25/08/2017

L'identité c'est la mission (21ème dimanche du temps)


« Pour vous, qui suis-je ? » Drôle de question. Avez-vous déjà demandé à un de vos proches qui vous êtes. On s’étonne peu de la question de Jésus, « pour vous, qui suis-je ? » C’est qu’on la prend habituellement pour une « question pédagogique » (Gadamer), de celles que les profs posent alors qu’ils connaissent la réponse. De telles questions n’en sont pas vraiment puisque la réponse est déjà connue. Elles ne font nullement entrer dans un dialogue, une recherche de la vérité.
« Question pédagogique », et Jésus connaîtrait évidemment la réponse, voulant juste tester l’opinion et ses proches. Mais s’il connaît la réponse grâce à sa divinité, ne peut-il savoir, pareillement, ce que les gens et les Douze pensent de lui ?
Non, cela ne tient pas. Essayons d’entendre la question comme une vraie question, une question suscitée par le fait que celui qui la pose n’a pas la réponse et espère apprendre des autres, lointains ou prochains. La question, par le dialogue, ouvre à Jésus et à chaque disciple une nouvelle étape sur le chemin de sa propre identité.
Jésus semble un peu perdu alors que sa vie est pleine de contradictions, de tensions qui vont mal finir (il en est certain dès les versets qui suivent notre texte) et les multiples expériences de libération, de vie. Comme nous à certaines heures, il ne sait plus comment avancer. C’est la crise. Alors, comme on le fait avec les amis, les proches, il s’arrête et leur demande leur avis. Il cherche à comprendre. Quelle est le sens de ma vie, ma mission ? Que dit-on ? Que dites-vous ? « Pour vous, qui suis-je ? »
Tous s’accordent, c’est un prophète à l’instar d’Elie, du Baptiste, de Jérémie ou de quelque autre. Pierre ouvre une piste nouvelle. En dehors des chapitres introductifs de l’évangile de Matthieu, c’est seulement la deuxième fois qu’est employé ce mot, Christ. Et la première fois, c’était dans la bouche du narrateur, qui sait, alors que l’on parle aussi du Baptiste.
Jésus découvre sa mission, être Christ, messie de Dieu, fils du Dieu vivant. Porteur d’une espérance, il ne peut que relever ceux qui sont perdus et agresser les tenants d’un ordre qui leur convient, ceux qui n’attendent rien parce qu’ils n’ont besoin de rien. Cet homme ‑ moi dit Jésus ‑ serait l’envoyé de Dieu, son bien-aimé, chargé de conduire Israël et l’humanité sur les chemins de la paix, consacré par l’onction, l’Esprit de sainteté, pour révéler l’amour de Dieu ? La tête a de quoi lui tourner.
Qui suis-je pour qu’ainsi, Père, tu comptes sur moi ? Suis-je fou à me croire chargé d’une telle mission ? Suis-je possédé ou hérétique comme le disent les bons croyants ?
Jésus apprend sa mission, c’est-à-dire son identité, de la rencontre avec les autres. Nous apprenons qui nous sommes, ce que nous avons à être, notre mission, de nos rencontres avec les autres. L’identité, mot à la mode, ne se constitue que dans la rencontre, le dialogue, l’altérité. Il n’y a pas d’abord un sujet, constitué, solide, qui peut s’ouvrir ou non aux autres. Il y a les rencontres qui font advenir qui nous sommes. A tel point qu’identité et mission, envoi vers les autres, c’est la même chose. La messianité de Jésus est fondamentalement cela, l’exigence du passage à l’autre, du passage à l’étranger. Ainsi se découvre effectivement le Père du fils bien-aimé, qui se révèle et se donne, qui se donne, c’est-à-dire se révèle, pour que nous vivions.
Refuser d’entendre la question de Jésus comme une question pédagogique, à la façon des catéchismes d’autrefois, qui risquent de laisser penser qu’à savoir la bonne réponse l’on est chrétien, a aussi des conséquences pour notre être de disciple. C’est dans la rencontre, le dialogue, l’entretien, que l’on est disciple de Jésus. Réciter le catéchisme peut être le fait de non-croyants, qu’ils se croient disciples ou sachent parfaitement qu’ils ne le sont pas.
On peut en effet se croire disciple et ne pas l’être (et inversement). On peut tout savoir de Dieu et de Jésus, et n’être pas disciple, de ceux qui suivent, viennent derrière. L’enjeu de la catéchèse passe assurément par l’apprentissage de choses sur Jésus, mais tel n’est pas son but. Elle est une initiation, un chemin ou itinéraire, pour que l’on devienne disciple de Jésus.
On n’est pas catéchisé pour savoir des trucs sur Jésus, on n’est pas catéchisé pour faire sa première communion ou sa confirmation. Si la catéchèse et ses questions sont dialogue où nous découvrons ce que nous sommes, c’est-à-dire notre mission, elle ne s’arrête pas au bout de trois ou six ans. On est catéchisé pour devenir disciple, pour le demeurer, pour vivre en passant derrière le maître qui, lui-même, passa derrière les pauvres.

1 commentaire:

  1. Salut, chez Francesco Follo, dont j'aime bien les commentaires, l'analyse est dramatiquement différente, à propos du sens de la question de >Jésus, mais les conséquences me semblent très proches : tout cela débouche sur une action, sur une mission liée à l'identité du maître. Nous ne sommes de toute façon pas disciples à cause de ce que nous savons, mais bien par la mission accomplie dans la foi à Jésus, reconnu comme Christ.
    Voici un extrait de Francesco Follo : "Il faut donc se rappeler que le Christ n’adresse pas ces deux questions aux disciples pour connaître une ou plusieurs opinions à propos de lui. Il n’a pas besoin de savoir ce que les hommes pensent de lui. Avec cette double question, Jésus demande un acte de foi en lui et, par conséquence, de le suivre. « Jésus n’a pas dit ‘Connais-moi !’. Il a dit ‘Suis-moi!’. Suivre Jésus avec nos vertus et malgré nos péchés. L’important est de toujours suivre Jésus. Ce n’est pas une étude des choses qui est nécessaire, mais c’est une vie de et en disciple. Il est nécessaire rencontre quotidienne avec le Seigneur, avec nos victoires et nos faiblesses » (Pape François).

    De toute évidence, la question du Christ ne résulte pas d’une crise d’identité, mais s’offre comme un chemin pour amener les disciples dans son mystère de vérité et d’amour. La question du Messie est une vocation à le suivre. Et cette suite ne repose pas sur une adhésion à une théorie, mais sur la solidité d’une présence, aussi solide qu’une pierre."

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