Il faut déserter le voir, il faut quitter la preuve. Quand
il y a une preuve, il n’est plus utile de faire confiance. La preuve c’est
l’obsolescence programmée de la foi. La preuve tue la foi.
C’est vrai entre nous comme avec Dieu. Que serait la foi ou
la confiance de celui ou celle qui ferait suivre son conjoint pour s’assurer de
son entière fidélité ? Elle n’existerait plus. C’est précisément parce
qu’elle n’existerait pas cette confiance, qu’il aurait recours à une
surveillance.
Il n’y a pas de confiance sans l’éventualité, la possibilité
du doute et de la trahison, comme il n’y a pas de connaissance sans la
possibilité de l’erreur. L’assurance-vie, c’est pour la mort. Vivant, on n’y
est pas éligible, on n’a pas d’assurance ! Une foi qui ne serait pas
soumise à la faiblesse, à la fragilité de son statut, n’est pas la foi. La foi
n’est pas plus assurée qu’elle n’assure. Croire, même si cela donne de la
force, à supposer que cela donne de la force, c’est toujours la faiblesse de
croire.
Voilà ce que Thomas n’a pas compris, qui veut des preuves,
les marques des clous et la main dans le côté blessé du Seigneur. Il s’interdit
la rencontre du Seigneur, il s’interdit la foi, et l’on peut penser que c’est
pour cela qu’il ne pouvait pas être présent lorsque, « le soir venu, en ce
premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les
disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était
là au milieu d’eux ».
Bien sûr, on ne va pas croire n’importe quoi. Mais avant de
parler du contenu, il convient de parler de la personne à qui l’on porte foi.
Comment se fait-il que Thomas ne fasse pas confiance aux dix autres qui lui
disent avoir vu le Seigneur, ni à ce que le Seigneur a raconté, à travers sa
vie, ses gestes, ses signes, ses paroles ? Non seulement, Thomas ne croit
pas ce que disent Jésus et les dix autres, mais il ne leur fait pas confiance,
il ne les croit pas.
Bien sûr, on ne va pas croire n’importe quoi, et notre
raison, notre rationalité devra dénoncer les superstitions, supercheries,
affabulations, mythologies. Et en matière religieuse, c’est monnaie courante.
J’en connais qui courent les apparitions mariales mais qui ne font pas
confiance à leur curé ou évêque, qui s’en remettent aux astres ou au loto mais
ne sont pas prêts à faire confiance aux évangiles comme paroles de vie.
C’est que l’on confond le merveilleux, fantastique, qui en
impose, et l’humble chemin de la confiance qui ne paie pas de mine. Le
tape-à-l’œil se vend mieux que ce qui ne se découvre que dans le service des
autres. Rappelons-nous comment le centurion de l’évangile de Marc parvient à la
confession de foi, en voyant comment Jésus avait expiré, comme un criminel, au
milieu des criminels, humilié, raillé, abandonné. C’est sûr, ça attire moins
que le rêve, fût-il infantile, de toute puissance.
Si nous voulons être disciples, si nous voulons être
croyants, si nous voulons pratiquer la foi, il nous faut premièrement nous en
remettre aux autres, à d’autres, et deuxièmement, consentir à la faiblesse de
la foi. La fragilité de la foi est celle de l’absence d’assurance en forme de
preuve et le lieu même de la révélation, un homme qui meurt dont chaque homme
souffrant est l’icône.
Nombre de chants que l’on nous fait prendre dans les
églises, outre la qualité médiocre de leur musique et de l’accord entre le
texte et les paroles, nous vendent un Dieu de grandeur, qu’il faut louer. Il
est puissant, présent, toujours. Mais non, ce n’est pas ainsi. Et c’est grave si
les mots pour chanter la foi détournent du chemin de la foi, de la faiblesse de
croire.
« Ce qui est faiblesse de Dieu est
plus fort que les hommes. Aussi bien, frères, considérez votre appel : il
n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas
beaucoup de gens bien nés. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que
Dieu a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de faible dans le
monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui
dans le monde est sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a
choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est, afin qu'aucune
chair n’aille se glorifier devant Dieu. » (1 Co 1, 26-28)
Nous savons, d’expérience, qu’elle est belle la confiance
qui ne tient qu’à l’autre et la relation que nous avons. Nous savons qu’elle
est vie, qu’elle fait vivre cette confiance, et qu’elle se manifeste confiance précisément
lorsque l’autre n’est pas là. Certes, c’est fête à son retour. Mais dans le
suivi des jours et des heures, sur sa parole, nous comptons et ainsi
vivons-nous. Ce que nous vivons entre nous est parabole de ce à quoi Jésus nous
appelle lorsqu’il commande : cesse d’être incrédule, sois croyant.
Comme j'ai aimé et aime ce que vous écrivez !
RépondreSupprimer