07/02/2025

Peut-on faire confiance à cette parole ? (5ème dimanche du temps)

 


Quel rapport y a-t-il entre la pêche miraculeuse et la suite de Jésus (Lc 5, 1-11) ? La succession des scènes n’établit aucun lien de cause à effet. Consécution n’est pas conséquence. Ce n’est pas parce que l’on a pris de nombreux poissons, qu’on pêchera des hommes.

La tâche des disciples ne consiste pas à attraper des hommes. « Je t’ai bien eu », « je t’ai bien attrapé ». « Nous nous sommes fait attraper », « nous nous sommes bien fait avoir ». Est-ce ce dont parle le texte ? L’expression « prendre des hommes » ne revient nulle part dans les textes ou la tradition. A la différence de la métaphore du pasteur ou berger, celle du pêcheur d’hommes n’a aucune postérité. Les hommes ne sont pas à capturer, fût-ce par l’évangile parce qu’il est libération. Jésus ne lie pas, n’attache pas. On le sait : en un chapitre il a délivré la belle-mère de Pierre de sa fièvre, les possédés de leurs démons, les malades de leurs maux. Pierre et les chrétiens se sont-ils vu puissants et riches à capturer des hommes pour entendre ce mot ? Comprendront-ils à la fin du parcours que ce n’est pas la question ?

Luc détaille l’étonnement et la remise en cause que suscite la pêche. « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés. » Jésus est-il un esprit mauvais dont on veut qu’il s’éloigne ? Met-il à jour ce que nous sommes, des pécheurs, ceux du péché, que nous nous sentions indignes ou dénoncés ? La frayeur de Pierre est la même que celle qui, quelques versets plus haut, avait pris la foule après un exorcisme.

Les professionnels de la pêche auraient mieux fait de demander à Jésus son truc pour s’en servir une autre fois. Loin de là, maintenant qu’ils sont des pécheurs aux pouvoirs incroyables, ils abandonnent leur métier !

Le rapport entre la pêche et l’appel réside dans l’étonnement et la remise en cause. L’abondance de la pêche n’a d’autre but que de forcer l’interrogation. La pêche miraculeuse émerveille autant qu’elle étonne ; c’est le même mot en grec. Il n’y a rien d’automatique à suivre Jésus. Ce n’est pas parce que « nous avons tout fait » quand nous étions petits que nous suivons Jésus. Ce n’est pas parce que « nous ne sommes pas des animaux » que nous croyons en Dieu. C’est chaque jour que se renouvelle l’aujourd’hui de la parole. Avec la pêche, Jésus installe une rupture dans l’ordre des choses, avec les évidences.

Luc met en scène la capacité de la parole de Jésus à être crue : « Cette parole, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » ; « aux autres villes aussi il faut l’annoncer […] et il prêchait dans les synagogues de la Judée » ; « la foule le serrait de près et écoutait la parole de Dieu ». La parole semble aussi efficace que déroutante et surprenante au point d’être effrayante voire démoniaque.

Quel est le statut de la parole de Jésus ? A Nazareth, on s’interroge : « tous [...] étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche » pour aussitôt après être remplis de fureur et le précipiter du haut d’un escarpement. A Capharnaüm, immédiatement après, « ils étaient frappés de son enseignement, car il parlait avec autorité. »

La guérison de la belle-mère de Pierre n’a rien changé à la vie de Pierre. Avec la pêche, c’est différent. Sa barque sert de tribune pour que la parole de Jésus parvienne à tous, lui compris. S’il est quelqu’un d’attrapé, c’est Pierre et ses compagnons. « Sur ta parole. » Pierre accepte de jeter les filets, aussi insensée que ce soit : ils ont peiné en vain toute la nuit, au moment favorable pour la pêche. Ce n’est pas avec le jour et le bruit qu’il vont capturer quelque chose. Commence-t-il à croire la parole ?

Jésus ne demande pas qu’on le suive. La suite de Jésus est seulement notifiée sans qu’on sache si elle naît de la liberté des disciples. Cette fois, la parole a bousculé des vies. Pas de suite de Jésus sans vie bousculée, loin des évidences et des convenances, du bon sens, pour un monde nouveau.

Est-il possible de faire confiance à cet homme et sa parole ? Comment le croire quand il dit que la fraternité est la vocation de l’humanité, que le culte divin c’est l’amour des parias et non des sacrifices ou des liturgies, que l’avenir est à la miséricorde et à la vérité, non à la punition et au mensonge, que les premiers sont les derniers, qu’il n’y a plus ni Juifs ni grecs, ni l’homme ni la femme, parce que tous sont fils et filles, aimés du Père ?

Eglise Saint-Martin de Zillis (Canton des Grisons), 1109-1114

 

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