18/12/2022

Mal-être des ecclésiastiques

Hervé Giraud, évêque de Sens & Auxerre, Prélat de la Mission de France, publie dans La Vie, une réflexion sur la difficulté du métier d’évêque. On sait que plusieurs, en France comme dans d'autres pays, démissionnent, prennent des mois sabbatiques, déclarent un burn-out.

Je ne nie pas la difficulté de la tâche, au contraire. Je l’explique autrement. On ne changera pas les choses en proposant des solutions qui seraient seulement des aménagements pour la santé des évêques et des prêtres, mais en optant pour des réformes de l’Eglise. Le mal-être des clercs est un symptôme non de difficultés personnelles mais de dysfonctionnements systémiques, structurels, au même titre, même si c’est différemment, que les délits et crimes sexuels, notamment sur mineurs.


Oui, la tâche est impossible, mais peut-être pas tant à cause des difficultés inhérentes au gouvernement (Qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? demandait il y a cinq ou six ans Pierre Rosanvallon) que parce que les ministères perdent leur sens dans les circonstances actuelles. La théologie des ministères est d'ailleurs indigente, schizophrène, ne sachant opter entre deux modèles qui se révèlent non conciliables contrairement à ce que l’on a voulu croire ou faire croire à Vatican II, pouvoir sacramentel et service des communautés.

Malgré tout ce que nous faisons - et beaucoup se démènent, ministres ordonnés et laïcs -, nous voyons bien que cela ne marche pas. Ce n’est pas seulement le recul numérique qui est en cause, nous nous y sommes habitués (encore que…), que la possibilité même de communautés. Nous n’arrivons pas à renouveler les équipes, les conseils. Nous voulons - enfin ! - une Eglise synodale mais il n’y a plus personne pour entrer dans un tel fonctionnement dans nombre de paroisses. L’individualisme y tient sans doute une part de responsabilité mais pas seulement. Il se pourrait que nos institutions ne fassent plus sens. Et les gens auraient du bon sens à ne pas les rejoindre ! Ça ne marche pas, et c’est tant mieux, parce que l’évangile ne se mesure pas en termes d’efficacité, de rendement, de performances. Nous ne sommes pas chargés que ça marche.

Je ne dis pas, loin s’en faut, que personne ne vit de l’Evangile. Je suis persuadé du contraire. Mais nos actions, comme ministres, spécialement ordonnés, ne donnent pas le fruit escompté. (Je constate même dans le rural, de toutes petites communautés chrétiennes. Dans certaines, chaque année, des catéchumènes adultes, un ou deux. La communauté n’y est pour rien, elle ne fait qu’accueillir. Chaque année, des personnes rencontrées lors des préparations mariage, baptême, funérailles. Gros fatras de religieux peu évangélique, certes. Mais aussi, rencontres de chrétiens authentiques, qui ne sont pas dans l’institution, mais vivent de l’Evangile. C’est est un guide pour leur vie. Les catholiques ne se croisent plus majoritairement dans les communautés rassemblées, spécialement le dimanche, mais sont ces chrétiens qui ne pratiquent pas assez aux yeux de notre institution, et du coup, elle ne les voit pas. Mais qu’en est-il et en sera-t-il de l’institution, s'il n’y a pas de relève ? C’est une des expressions du problème.)

Je tombe sur ces lignes de François Cassingena-Trevedy.
« L’évènement majeur, l’évènement intérieur, l’évènement personnel (faut-il dire qu’il est aujourd’hui largement partageable et tout aussi largement partagé ?) qui domine la période [actuelle], ou encore, pour user d’une comparaison musicale, le thème qui y apparaît jusqu’à s’imposer et à devenir obsédant, est l’effondrement de tout un paysage religieux. L’on assiste ici à l’émergence, à vrai dire préparée et sensible depuis longtemps pour qui sait lire, d’un nouvel acte de foi, à moins qu’il ne s’agisse de l’acte de foi tout court, tel qu’il s’impose désormais, plus dramatique, plus austère, plus coûteux, précisément parce qu’il est un acte. De cet effondrement que beaucoup, hélas, s’obstinent à ne pas voir, ou qu’ils conjurent par des réparations de fortune, par des routines somnolentes, lorsque ce n’est point par des fanfaronnades réactionnaires, l’effondrement matériel de la voûte de Notre-Dame de Paris […] a représenté un symbole si tragique que c’est à peine si on a osé le reconnaître et le nommer comme tel. […] Là où il a subi des avaries sous la tempête du feu, le vaisseau a laissé soudain voir les étoiles, la voûte une autre voûte, le firmament fait de mains d’hommes, un autre firmament sans limites et sans fond. Exacte, cruelle, mais plus stimulante encore parabole de la condition spirituelle qui est désormais la nôtre. En effet, tandis que nous sommes de plus en plus pénétrés de la fragilité de nos constructions religieuses – de ces constructions qui nous procuraient naguère encore enchantement autant que sécurité ‑, nous sommes pressés d’installer sous le ciel nu notre campement de fortune, exposés aux intempéries d’une immensité auprès de laquelle, seule, nous pouvons mendier une étrange tendresse. » (Propos d'altitude, Albin Michel, Paris 2022, pp. 11-12)

