Le 4ème dimanche de Pâques, la liturgie donne à
lire un extrait du chapitre 10 de Jean, l’allégorie du bon pasteur. C’est aussi,
depuis 55 ans je crois, la journée de prière pour les vocations, entendons les
vocations de prêtres.
N’est-il pas curieux que l’on attribue le titre de pasteurs
aux prêtres ? Dans le Premier Testament, devant l’incurie des prêtres,
Dieu avait décidé qu’il serait lui-même le seul et unique pasteur de son peuple.
Pour Jésus, s’il y a un pasteur du peuple de Dieu rassemblé, c’est lui. Jésus
se range du côté du Père et prévient contre tous les autres qui ne sont que des
mercenaires intéressés ou non fiables.
Le verset qui précède immédiatement notre texte (Jn 10,
11-18), et dont on ne sait pourquoi on nous en prive, ne peut être attribué
qu’à Jésus. Il dit le sens de sa mission, de son pastorat : « Je suis
venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ». La
mission de Jésus n’est pas de faire des disciples, mais que les hommes aient la
vie par lui, et l’aient en abondance. Voilà ce que personne d’autre que lui ne
peut offrir.
Il est vrai, le chapitre 21 de Jean, plus tardif que les
reste de l’évangile, fait de Pierre un pasteur. Le pécheur qui a renié a pour
charge de paître les brebis (le mot de pasteur n’est cependant pas employé).
Mais n’est-ce pas chaque disciple qui s’appelle Pierre, pécheur pardonné, pierre
vivante avec laquelle Jésus construit en trois jours le temple de son
corps ?
Le pastorat pour parler des évêques d’abord, puis aussi des
prêtres, se repère par exemple chez Augustin, au début du 5ème
siècle. Peut-on encore parler ainsi ? N’est-ce pas chaque chrétien qui par
le baptême a été configuré au Christ, chargé d’annoncer l’évangile par toute sa
vie ? A la différence de ce que pouvait dire le Bienheureux Antoine
Chevrier, dans la seconde moitié du 19ème siècle, ce n’est pas le
prêtre qui est un autre Christ, alter
Christus, mais tout baptisé (dont les prêtres). Le concile Vatican II,
développant l’appel universel à la sainteté souligné la dignité du baptême. Et
bien lui en a pris. Les crimes du clergé ces dernières décennies, tant les
affaires crapuleuses voire mafieuses à Rome que la pédophilie, discréditent
tellement le clergé que l’on ne voit plus comment parler de pasteurs.
Il est curieux que personne ne désigne les ministres par le
terme de « pêcheurs d’hommes », expression de Jésus lui-même pour
désigner ses compagnons. Pasteur, terme réservé au Christ par l’évangile, est
en revanche repris. Il faudrait réfléchir à ce point.
On nous dit que l’on manque de prêtres, en un refrain incantatoire.
Jamais on ne dit pourquoi ni de combien on aurait besoin. On est installé dans
un discours évident de la pénurie que personne ne discute, qui ruine le moral, comme
si, jusqu’à la consommation des siècles, on manquera de prêtres.
Il faut dans notre Eglise un mode de gouvernement,
assurément (je ne prends faute de temps que cet aspect du pastorat). Doit-il
être le fait de vocations spécifiques ? Peut-être bien. Mais à deux
conditions qui ne sont à peu près jamais respectées, d’où la crise de confiance
envers les pasteurs.
Premièrement,
on ne pourra être pasteur qu’à être au service. C’est le ministère qui définit
le pastorat, et non le pouvoir. Pour tout disciple, et pour les pasteurs aussi,
valent les mots de l’évangile. « Vous savez que
ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et
que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi
parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera
votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave
de tous. »
De sorte que, et c’est la seconde condition, gouverner n’est
pas décider à la place des autres mais permettre à ce que tous soient associés
à la prise de décisions. On peut dire qu’on en est loin quand on voit qu’il n’y
a institutionnellement aucun contre-pouvoir dans les diocèses ; les
évêques peuvent être, et sont souvent, des autocrates, et il n’y a rien à dire.
Chaque baptisé doit pouvoir être associé à la conduite de la mission de
l’Eglise.
Dans une société comme la nôtre où réussir sa vie signifie réussir
dans la vie, avoir une bonne situation financière et professionnelle, il ne
peut qu’y avoir crise des vocations. Qui veut servir ? Voilà la question.
C’est une chance que plus personne ne croie au prestige du clergé. Pour
conserver un privilège, certains confisquent et défigurent le ministère en en
faisant une chose sacrée. La seule question est « Qui veut
servir ? » et cette question a de l’avenir, non seulement dans
l’Eglise, mais aussi dans le monde, si l’on veut arrêter de marcher sur la tête
et laisser les puissants n’en faire qu’à leur tête. La journée de prière pour
les vocations spécifiques a du sens pour le monde, et donc pour l’Eglise :
« Qui veut servir ? »
Merci, Patrick. As-tu lu cela (un vieil article de Didier Gonneaud, l'actuel curé de la cathédrale de Dijon, Hypothèses et questions autour du ministère, NRT 118-4, 1996 ?) : L'interprétation sacerdotale du ministère chrétien contribue non seulement à survaloriser le poids des traditions ecclésiastiques à l'égard de la Parole écrite, mais surtout à arracher l'Église à sa greffe originaire {Rm 11, 23-24). La mise en continuité artificielle entre les ministères de l'Alliance nouvelle et le sacerdoce lévitique a renforcé le cléricalisme. Elle a de plus noyé l'originalité chrétienne de la Révélation en la privant de son propre principe de différenciation. Au lieu de penser la nou- veauté de l'Evangile avec et à partir de l'irrévocabilité de la pre- mière Alliance, la lévitisation de ses ministères conduit l'Eglise à se poser comme l'Israël nouveau prenant toute la place, épuisant l'économie de la Révélation, au point d'exprimer sa nouveauté par exclusion et péremption du premier Israël. Nivellatrice de différences voulues par Dieu, cette enflure sacerdotale débouche sur une difficulté pour l'Église à ressaisir sa particularité de façon à l'articuler réellement avec l'absolu."
RépondreSupprimerJe ne connaissait pas ce texte de Didier mais vais jeter un œil.
SupprimerLa sacerdotalisation des ministères est un vrai problème que Vatican II n'avait que partiellement essayer de renverser. Par exemple dans Presbyterorum Ordinis, on distingue assez précisément sacerdos et presbyter, selon l'usage néotestametaire où jamais un ministre chrétien n'est appelé sacerdos (à la différence des prêtres païens et Juifs, à la différence de Jésus, et du peuple sacerdotal).