30/08/2024

Le piège du pur et de l'impur (22ème dimanche du temps)


Il y a des choses pures, et d’autre impures. Il y a des choses convenables et d’autres qui ne se font pas, ne peuvent même pas être envisagées. Il y a ce l’on admet et ce qui est inadmissibles, voire non-négociable.

Le monde est-il ainsi, en noir et blanc ? Les nuances de gris sont innombrables. La diversité des situations nous voit ‑ et heureusement ‑ non seulement avaler beaucoup de couleuvres, mais, positivement, dépasser ce que l’on pensait intangible. Ce qui n’est pas négociable varie parce que l’on ne peut pas toujours être en guerre, parce qu’il faut bien négocier, parce que l’amour et l’unité valent plus que la vérité ‑ ce que l’on prend pour la vérité et qui s’imposerait contre tout. Si c’est mon enfant, mes parents, mon ami qui se retrouvent « impur », en dehors des clous, vais-je rompre avec eux au nom des principes ?

« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ». Il est des manières d’avoir raison qui nous font avoir tort, jusqu’au crime. La réciproque est moins vraie, au point qu’Augustin, pas vraiment du genre laxiste, écris : « aime et fais ce que tu veux ».

A travers la dichotomie du pur et de l’impur, du légitime ou non, du contre-nature ou non, etc, s’expriment nos convictions les plus intimes, ce qui nous révulse, que l’on pense et vit comme un repoussoir, et ce qui nous meut, nous motive au plus profond. Ce plus intime s’entend et personnellement et collectivement, touche chacun dans ce qu’il a de plus propre et dans sa communauté, l’ensemble des personnes avec lesquelles il vit et se perçoit en relation. Cela s’appelle l’identité et l’on sait que l’on n’y touche pas impunément.

L’intimité concerne ce qui caractérise la vie humaine, particulièrement perceptible dans des situations cardinales ou limites : la naissance, la nourriture, le sexe, la violence, la mort, la fête, le divin. Même dans nos sociétés où presque plus personne ne produit sa nourriture, élève et tue les bêtes qu’il mange, prélève sur la nature les fruits et légumes, le repas demeure un moment symboliquement fort, loin de se réduire sa fonction alimentaire, surtout lorsqu’il est partagé avec des amis… ou des ennemis.

Ce plus intime et ce que nous voulons et pensons ensemble, on accordera que cela s’appelle le sacré. Je devrais sans doute étayer davantage l’affirmation, mais on ne peut tout dire ou montrer dans une homélie. J’espère que ne paraîtra pas indu le passage du pur et de l’impur, et autres dichotomies du même genre au sacré.

En s’en prenant aux règles de pureté, notamment alimentaires, en les renversant même ‑ puisque Marc commente en précisant que Jésus « ainsi déclarait purs tous les aliments » (un verset omis par le texte liturgique) ‑, Jésus ne fait pas que renvoyer les pharisiens à leur soi-disant hypocrisie, ignorance de la loi de Dieu au profit de la tradition des hommes. Il s’attaque à ce qui se joue au plus intime de la vie de chacun et de sa communauté d’identité, le sacré.

Il est tellement évident qu’il n’y a pas le pur et l’impur, que le pays de Candy avec les méchants et les gentils, ça n’existe pas. Et ne parlons pas de la pureté menstruelle ! Il est tellement évident que les pharisiens et les scribes ne sont pas dans l’hypocrisie à suivre la tradition, ils ne sont pas moralement coupables, mais pris dans les contradictions du sacré. Ce n’est pas tant eux qui sont hypocrites, que tout discours et attitudes et actions dès lors que l’on pense le monde avec la catégorie de sacré, représentée par la distinction étanche du pur et de l’impur.

L’identité, c’est sacré. Les coutumes de nos pères, c’est sacré. Mon intimité, la famille, l’état de droit, c’est sacré. Etc. Tout ce qui compte relève du sacré, du préservé, réservé, intangible, intouchable non-négociable. La rencontre de l’étranger, de l’étrange, met en péril ces évidences au point d’être agression et de provoquer des crispations et même la violence.

Le renversement du sacré met l’homme face à ses responsabilités, le place devant ce qu’il fait, lui, du bien et du mal, qui ne sont pas définis par des règles intangibles, extérieures à l’homme, qu’il suffirait de respecter, quitte à se retrouver à agir contrairement à la morale la plus élémentaire, comme l’assistance à ses proches (autre verset omis par la liturgie). Renverser le sacré c’est penser le jugement éthique, non selon une objectivité extérieure, mais selon la relation et l’intention où prennent place pensées, positionnements, actes.

Renverser le sacré, c’est aussi, mettre à bas le fonctionnement religieux de l’humanité et de la société, et cela est fort dangereux. Jésus est condamné pour sacrilège et exécuté.

4 commentaires:

  1. Et si le sacré n'était rien d'autre que ce qui existe, anatomiquement, en avant de l'os si bien appelé par les anciens "sacrum". Région anatomique où se mêlent si étroitement "violence et sacré". En pensant même, avec Kérimel résumant bien Girard: "violence est sacré".

    RépondreSupprimer
  2. "Cela ne se fait pas..."

    Merci Patrick

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Certes, mais il est aussi des manières de faire ce qui ne se fait pas qui peuvent justifier l'alternative infernale du pur et de l'impur. Le problème, c'est que l'on ne s'en sort jamais, si ce n'est à sortir de ce référentiel.

      Supprimer