Vatican II, pour contrer l’inflation du pouvoir conféré au Souverain Pontife par Vatican I, au lieu de corriger le tir, a donné plus de pouvoir aux évêques. On n’allait tout de même pas se dédire ! Premièrement, cela n’a rien changé en ce qui concerne le Pape, deuxièmement, cela expose les évêques sur tous les fronts. La diminution du nombre de clercs sans que l’on sache véritablement confier les missions pastorales aux laïcs, sinon par délégation, fait reposer sur l’évêque beaucoup trop de choses. L’histoire de la plénitude du sacrement de l’ordre est une connerie sans borne. Comme si c’est seulement le plus ou le moins qui distingue les prêtres des évêques. Certains comme Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, demandaient récemment à être aidés. Il y a nombre de dispositifs institutionnels pour cela qui ne sont pas employés, comme le jeu des conseils. Pour aider quelqu’un, encore faut-il qu’il le veuille. Je ne crois pas que les évêques soient prêts à se laisser aider. Ils cherchent des adjoints pour faire ce qu’ils ont en tête, non des collaborateurs qui pourraient infléchir voire modifier la manière épiscopale de travailler et de gouverner.

Le changement de société ne peut plus supporter la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d’une seule personne. Cela crée une tension impossible pour les évêques. On s’obstine à refuser que l’Eglise soit une démocratie sous prétexte que le vote n’est pas la meilleure manière de décider. De fait vérité et majorité ne font pas toujours bon ménage. Mais la démocratie ne se définit pas tant par le vote que par la séparation des pouvoirs. Le contraire de la démocratie, on le constate, c’est l’autocratie. Cela n’est pas acceptable. Et je comprends que bien des évêques ne le vivent pas bien.

Il est urgent que la direction du diocèse, la curie diocésaine, ne soit présidée que de façon symbolique par l’évêque et que quelqu’un d’autre en soit le patron effectif. Il faut dégager l’évêque de la direction de l’administration. Le patron ou la patronne du personnel diocésain et de l’organisation diocésaine sera soumis à des contre-pouvoirs, celui de l’évêque, celui du conseil des prêtres, au bas mot.

La tâche de tout ministre, ordonné ou non, devrait obligatoirement comporter une partie caritative hebdomadaire en dehors des postes de responsabilité (soutien scolaire, alphabétisation, maraude auprès des sans-abris, soutien des migrants, des détenus, etc.). Non que la charité ne serait pas à vivre d’abord dans l’exercice des ministères, mais que le bénévolat au service de telle ou telle catégorie de plus pauvres apprend à aller voir ailleurs si l’on est effectivement engagé dans la charité, et que travailler dans une équipe, sans être le chef, apprend à être plus humble dans son gouvernement.

Nous ne nous pensons pas, catholiques, comme minoritaires, ouverts à un vaste champ pastoral. Nous nous pensons comme à la limite de nos forces pour tenir un dispositif qui n’est plus adapté, non seulement à ce que nous sommes, mais à ce que les gens attendent de nous. Je pense que l’hospitalité pour parler comme Christoph Theobald, ce que j’appelle la gratuité - prophètes de la gratuité - devrait décider de nos engagements. Courir partout ne convainc que nous-mêmes que nous sommes très occupés. Le pape actuel n’est jamais bon, ou quasi, quand il gouverne. Il excelle à ouvrir son cœur comme ses bras, à pratiquer l’hospitalité tout azimut. C’est là d’ailleurs qu’il évangélise. Ses béatifications ou canonisations, réformes en demi-teinte, nominations, prises de positions doctrinales sont plus que contestables. Il n’aurait je crois que plus de pouvoir à laisser une assemblée gouverner. Il se pourrait même que ce soit ce qui se passe durant les synodes… dont il ne semble ensuite pas faire grand-chose.

