06/07/2016

Eglise, poltique et évangile. Le synode panorthodoxe



Ce qu’on appelle « l’Eglise Orthodoxe » est une communion de quatorze Eglises autocéphales, c’est-à-dire autonomes ; elles reconnaissent les sept premiers conciles œcuméniques (Nicée 325, Constantinople 381, etc.). Elles devaient se retrouver en Crête du 19 au 27 juin pour le saint et grand synode, ou concile, panorthodoxe. L’ordre du jour avait été approuvé à l’unanimité en janvier dernier, ainsi que le fonctionnement du synode ; on avait écarté les questions sensibles. Malgré cela, seules dix Eglises ont fait le déplacement, représentées par environ deux cents évêques. D’autres Eglises, dont les catholiques, ont répondu à l’invitation d’envoyer des observateurs.
Il y a une hiérarchie de préséance entre ces Eglises que le premier concile de Chalcédoine (451) a commencé à fixer : (Rome, séparée depuis 1054), Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Le patriarche de Constantinople, Bartholomée, est ainsi le premier entre des égaux. Au XXe siècle surtout, le nombre de patriarcats a augmenté.
Moscou vient en cinquième position alors qu’elle représente près de la moitié des 250 à 300 millions d’orthodoxes. Doit-elle peser en proportion sur les décisions ? Les rapports de force ecclésiaux sont politiques et géopolitiques. Le patriarche de Moscou, Cyrille, voit son engagement œcuménique, pourtant mesuré, contesté dans sa propre Eglise. Il apparaît souvent aligné sur les positions de V. Poutine, en particulier dans le conflit ukrainien. Or, le patriarcat de Moscou a ses racines historiques à Kiev et une grande partie de ses chrétiens et ressources en Ukraine ; nombre d’Ukrainiens demandent à ce que leur Eglise devienne autocéphale et soit ainsi indépendante canoniquement. La guerre en Ukraine est inextricablement une guerre civile, une lutte d’influence de la Russie vis-à-vis de l’Ouest et un contentieux religieux.
Une ligne de fracture se dessine entre les alliés de Moscou, absents, dont Antioche (en Syrie) et le patriarcat de Constantinople. Il existe une importante diaspora orthodoxe dans le monde, toujours plus nombreuse ; plus portée aux réformes, elle n’a quasi pas de poids, car elle dépend des Eglises dont elle est issue, de sorte qu’elle ne peut pas parler d’une seule voix.
Le message final du concile situe l’Eglise devant son devoir d’unité, d’annonce de l’évangile et de solidarité avec ceux qui souffrent (particulièrement au Proche et au Moyen Orient où vivent des orthodoxes parmi d’autres chrétiens). Il prend position sur les différents fondamentalismes religieux, sur ce que permettent, pour le meilleur ou pour le pire, les progrès scientifiques, sur la crise écologique, sur le primat de l’économie dans la politique mondiale, sur la perte ou le mépris des cultures auxquels peut conduire la mondialisation.
Les six documents adoptés à l’unanimité réussissent à éviter les positions intransigeantes, en particulier en ce qui concerne les relations avec les autres chrétiens. La volonté d’unité s’est aussi exprimée à travers la décision de réunir semblables conciles panorthodoxes tous les sept à dix ans et l’encouragement pour la diaspora à travailler unie dans les pays où elle se trouve au sein d’assemblées d’évêques de différents patriarcats.
L’Eglise dit porter le souci des défis auxquels le monde est confronté, selon les exigences de l’évangile et d’accord avec les droits de l’homme. Cependant elle déclare se situer très clairement en dehors de la politique des Etats. Cette déclaration est importante ; elle pourrait permettre aux Eglises de ne pas se comporter en Eglises nationales voire nationalistes. L’Orthodoxie est fière de sa pratique synodale, mais force est de reconnaître qu’elle est aujourd’hui grandement empêchée par la collusion du politique et de l’ecclésial.
L’expérience de vie commune pendant dix jours (particulièrement la célébration de l’eucharistie), le sens de la responsabilité de la foi et de la conduite des Eglises, l’obligation de parler d’une seule voix pour exister aux yeux du monde, ont permis d’opter pour un discours qui endigue l’intransigeance et le conservatisme identitaire. On ne sait pas comment les absents accueilleront les décisions du concile.

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