Un songe. Voilà ce que l’évangile nous rapporte de Joseph. Nous en savons plus sur ses rêves que sur sa vie ! La psychanalyse et l’interprétation des rêves n’existaient pas lorsque le texte a été écrit. Le rêve avait cependant beaucoup d’importance pour dire le sens, comme une direction, ce qui est devant, et non comme archéologie, Si l’on remonte à un traumatisme refoulé, si lapsus et mots d’esprit peuvent bien être symptômes, c’est pour ouvrir à un avenir.
Avec son songe, Joseph rappelle terriblement ses ancêtres. Une famille de rêveurs. Il y a son homonyme, Joseph, que ses frères nommaient l’homme aux songes, un de ses oncles très éloignés si l’on en croit la généalogie de Matthieu, juste avant notre texte. Il y a le père de ce Joseph, Jacob, aïeul direct. C’est le père des douze tribus. Ses rêves sont curieux, comme tous les rêves : échelle dressée dans les cieux, comme si enfin ils étaient accessibles, ouverts, et promesse de postérité. C’était à Bethel, un lieu comme une crèche, dont le nom signifie Maison de Dieu. Il y eut cette histoire de bêtes en chaleur au pelage tacheté ou rayé ; Jacob est quitte par rapport à son beau père, tant pour son troupeau que pour ses femmes. Il peut rentrer chez lui et repasser par Béthel.
Histoires de postérité, de ciel ouvert, de femmes dont est discutée l’appartenance. Retour du refoulé : Joseph se voit disputer sa femme qui a une descendance, comme si le ciel s’était ouvert avec le souffle de l’Esprit. Sa maison pourrait-elle être maison de Dieu ? Il y a juste lapsus, ce n’est pas à Bethel mais à Bethleem que naît l’enfant. Et le songe tourne Joseph vers un avenir incroyable : Il fit comme l’ange le lui avait dit.
Enfin, pas tout à fait. L’enfant est nommé Emmanuel. Or Joseph devait lui donner le nom de Jésus. Dieu avec nous, Emmanuel, vaudrait-il mieux que Dieu sauve, Jésus ? A moins que Emmanuel signifie la même chose que Jésus. Alors, ce petit d’homme, ou plutôt de femme, ouvre un avenir sans pareil aux fils d’Israël, c’est-à-dire aux fils Jacob (décidément, dans cette famille, ils ont tous plusieurs noms !). Sa naissance est affaire de salut. Quand Dieu habite au milieu de son peuple, comme à Béthel, il ne peut que sauver son peuple, lui donner la vie, plus grande. Qu’est-ce que le salut ? La présence même de Dieu au milieu de son peuple. Non une idée abstraite mais la vie même de Dieu qui devient la vie du peuple.
Comment cela se peut-il ? interroge la mère dans l’autre évangile qui raconte plus ou moins le même épisode. Dans le verset qui suit notre texte, il est précisé que l’enfant naît à Bethléem. C’est la maison du pain. Lapsus ou mot d’esprit, de Bethel à Bethléem, Dieu est devenu pain. N’est-ce pas exactement l’avenir qu’ouvre le songe de Joseph ? Dieu nourrit son peuple comme un pain. Il est pain, et le peuple ainsi nourri ne pourra que vivre éternellement.
Un Dieu qui s’offre pour faire vivre son peuple, comme une nourriture, un pain, en même temps qu’il disparaît laissant le pain prendre sa place (la Maison de Dieu est remplacée par la Maison du pain), on est en droit de s’attendre à un avenir d’une nouveauté absolue. Le songe de Joseph projette loin devant ce qui pourtant est le plus ancien, la vocation de l’humanité est divinisation.
Oui, cela devient compliqué comme commentaire, et mieux vaut le récit d’un songe. C’est ce que choisit l’évangéliste. Mais si le rêve est simple, l’interprétation des rêves a toujours été histoire plus délicate. Il serait bien sot cependant de ne pas se hasarder à la signification de ce rêve, de le prendre au premier degré, comme s’il s’agissait d’une description, comme s’il ne s’agissait pas d’un rêve précisément ! Laissons donc de côté le sens obvie, c’est un piège si l’on s’y enferme. Osons avancer une signification, qui délie et le texte et cette histoire ancestrale, refoulée, de rêveurs.
Aux patriarches succède l’enfant. Il ne s’appelle pas comme l’un des ses aïeux, comme si, débarrassé du poids du passé, il ne pouvait qu’être libre du péché du peuple et libérateur, sauveur.
Textes 4ème dimanche Avent A : Is 7, 10-16 ; Rm 1, 1-7 ; Mt 1,18-24
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