme pour Dieu n’est pas une sorte de relation exclusive pour un "être surnaturel" au-delà de l’horizon du monde, mais il doit, par son caractère sans limites et sans conditions, ressembler à l’amour de Dieu lui-même, qui embrasse tout et maintient tout ce qui est par son amour ; il doit ressembler à Dieu qui est présent en tout avec amour et en tant qu’amour. » (T. Halik, L’après-midi du christianisme, 191)

12/05/2025

Fioretti


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Regardez bien, le regard des surveillants, la main, c'est le détenu qui tient la main, le pape, trop faible sans doute, ne peut plus rien saisir.
 

Jean-François, un jeune détenu, me demande ce que je pense du nouveau Pape. Que répondre ? Qu'il aura à cœur, comme François, les méprisés.
Tu sais où s'est déroulée la dernière sortie de François du Vatican, le jeudi, quatre jours avant sa mort ? On ne l'a vu à aucune des messes ou célébrations de la Pâque. Il est apparu dimanche, après la messe pour la bénédiction et un tour sur la place. Mais sa dernière sortie, qui épuise ses forces plutôt que les offices de la semaine sainte, c'est pour les détenus.
Je ne sais qui de Jean-François ou moi était le plus ému.
 
 
 

Jean-François n'en peut plus de l'incarcération. Six jours plus tôt, dans une cellule toute proche de la sienne, un copain est mort subitement, retrouvé au matin.


09/05/2025

Prier pour les vocations ? (4ème dimanche de Pâques)

Marie Madeleine pénitente (1605 – 1610), 118 × 105 cm, collection privée.

Prier pour les vocations, nous dit-on, réciter des prières pour les vocations, textes écrits laborieusement par des évêques eux-mêmes, Mais depuis le temps que l’Eglise y est engagée, le plus officiellement, on constate que cela ne marche pas. Rien d’étonnant en soi. La prière n’est pas faite pour fléchir le Seigneur, « comme les païens » qui rabâchent !

Dans l’imaginaire. Dieu aurait un plan pour chacun, décidant de la vie des uns et des autres, religieux ou religieuse, prêtre et pourquoi pas évêque ou pape. Et ce serait rater sa vie que de refuser l’appel. Dieu ne veut qu’une chose pour nous, la joie : « Je veux que tu vives ».

Certains détenus pensent que Dieu qui sait tout les conduit en prison, qu’il leur faut prendre la punition pour repartir plus forts sur le bon chemin ou l’épreuve comme un test de fidélité. Ce discours donne du sens à l’incarcération. Mais à quel prix ! Celui de l’illusion. Sans rien dire du démenti qu’apporte statistiquement la récidive. Dieu n’est pas un magicien ou le grand ordonnateur du monde et de nos vies.

Il faudrait se demander pourquoi, si l’on veut maintenir l’image d’un Dieu qui dirigerait le monde et l’Eglise depuis les cieux, il se fait sourd aux prières de son Eglise. Ce pourrait-il que Dieu ne veuille pas qu’il y ait des prêtres, encore moins sur le modèle qu’on lui réclame ? Et si la réduction drastique du nombre de vocations spécifiques dans l’Eglise était la volonté de Dieu. Il est plus urgent de déchiffrer les signes des temps que de se réfugier dans la prière. Sous prétexte de dévotions, la nuque raide, nous refusons de nous convertir.

Le peuple de Dieu en nombre de ses membres trouve non pertinentes les vocations telles qu’on les réclame. On ne pourra dire que le saint peuple de Dieu a déserté la vraie foi sous peine de nier le sens de la foi des fidèles ; il réclame une conversion, une correction de la doctrine. Des disciples de divers ordres, hiérarchisés, différents non de degré mais d’essence, ce n’est pas ainsi que l’on peut faire Eglise. « Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. »

Le pouvoir est dans l’Eglise masculin et une affaire de dernier mot. La synodalité en est le renversement. Il faut certes pour le service de la communauté que quelques-uns assurent la coordination et les sales besognes. Est-ce cela un évêque ? Mais ce n’est pas parce que vous être prêtre ou évêque, que vous êtes compétents pour prêcher, prier, être attentif aux plus faibles, décider, dire le droit et le bien de la communauté, et j’en passe. Plus encore, le ministère ne peut pas être concentration des pouvoirs, en une personne, organisation, enseignement, sanctification. Cela va à l’encontre de la pluralité des charismes et contredit l’égalité foncière de tous, quoi qu’il en soit des déclarations sur le pouvoir comme service.

