Lors de sa rencontre avec les cardinaux au lendemain de son élection, le nouvel évêque de Rome formula en quelques propositions ce qui constitue la nouveauté de Vatican II. Il commença par « le retour à la primauté du Christ dans l’annonce ». Les exégètes du Concile le disent, mais voilà qu’une thèse herméneutique devient un enseignement du magistère ordinaire du Pape. Allant de soi, dit paisiblement, sans créer de polémique, l’herméneutique d’une certaine rupture : on avait sorti donc le Christ du centre et il fallait l’y remettre.
Qu’avait-on mis à sa place ? Sommes-nous définitivement protégés de l’exclusion du Christ du cœur de la foi et de la pratique ecclésiale ? La prédication, la pratique et la vulgate contemporaines insistent, dans un monde dont Dieu semble absent, sur sa présence et les signes que nous en avons : ce que l’on ressent dans la prière jusqu’aux miracles de Lourdes en passant par la prière d’adoration et la présence réelle.
Evidemment, on n’exclut pas volontairement le Christ du discours, mais son nom n’est pas prononcé. Simultanément, tout est mis sur le même niveau, comme si les miracles et les guérisons, la prière et l’adoration, pouvaient venir avant ou avaient la même importance que la mort et la résurrection du Christ et sa fraternité avec chacun, à commencer par les rejetés.
Le dernier concile, dans un contexte œcuménique, a avancé le concept de hiérarchie des vérités. A mettre toutes les affirmations de foi sur un même plan, on construit un système religieux et une perception du monde qui ne sont plus chrétiens. On s’interdit de voir tout ce qui unit les chrétiens – le Christ lui-même – et se retrouve face à que ce qui les oppose.
La hiérarchie des vérités de la foi permet de ne pas bâtir, à partir du secondaire et même du second, un discours et une pratique qui omettent le centre, pour confesser la foi catholique et non un catholicisme plus guère chrétien.
Dès le Premier Testament et explicitement dans le Second, la présence de Dieu réside dans la considération des frères et sœurs, à commencer par les plus déconsidérés. La parabole du jugement dernier de Matthieu affirme : ce que l’on fait ou pas à l’un de ces petits qui sont les siens, c’est à lui, Jésus, qu’on le fait ou non.
L’évangile de ce jour (Jn 13, 31-35) parle explicitement de la présence de Jésus par son absence imminente. Ce qui authentifie que nous sommes dans le coup, ce n’est pas la prière ou les guérisons et leur merveilleux, ni les sacrements (dont l’eucharistie et son ultime dérivation, l’adoration), mais l’amour que nous avons les uns pour les autres. En outre, la charité comme centre de la foi est missionnaire ; c’est à elle que sont reconnus les disciples.
Quant au verset souvent invoqué de la présence de deux ou trois réunis en son nom, il faudrait s’assurer qu’il ait un rapport direct avec la prière, ce que pourrait laisser entendre le verset précédent mais pas le suivant. Etre réunis au nom de Jésus, n’est-ce pas la vie des disciples lorsqu’ils aiment ? La première lettre de Jean exprime comme le commandement de marcher comme lui a marché. Jamais Jésus n’a marché seul, toujours avec les disciples. Dès les premiers instants, c’est net chez Marc et Jean, son ministère est une marche avec d’autres.
Guérison, adoration, prière, présence réelle. Tout cela peut se prononcer sans les frères. Cela devrait nous prévenir qu’il s’agit davantage d’un ordre du monde à défendre que de la discipline du Christ. L’amour mutuel – la voie éminente, dit Paul : si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un cuivre qui résonne – est le cœur de la confession de foi parce qu’il est la pratique de Jésus, lui qui passait en faisant le bien.
Tout est dit dans l’amour pour les frères et sœurs, il n’y a pas à ajouter un amour pour Dieu. « L’amour de l’homme pour Dieu n’est pas une sorte de relation exclusive pour un "être surnaturel" au-delà de l’horizon du monde, mais il doit, par son caractère sans limites et sans conditions, ressembler à l’amour de Dieu lui-même, qui embrasse tout et maintient tout ce qui est par son amour ; il doit ressembler à Dieu qui est présent en tout avec amour et en tant qu’amour. » (T. Halik, L’après-midi du christianisme, 191)