11/09/2020

Notre faute et celles des frères (24ème dimanche du temps)

Le péché de l’autre, ses manquements à mon égard ou à l’égard d’autrui, sont insupportables, intolérables. Comment l’autre peut-il ainsi être en dette et ne pas s’en inquiéter ? Ne convient-il pas de dénoncer semblable situation ?

On voit toujours plus la faute des autres que la nôtre. Notre faute, nous avons la fâcheuse tendance, tout en la connaissant, à ne pas la voir, à l’oublier. Forcément, nous ne pourrions pas dormir. L’oubli permet de vivre sans la culpabilité. Mais comment ne pas entendre l’implacable interpellation : que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre !

La parabole que venons d’entendre (Mt 18, 21-35) est un procès à charge contre le débiteur qui a déjà oublié qu’il était en sursis. Mais l’histoire est insensée. Qui sont ces mouchards qui rapportent tout à un maître intraitable ? Qui est ce maître qui peut se montrer aussi impitoyable que généreux ? Ces incohérences ou exagérations écartent toute interprétation en dehors d’une seule : Toi qui as été lésé, toi à qui l’on doit, comment se fait-il que tu oublies que tu dois, que d’autres t’ont remis ta dette, aussi exorbitante fût-elle ?

Comme si ce qui était en jeu, c’était de se croire juste parce que nous avons été justifiés. Comme si, d’écouter la Parole et de nous savoir exaucés par elle, oblitérait notre misère. Et de fait, l’agneau de Dieu enlève le péché du monde. La parabole nous invite à saisir la faute de l’autre comme le révélateur de la nôtre. Puisque nous voyons si bien en quoi l’autre est en faute, que ne nous en servons-nous pas pour connaître notre faute !

Luther avait ainsi écrit que chacun était simul justus et peccador, en même temps juste et pécheur. Dans la théologie de polémique suscitée par l’ébranlement de la Réforme pour l’ensemble des chrétiens du XVIe siècle, une telle formule ne pouvait être acceptée par les catholiques. Laissons-là la polémique. La déclaration conjointe sur la justification nous y encourage, signée en 1999 entre les catholiques et les luthériens, puis avec les méthodistes, les réformés et enfin les anglicans.

Il faut arrêter les grands principes et regarder les choses non telles qu’elles devraient être mais telles qu’elles sont. Nous sommes pécheurs. Et si quelque chose remet en cause la vérité de la justification par le Christ, ce n’est pas une expression ‑ par exemple simul justus et peccator ‑ mais le fait scandaleux que les disciples de Jésus ‑ nous ‑ soyons des pécheurs.

Notre parabole pourrait être une pédagogie de la sainteté. Tu ne pourras te penser juste, même justifié par le Christ, si tu oublies non seulement ce que tu as fait mais ce que tu fais encore. Ta justice n’est pas tienne, elle t’est offerte. C’est parce que tu te connais pécheur, pécheur pardonné, que tu peux te connaître créature nouvelle, restaurée par le Christ.

Lundi dernier, discussion à la prison, avec un jeune que je ne connais pas. Lui comme moi, attendions. On attend beaucoup à la prison. De mère catholique et de père musulman, il est, lui, musulman. Il m’invite à organiser une rencontre entre détenus chrétiens et détenus musulmans. La conversation tourne, sans véritable ordre. Quand on est chrétien, me dit-il, à propos de je ne sais plus quoi, on ne peut agir ainsi. Certes. Je lui dis que je ne vais pas lui faire plaisir, qu’il n’est pas obligé de m’écouter. « Si, si, vas-y. » Il avait déjà compris. Quand on est musulman, quand on est chrétien, on n’est pas en prison.

Eh bien si, il y a des chrétiens, et d’autres, en prison. Pire, si j’ose dire. Il n’y a parmi nous, rassemblés dans cette église, que des gens retenus par le péché. Nous sommes tous, nous qui sommes dans cette église, retenus par le péché. Et voilà ce que cette parabole exprime, comme dénonciation du pharisaïsme, comme humble reconnaissance des faits.

Tous, baptisés dans le Christ, nous avons été rendus justes. Mais ne nous payons pas de mots. Nous ne pouvons oublier le don dont nous sommes les bénéficiaires, l’amour de Dieu qui efface tous les crimes. Que la faute des autres, que nous voyons si bien, nous rappelle la nôtre. Notre action de grâce, notre eucharistie, n’en sera que plus grande, notamment pour les dettes remises, pour le pardon qui nous rend à la justice, non originelle, mais toujours nouvelle.

 

 

Père des miséricordes, apprends aux disciples de ton fils de savoir pardonner comme tu leur as pardonné en leur donnant ta vie.

Père des miséricordes, ôte le cœur de pierre de l’humanité et donne-lui un cœur de chair afin que la réconciliation soit la règle de tous les échanges dans chaque société et entre tous les pays.

Père des miséricordes, alors que les enfants de la paroisse se préparent à communier pour la première fois, que chacun d’entre nous ne cesse de puiser la vie nouvelle que tu nous offres à la coupe versée pour la rémission des péchés.

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