Le pouvoir ecclésiastique est un autocratisme que les sociétés modernes ne peuvent supporter et qui apparaît aujourd’hui contraire à l’évangile. Le contester est autant question de principe que constat d’un dysfonctionnement. Et dire cela ne remet pas en cause ipso facto l’importance et le sens des ministères.

Assez du célibat obligatoire, assez du refus d’ordonner des femmes alors que, dans les faits, plusieurs assument le ministère (empêchées seulement de présider les sacrements, révélateur de la sacralisation du pouvoir), assez du discours sur la sainteté des consacrés et ministres. Ajouter que ces mâles sont choisis par Dieu interdit de comprendre les criminels parmi eux autrement que des exceptions, et non le fait d’un système. Qui peut sainement croire voire dire qu’il a tout quitté pour Dieu par la « grâce » (sic !) de l’imposition des mains ? Il n’y a qu’une manière d’être disciple, non pas donner sa vie, mais recevoir la vie que, seul, il donne. Entre la rhétorique du don de leur vie et la dénonciation de l’environnement systémique favorable aux pervers, il faut choisir, parce que la mise en évidence de la systémicité constitue une démythologisation du pouvoir.

La crise des crimes sexuels oblige non seulement une réponse juste aux victimes mais une conversion de la théologie des ministères. Cette crise est l’indice, en plus du vide des séminaires et noviciats, que cela ne va pas, que cela ne peut pas continuer. La théologie de l’appel par Dieu au ministère est récente ; traditionnellement, c’est l’Eglise qui appelle.

Etre disciple, c’est toujours répondre, parce que Dieu, le premier, nous a aimés. On est disciple non parce qu’on ratifierait un système du monde, mais parce que l’on se reconnaît aimé avant même de pouvoir, de savoir aimer. Etre disciple, c’est effectivement être appelé, Que l’on n’imagine ni coup de fil, ni coup de tonnerre, ni conversion devant la Vierge du pilier à Notre Dame. Nous ne pouvons pas nous faire les ventriloques de Dieu. Or l’Eglise fait parler Dieu comme cela arrange la caste masculine qui la gouverne. Résultat, elle se prive des ministres dont elle a besoin. Prier pour les vocations c’est souvent rejeter ce que Dieu donne.

 

 

 

Greco a assurément peint une Madeleine pénitente, en pleurs. On pourrait aujourd'hui, sorti de l'unification des trois Marie, penser que la femme apôtre des apôtres, première convertie qui se retourne vers le Jardinier, pleure le refus de conversion des hommes, esseulée sur son chemin de foi, lâchée par ceux qui se prétendent détenteurs de son héritage, privée du droit à la parole, du moins suffisamment pour que les hommes, disciples sans foi, puissent décider sans elle.

02/05/2025

Pauvre Pierre, il n’a pas tout compris ! Jn 21 (3ème dimanche de Pâques)



La discipline du Christ chez Jean est originale. En deux endroits seulement, le mot Douze est employé, sans que soit dit qui il désigne. Il n’y a pas de liste des Douze, on ne raconte pas la constitution d’un groupe resserré autour de Jésus. Il n’y a pas les Douze, les Soixante-douze (ou) dix, et d’autres disciples encore ; aucune hiérarchie parmi les disciples.

Pierre a un rôle propre mais paraît guère apprécié. Quasi exclusivement appelé Simon-Pierre, comme s’il fallait maintenir qui il était avant la rencontre avec Jésus, il est un parmi les autres. Plusieurs sont nommément mentionnés qui interviennent comme lui, ici ou là.

