22/09/2017

Les ouvriers de la onzième heure, Dieu se donne (25ème dimanche)



La parabole des ouvriers de la onzième heure ne peut être entendue par les chrétiens depuis que LA religion, c’est le christianisme. Nous, bons catholiques ‑ cela va sans dire, comment ne serions-nous pas bons catholiques ? ‑ nous identifions spontanément aux bons ouvriers, ceux qui sont à travailler dès la première heure du jour, ou au moins la troisième. Evidemment, nous ne sommes pas de ceux qui arrivent au dernier moment pour n’avoir qu’une une heure à faire ! D’ailleurs, n’avons-nous pas été baptisés tout petits, n’avons-nous pas tout fait ?
Or si nous nous identifions aux bons ouvriers, c’est fini, la porte de la parabole est fermée, parce que, dans les quelques allusions au texte que je viens de faire, plusieurs inexactitudes ou infidélités se sont glissées. On n’y parle en effet nulle part de bons ouvriers, et partant, on ne peut donc s’identifier à eux. Si nous lisons le texte de travers, il y a peu de chances que nous puissions l’entendre.
Rien ne permet de déterminer la qualité des ouvriers, bons ou mauvais, même si nous sommes portés à le faire, curieusement, à partir de l’heure de l’embauche. Le texte ne donne pas la possibilité de penser que les ouvriers de la première heure sont meilleurs que les autres. Les derniers disent qu’ils n’ont trouvé personne pour les embaucher. Pourquoi ne pas les croire, pourquoi penser qu’ils sont arrivés tard par insouciance ou j’m’en-foutisme, voire inadaptation sociale, que ce sont des tire-au-flanc ou des profiteurs ? Comment auraient-ils pu imaginer la générosité du maître, qui ne s’est engagé à rien avec eux ? S’il se met d’accord avec les premiers pour une pièce d’argent, avec les suivant sur ce qui est juste, rien n’est dit aux derniers qui partent faire une heure de boulot en faisant confiance. Si le maître les a embauchés même tard, il leur donnera au moins un petit quelque chose, histoire de pouvoir manger ce soir.
Un seul est bon dans cette parabole, le maître. Et cette bonté risque de rendre mauvais l’ouvrier porte-parole de ceux de la première heure, ceux auxquels nous nous identifions, que spontanément nous pensons bons ouvriers : « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Lue ainsi, la parabole tourne à l’opposition, au conflit, entre le maître et les ouvriers de la première heure, les premiers seront les derniers, à cause de la bonté du maître. Si nous voulons poursuivre notre distribution de bons points et nous juger premiers de la classe, nous risquons de nous entendre dire que nous observons le monde avec un regard mauvais, que nous sommes mauvais.
Ce n’est peut-être pas un scoop. Dès lors que nous avons LA bonne religion, forcément les autres ne l’ont pas, sont à côté de la plaque, dans l’erreur. Il n’y a qu’à voir comment l’Eglise juge le monde alors même qu’elle proclame avec l’évangile que « Dieu a envoyé son fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé ». Si nous étions un peu moins sûrs de nous, nous aurions pu envisager la parabole autrement, depuis les ouvriers qui reçoivent le denier, comme les autres.
Appelés les premiers (le renversement évangélique est déjà à l’œuvre), sans doute pouvaient-ils penser que leur sort serait vite réglé, une piécette. Et là, quelle surprise ! La profusion. La profusion de la bonté. Evidemment, ce n’est pas une récompense, une rétribution au mérite. Le denier ne dit rien ou si peu de leur travail, mais dit tout du maître. Il donne tout. Il donne tout pour les autres.
Mais nous, qui sommes disciples depuis si longtemps, fidèles depuis si longtemps, il semble que cela nous casse tellement les pieds, que nous ne pouvons plus nous émerveiller, être stupéfaits de la générosité du maître qui donne tout, à nous aussi. Nous sommes comme Jonas, scandalisés que Dieu soit aussi bon pour les autres que pour nous. Nous voulons plus que les autres même si cela venait à regarder Dieu avec un œil mauvais. Nous sommes tellement conscients de notre valeur, de ce que nous méritons rétribution, que la loi avec Dieu, ce n’est pas l’amour mais la rétribution, que nous ne voyons pas que le maître en ce denier, LE denier, a tout donné, lui-même. Nombre de manuscrits porte l’article défini, « ils reçurent le denier », pourtant quasi jamais rendu, comme si les traducteurs ne lisaient pas les textes mais refilaient, sans doute à leur insu, le sentiment commun de ne pas être des derniers.
Quand Dieu donne, il donne tout, lui-même. C’est comme cela en amour. Dieu ne se donne pas à moitié. Et le christianisme n’est pas une religion, LA religion. Il ne s’y agit pas de récompense, ni même d’échange, mais seulement de gratuité, d’amour. Dieu ne donne pas des récompenses ou des trucs, des grâces. Quand Dieu donne, il donne tout, il se donne lui-même.

