Dans les ténèbres extérieures
C’est là qu’il y aura des
pleurs
Matthieu 21, 13
I
Notre Seigneur
viendra ce soir
‑ Sortez, mes
sœurs, partez, mes sœurs -
Notre Seigneur
viendra ce soir
De très loin par
les pays noirs.
J’ai pris ma lampe
dans ma main
‑ Partez, mes
sœurs, allez, mes sœurs ‑
J’ai pris ma lampe
dans ma main
Pour l’accompagner
en chemin
Depuis sept longs
ans je la tiens
‑ Allez mes
sœurs, marchez, mes sœurs -
Depuis sept longs
ans je la tiens
Cachée au vent qui
n’en sait rien.
Mais vous savez
comme je suis
‑ Hélas !
mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑
Mais vous savez
comme je suis,
Tremblante le jour
et la nuit.
Tant j’ai voulu
depuis sept ans
‑ Hélas !
mes sœurs, hélas ! mes sœurs -
Tant j’ai voulu
depuis sept ans
Tant j’ai craint - si fragile à voir -
Tant j’ai craint – si fragile à voir,
Si pâle ! – de la laisser choir ;
Tant je l’ai serrée à l’étroit
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑Tant je l’ai serrée à l’étroit,
Trop, dans l’angoisse de mes doigts.
Vous savez bien comme je suis
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑Vous savez bien comme je suis…
Je l’ai brisée et l’huile fuit.
. . . . . . . . . .
Que
deviendrai-je ? J’ai perdu
‑ Mes sœurs,
mes sœurs sages, mes sœurs -
Que
deviendrai-je ? J’ai perdu
Ma lumière et le
vent l’a su.
En vain je cherche, en vain je l’eus,
‑ Mes sœurs, mes sœurs claires, mes sœurs -En vain je cherche, en vain je l’eus,
L’espérance… Je n’y vois plus.
Il fait grand nuit, il fait grand vent
‑ Mes sœurs, mes sœurs justes, mes sœurs -Il fait grand nuit, il fait grand vent,
Je l’ai perdue, et nul n’en vend.
L’heure des noces a
sonné
‑ Mes sœurs,
mes sœurs saintes, mes sœurs -
Personne ne m’en a donné.
II
Le Seigneur est venu ce soir
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑Le Seigneur est venu ce soir…
J’avais les mains et le cœur noirs.
Il m’a laissée, il a franchi
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑Il m’a laissée, il a franchi
Sans moi le seuil de son logis.
J’ai frappé… L’Epoux est dedans
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑J’ai frappé… L’Epoux est dedans :
« Va-t’en ! Qui te connait ? Va-t’en ! »
J’ai heurté… La Joie est dedans
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑J’ai heurté… La Joie est dedans
Et moi dehors au mal du temps.
Mais sur le seuil, mais sur le pas
‑ O mes sœurs joyeuses, mes sœurs -Mais sur le seuil, mois sur le pas
De la porte qui n’ouvre pas,
Je reste ! Mon Maître est dedans
‑ Mes sœurs bienheureuses, mes sœurs -Je reste ! Mon Maître est dedans,
Je l’attends, folle, je l’attends.
Fidèle en l’ombre comme un chien
‑ Mes sœurs glorieuses, mes sœurs -Fidèle en l’ombre comme un chien
Qui veille et ne demande rien,
Derrière le mur sans espoir
‑ Mes sœurs lumineuses, mes sœurs -Derrière le mur sans espoir
Je le regarde sans le voir.
Sans délivrance,
sans raison,
‑ Mes sœurs
radieuses, mes sœurs -
Je l’aime hors de la maison.
Vous savez bien comme je suis
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas ! mes sœurs ‑Vous savez bien comme je suis :
Sans pieds pour m’éloigner de Lui.
Je l’attendrai jusqu’à la fin
‑ Mes sœurs, où courrais-je, mes sœurs ? -Je l’attendrai jusqu’à la fin
Des noces et du lendemain.
Je l’attendrai jusqu’à la mort
‑ Mes sœurs, où mourrais-je, mes sœurs ? -Je l’attendrai jusqu’à la mort
Et plus loin, et plus tard encor,
Comme un cri pâle l’attendrait
‑ Mes sœurs, ou cirerais-je, mes sœurs ? -Comme un cri pâle l’attendrait
Dans le brouillard du temps d’après.
Sans gîte aux
portes du festin
‑ Je reste,
mes sœurs, ô mes sœurs ‑
Et, triste comme un cierge éteint
Dont la fumée aux pieds de Dieu
‑ Mes sœurs, mes sœurs, mes fières sœurs -Dont la fumée au pieds de Dieu
Monte et vague sans feu ni lieu,
Je pleure et j’élève
vers Lui
‑ Hélas ! mes sœurs, hélas !
mes sœurs ‑
Je pleure et
j’élève vers Lui
Mes folles mains pleines de nuit.
Marie Noël, Chants et psaumes d'automne, Stock, Paris 1947
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