En revanche, il y a chez Jean un disciple que les autres textes ne connaissent pas, le disciple que Jésus aimait. Il ne doit surtout être identifié à l’un des Douze, dont il n'est pas, sous peine de perdre son identité. Chacun en lui peut devenir disciple à son tour. Il ne suit ni n’accompagne Jésus, mais est celui que Jésus aime. Cela lui donne une longueur d’avance. Ainsi, il court plus vite mais laisse Pierre, si lent, entrer en premier au tombeau. Révérence oblige, concession peu convaincue à la responsabilité pastorale. Il voit et il croit. Il n’est dit que Pierre croie. Le quatrième évangile reconnaît à contre-cœur le rôle de Pierre et l’organisation de l’Eglise ; la communauté du disciple bien-aimé connaît le meilleur chemin pour les disciples, saisir que c’est Jésus qui aime, que l’on est bien-aimé.

Le dernier chapitre de l’évangile, on le sait, a été très anciennement ajouté. Il y a déjà une conclusion dans les lignes le précédant. Simon-Pierre – le dernier rédacteur se cache derrière les manières d’écrire du premier ‑ va à la pêche. Quelle drôle d’idée ! Il n’a rien de mieux à faire après la mort et la résurrection ? Le disciple bien-aimé n’est pas là, lui ! Il sort d’on ne sait pour dire ce dont lui seul semble capable : « c’est le Seigneur ».

C’est que Simon ne comprend rien. Par trois fois Jésus lui demande s’il l’aime. La question ne se pose pas pour l’autre disciple, puisque Jésus l’aime. Le verbe utilisé est agapaô, qui caractérise l’amour dont Jésus a fait sa vie. « Pas de plus grand amour, agapè, que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Simon répond avec le verbe de l’amitié, philein, « oui, je t’aime ». Jésus prend finalement le verbe de Simon, attristé par les questions réitérées. Or c’est la première fois, et non la troisième, que Jésus emploie ce verbe. Simon, ne voit pas l’occasion du changement, du retournement, de la conversion. Comment pourra-t-il paître les brebis celui qui ne croit pas, qui n’est pas disciple faute de se savoir bien-aimé.

Tout est dit. Pour Simon-Pierre, Jésus est un ami. Mais Jésus n’est pas ‑ comment traduire ? ‑ l’amant, comme dans le Cantique des cantiques, « celui que mon cœur aime », l’amoureux, transporté jusqu’à l’indécence. Pierre fait de Jésus un maître, un rabbi ; il ne se laisse pas devenir disciple bien-aimé.

Comment comprendre sans trop d’anachronisme ? S’agit-il de lutte d’influence pour le pouvoir dans l’Eglise ou d’une posture anti-institutionnelle ? La pourriture est à l’œuvre dès lors qu’il y a pouvoir. S’agit-il d’une décision théologale ? Certes, ce que disent Pierre et la Grande Eglise, c’est vrai, mais ce n’est pas ça. Eux, ils retournent à la pêche. C’est ce qu’ils savent faire, et il faut bien manger, il faut bien que ça tourne.

Le vocabulaire sponsal, sans parler de la thématique, dès Cana en passant par la femme adultère et Marie de Béthanie, est central dans cet évangile, mis notamment sur les lèvres du Baptiste : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Telle est ma joie, et elle est complète. »

Avec Jésus, c’est une histoire de désir, qui brûle et jamais n’est assouvi, toujours relancé. Peu importe de savoir si seuls Jean et sa communauté parlent ainsi. Ils rapportent que Dieu le premier aime et désire. Ils ont touché le Verbe, la raison de vie. Ils ont connu l’amour et y ont cru, s’y sont livrés.

L’heureuse annonce selon Jean n’est pas une religion, une explication du monde ou un système de salut. Il n’y a pas de pastorale mais des disciples bien-aimés. Le monde nouveau réside dans le fait que Dieu a tant aimé le monde, quoi qu’il en soit de sa marche. Sans pourquoi d’un amour, agapè ; divinisation des disciples, des bien-aimés, puisqu’apagè est le nom de Dieu. « Dieu est amour ».