02/02/2024

Rendre la vie possible (5ème dimanche du temps)

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Je me souviens de cette façon qu’avait Gustave Martelet de raconter la guérison de la belle-mère de Pierre, si simplement banale que tout surnaturel en était effacé ; le miracle n’était pas ce qui importait, mais la vie.

Jésus s’approche donc de la malade. « Eh, la Mamie, ça ne va pas ? » « Oh, comme il m’a dit cela… De suite j’étais debout et je les servais. »

Alors que certains donnent dans le merveilleux et la mise en spectacle de guérisons, l’évangile raconte une rencontre en tête à tête, dans le coin de la maison où est couchée la malade avec sa fièvre. Personne ne semble prêter attention à la guérison, même si la vignette suivante, avec toutes les guérisons, laisse entendre que rien de tout cela n’est passé inaperçu.

Jésus refuse que l’on parle de lui. Il fait taire. Ce qui parle de lui, c’est seulement son geste respectueux, comme le font tant de visiteurs de malades, s’approcher et prendre la main. S’approcher et se montrer, prendre la main et non la parole. Et cela remet debout, indépendamment de la pathologie. Jusqu’au bout de la vie, prendre soin de l’autre, surtout écrasé par la maladie et le poids du jour ou des années.

Avez-vous remarqué ce que fait la belle-mère, une fois guérie ? Figure de l’humanité en train de se mourir, comme la nôtre aujourd’hui, elle retrouve la santé pour servir. A quoi bon être en forme si c’est pour ne pas servir les frères ? Le patron de la Fédération des acteurs de la solidarité se disait déçu par le discours de politique générale du Premier ministre, cette semaine. La déclaration « laisse une impression étrange et pas très agréable » ; comme si les Français en situation de précarité et de pauvreté « n'existaient pas, sauf pour les rendre responsables de la crise des classes moyennes, ou pour leur enfoncer la tête un peu plus [en disant] qu'ils sont dans la pauvreté parce qu'ils ne veulent pas travailler ».

On comprend ce que c’est que de ne pas prendre la main, combien cela tue, achève. Avant de savoir ce que feront les gens une fois guéris, Jésus les sauve. Ici une femme se met au service, se remet au service. Cette séquence de quelques versets ouvre notre regard sur ce que fait Jésus pour tous, invitant à faire de même. « C’est un exemple que je vous ai donné. »

Il est dit dans les versets précédents que Jésus parle avec autorité : il rend la vie, il rend possible la vie, il autorise la vie. Pas de pouvoir, magique ou surnaturel ; un service : faire en sorte que la vie soit possible. Et c’est notre tâche, notre labeur, notre labour.

A l’aube, il se lève. A l’aube, il prie. Son amour le conduit à la prière. Sa prière le mène aux rencontres, prendre la main, encourager ‑ « Confiance, c’est moi », passer en faisant le bien, respirer la vie avec les autres, leur apprendre à respirer la vie, à vivre.

Sa prière n’est pas ce qui se passe à l’aube dans la solitude, mais les rencontres, y compris le combat sans merci contre le mal, la maladie, la haine. La solitude décentre, permet, autorise de ne pas se prendre pour le bon Dieu, y compris quand on est Jésus ! Jésus a disparu, ce qui fait que les disciples le cherchent. Il n’est pas le centre, contrairement à ce qu’ils veulent en faire. Dieu non plus, donné pour que le monde ait la vie, créateur, sauveur.

On ne sait rien de ce que Jésus dit dans la prière. Il est là dans la solitude du désert et le silence du jour pas encore levé. Comme s’il fallait faire lever le soleil. Ainsi il avait fait se lever la belle-mère de Pierre. Sortir, parce que les malades sont rassemblés devant la porte. Le soleil est couché comme la malade fiévreuse, la vie se retire.

La prière et la guérison sont unes, elles ont même structure. Il n’y a pas la prière et l’action, contrairement à ce que l’on pense. C’est une même chose, la vie pour les autres, sa vie pour rendre la vie possible, s’autoriser à vivre, permettre aux autres de vivre. Marc qui ne fait pas des théories raconte. Le récit est fait de successions. Mais tout l’épisode rapporte une seule et même chose, ce que fait Jésus.

Prier n’est pas réciter des prières, prier n’est pas un culte, mais une culture, celle du service. La belle-mère de Pierre a compris. La prière, sans mot, dans le silence du désert, se décentrer, sortir, s’en aller, s’approcher pour une veille et attente ‑ que le jour se lève !  Que la vie prenne, résurrection ! Le texte dit littéralement : il la fit se lever, il la leva, il la ressuscita.

Rembrandt, v. 1656 (Collection Frits Lugt, Paris)

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