La crise de la pédocriminalité a fait tomber ou est en train de faire tomber de leur piédestal les ministres ordonnés. OK, certains s’y accrochent, parce que c’est toute leur raison d’être. Tous n’en sont pas encore conscients. L’incurie voire la complicité épiscopale avec les bourreaux se paye très cher, pour les évêques tout particulièrement, mais aussi pour les prêtres. Cette crise n’est pas qu’une affaire de mœurs. Elle remet en cause le système religieux avec un personnel propre chargé tant du culte que de l’enseignement et du gouvernement. Je constate que l’on s’ennuie dans bien des homélies. Les prêtres et les évêques ne travaillent pas ou n’ont plus rien à dire parce que pour non plus, qu’ils le reconnaissent ou non, l’Evangile ne fait pas sens, mais seulement le système. Notre prédication est indigente dans au moins 80% des cas. Les manies dans les manières de célébrer devraient alerter toute personne de bon sens sur la santé mentale des présidents, depuis la manière de parler jusqu’aux gestes. Il devrait être interdit, sauf exception très spéciale, de célébrer en l’absence d’assemblée, de ne pas laisser à l’assemblée une possibilité d’exister (je ne confonds pas participation active et participation effective).

Il n’y a pas de raison que l’évêque prêche systématiquement dès lors qu’il est là, ni même qu’il préside. Ce n’était pas ainsi avant le dernier Concile. Ou du moins, la présidence n’était-elle pas le rôle de célébrant principal. Il n’y a pas de raison que l’évêque ouvre, préside et conclue toute réunion. Ce n’est pas même à lui de déléguer ceci ou cela. L’Eglise se prend en charge ; l’évêque est là, mais ni lui ni ses services n’ont a priori à organiser.

Les évêques sont malheureux de devoir tenir et faire tenir un système qui est aujourd’hui porté par un mensonge. Ce que nous disons et vivons de la foi est si peu l’Evangile, et nous le savons. Pour ceux d’entre nous à avoir un peu la foi (et non la sécurité d’un système où trouver un cadre) il faut une liberté dont quasi aucun évêque, homme de l’institution, n’est capable. Privé de liberté, on ne va jamais bien. 

Le mensonge est celui d'une doctrine catholique qui est à démythologiser, particulièrement celle des ministères et de l’institution ecclésiale (appel de Dieu, don de soi dont le célibat serait la preuve incontestable, grâce d’état qui dispense souvent de travailler sérieusement, etc.). Le mensonge est aussi, autre face de la même monnaie, celui de la sexualité telle que comprise par la doctrine. On s’accorde aujourd’hui à penser que les prêtres et évêques homosexuels constituent la majorité du clergé. Ce n’est pas en soi un problème. Le mensonge, invivable, réside en revanche dans le fait que ce fait est nié, que l’homosexualité pour être mieux interdite devient homophobie.Une institution dont le système de fonctionnariat repose sur un mensonge ne peut que mal aller et broyer ses propres fonctionnaires.

L’effondrement catholique crispe beaucoup de monde parce que beaucoup pensent qu’il en va de leur identité et s’estiment agressés. Les évêques doivent faire l’unité dans la communion avec des personnes qui n’ont aucune intention de chercher le compromis pour vivre charitablement ensemble. Ces derniers veulent que leur théorie s’impose puisqu’elle est vraie, la vraie. Sous prétexte de vérité, ils sont d’une violence, n'ayant cure de la charité, contre la personne des évêques et des prêtres qui ne leur donnent pas raison. La violence de l’extrémisme religieux concerne aussi le catholicisme. Certains des évêques et prêtres reçoivent des menaces contre leur intégrité physique et sont dénoncés à Rome pour profanation, rien que cela ! Il y a fort longtemps que l’on n’avait vu une telle violence en Eglise. Cela a de quoi miner le moral des évêques. 

Si le lien est établi de la crise du recrutement presbytéral et du moral des prêtres et des évêques au système religieux, il faut penser que ce qui est à réformer c’est notre compréhension de ce qu’est l’Evangile. Loin de cela, nombre d’entre nous, prêtres et évêques, sont à la remorque des évangélistes. C’est tout le contraire de ce que nous avons à faire. La crise est celle d’une compréhension de l’Evangile quand il n’est plus porté par un fonctionnement religieux, lorsque qu’il se distingue et même s’oppose à la religion. La tâche d’évêque comme grand manitou de la religion catholique ne peut être qu’écrasante parce qu’elle est le contraire de ce qu’enseigne l’Evangile. Et comme par hasard, la visitation du monde nous remet debout, parce que là, en étant seulement ce que nous sommes, de piètres humains et disciples, nous laissons exister la vie, et l’évangile peut même être entendu.

La mission, dans l’évangile est dite moisson, récolte, et nous, nous la pensons comme semailles. Le psaume nous avait prévenus, on sème dans les larmes. Nous y sommes. Mais l’on moissonne en chantant.

2 commentaires:

  1. Bravo pour ce texte très courageux, qui donne à penser..merci !

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  2. Il va vraiment s'asseoir autour d'une table pour mettre tout à plat...et sortir de la dictature de l'urgence pour se forger une vision au service de la joie de l'évangile....

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