14/09/2013

" C'était mon fils et je l'aimais" (24ème dimanche C)

L’évangile de Luc est parfois appelé évangile de la miséricorde. Le chapitre quinze que nous venons de lire avec ses trois paraboles mais aussi plusieurs traits spécifiques comme le pardon au « bon » larron, explique cette dénomination. L’opposition suscitée par l’attitude de Jésus, par sa manière d’être d’amour et de pardon, n’en est que plus violente. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Peut-on tout pardonner ? Peut-on frayer avec les salauds d’hier et d’aujourd’hui ? Un drôle de type, avec un fils sans doute un peu rangé des voitures depuis quelques années, mais qui avait un casier chargé, a dit à l’occasion de l’assassinat de ce fils à Marseille la semaine passée : C’était mon fils et je l’aimais.
Les pharisiens et les scribes de la presse, de ses lecteurs, qui n’allaient pas pleurer sur un règlement de compte dans le milieu, nous donc, en avons eu pour notre grade. Leçon d’évangile, non qu’il faille canoniser ce père, leçon de vie, dictée par ses seules entrailles : C’était mon fils et je l’aimais.
Entrailles, c’est l’étymologie du mot miséricorde. Etre pris aux trippes, mieux, car ce n’est pas l’estomac dont il s’agit, mais de la matrice, des entrailles maternelles qui ont porté tous les enfants du monde et qui se révoltent, blessées à mort par la mort de leurs fruits.
Une semaine avant, à Aranjuez, un tableau de la mort d’Absalon. Et devant ce fils suspendu dans les branches d’un arbre, résonne le cri du père, David, qui apprend la nouvelle de la mort de son traite de fils, de celui qui était décidé à le tuer pour prendre sa place. Absalon, mon fils, mon fils, Absalon. C’était son fils, et il l’aimait.
C’était dimanche sur France culture, devant Eichmann en sa prison ou Saddam Hussein sortant hirsute de son trou à rats, devant l’homme à terre, même bourreau, peut-on tirer, faire feu, ignorer, ne pas être pris aux entrailles ? Pourtant, cette semaine encore, des rebelles syriens se sont vengés sans jugement aucun en exécutant leurs prisonniers de guerre. Pourtant nous sommes ou avons été jaloux d’un frère ou une sœur pardonné, pourtant nous sommes intraitables avec les salauds. Que l’on partage son repas avec eux nous révulsent.
Les paraboles du chapitre quinze, la confession d’un père orphelin de son fils et la lamentation de David nous empêchent de parler comme nous le faisons, scandalisés par l’injustice de la réhabilitation des pécheurs, ce qui nous semble l’injustice de la réhabilitation des pécheurs. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Dieu aime, comme un père, inconditionnellement. Il n’y a aucune condition à l’amour de Dieu. Contrairement à ce que nous racontons souvent, au caté ou ailleurs. Si tu es sage, si tu fais des sacrifices, si tu agis bien, le Seigneur sera ton appui. Même les psaumes disent cela. C’est mon fils et je l’aime dit Dieu. Tu es mon fils, ma fille, et je t’aime dit Dieu. Or le Seigneur ignore le conditionnel. Voilà un temps qui ne s’enseigne pas dans les écoles du paradis, ou alors seulement pour rêver : si les hommes étaient comme leur père, amour et vérité se rencontreraient, justice et paix s’embrasseraient.
Ce qui rend non seulement acceptable mais indispensable cette inconditionnalité divine, ce n’est pas que même des hommes en soient capables, comme ce marseillais, comme David. C’est que nous sommes des salauds. Il ne s’agit pas de misérabilisme, de coulpe battue pour s’humilier et ainsi se croire humble.
L’inconditionnalité de l’amour du Père nous révèle à nous-mêmes tels que nous sommes, non pour nous écraser, mais au contraire pour nous relever, nous ressusciter. Evangile de résurrection que ce chapitre. L’inconditionnalité de l’amour est bonne nouvelle, est l’évangile. Nous voulons accueillir cet amour inconditionnel pour nous-mêmes alors nous ne pouvons qu’y consentir en faveur de tous. Comment pourrais-je réclamer que les publicains et les pécheurs soient laissés à leur vilénie si je veux être relevé de la mienne ?
C’est seulement cela, si l’on ose dire, la vie éternelle. Etre cherché, retrouvé, relevé par l’amour inconditionnel. Pour accomplir le dessein de l’amour du Père, le fils nous aima jusqu’à l’extrême. Et nous sommes vivants. Relevé, c’est ainsi qu’on dit ressuscité en grec.
Nos paraboles parlent effectivement de résurrection. C’était mon fils et je l’aimais. En disant cela, le père écrasé par la douleur relève son fils de son mal et interdit toute condamnation facile et posthume. Saluant son fils, il en sauve la mémoire. Le père de la parabole ne fait pas autre chose. Son amour est salut, relèvement, ce que l’on appelle résurrection. Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie. Et pour que nous entendions bien la bonne nouvelle de la résurrection, parce que nous ne ouvons espérer la vie pour nous sans la vouloir pour les frères, même détestés, l’évangile répète : ton frère était mort et il est revenu à la vie.

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