4 commentaires:

  1. En ce qui me concerne je pense qu'au dernier jour je serai bien évidemment les mains vides devant le SEIGNEUR car le peu de bien que j'aurais fait sur terre ne sera jamais que ce que j'aurais permis au Seigneur de faire par mes mains.
    Pour moi être catho ce n'est évidemment pas se croire supérieur aux autres ni plus "méritant" que les autres,surtout pas
    C'est seulement passé sa vie à dire "FIAT" et en conséquence faire confiance

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    1. Merci de votre message.
      Si je puis me permettre, il faut aller plus loin, et mon texte est relancé par votre remarque. En termes techniques, je dirai que la théologie de la rétribution est renversée par la parabole de Jésus. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une parabole du jugement. (Il ne s'agit pas ici d'avoir les mains pleines ou vides au dernier jour.) C'est une parabole de la grâce. C'est Dieu qui donne, inconditionnellement ; lui, le premier, nous a aimés. Ce n'est pas une parabole pour après, c'est une parabole pour aujourd'hui.
      Il s'agit de lire le texte du côté des perdants de l'histoire. C'est comme les béatitudes, elles ne font sens que du côté des perdants. Et voilà que les derniers sont premiers.
      C'est une parabole sur la vie ici et maintenant, qui est évidemment politique, parce qu'elle est invitation à la conversion des règles sociales. Les derniers doivent être, dans notre monde, les premiers, puisque c'est le dessein de Dieu.
      Et nous y avons tout à gagner, car il n'y a bien que nous pour ne pas nous croire des derniers. C'est peut-être pour avoir été un peu rebus de l'humanité aussi, qu'il est possible d'accueillir la dernière place comme sienne et là, c'est renversant, s'entendre invité à avancer, se voir relever. "Mon ami, avance plus haut." "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pêche plus." "Matthieu se leva" (verbe que l'on traduit souvent pas ressusciter et il faut bien sûr lire, après que Jésus l'a appelé, "Matthieu ressuscita").

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  2. pour moi la conversion des règles sociales est évidemment nécessaire et ce n'est pas demain qu'on en aura fini avec, mais si une société "parfaite" à vue humaine c'est à dire plus égalitaire que celle que nous connaissons existait elle resterait entièrement à convertir.
    Sinon bien sûr que la théologie de la rétribution est renversée par cette parabole laquelle pour moi veut dire que c'est toujours, absolument toujours ,le moment de se convertir non pas pour se sauver bien sûr, mais par amour

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  3. Natalia 24 sept 0.33
    Me gustan sus argumentos acerca de la generosidad sin límites de Dios. Lo que no entiendo es por qué al final dice y repite "CUANDO Dios da...". El adverbio de tiempo immpone un límite, como si Dios diera sólo en algunos momentos. Pienso que la gratuidad de Dios es consustancial a su relación con los seres humanos y no tiene límites ni temporales ni espaciales. De nosotros depende encontrar las situaciones que nos faciliten captar y acoger esa gratuidad que Dios nos ofrece siempre. Muchos cristianos,sobre todo católicos, piensan encontrarla en lugares llamados "sagrados", como iglesias,capillas... Sin embargo Jesús NUNCA buscaba al Padre en el templo. Le buscaba en la naturaleza cuando necesitaba una comunicación más íntima, pero también le buscaba recorriendo los caminos polvorientos de Palestina y sanando a la gente miserable que le salía al encuentro.

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