06/06/2025

Cadavre ou Esprit (Pentecôte)

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Le déploiement dans le temps de la pâque de Jésus, jusqu’à l’ascension et la pentecôte, est une invention lucanienne qui rend compte d’un unique et même évènement dont la diffraction permet de mieux saisir l’intensité. Reprenant le calendrier des fêtes juives, il substitue l’Esprit à la loi comme don de Dieu ; altissimi donum Dei.

L’évangile de Jean connaît aussi cette substitution, énoncée dès le prologue : « la loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » Mais Jean choisit la concentration pour dire la densité pascale. Tout a lieu à la croix, instrument du supplice, lieu de la mort, de la glorification, de l’élévation de terre et de la remise de l’Esprit.

Si la narration lucanienne en vient à occulter la logique johannique, on est enfermé dans une histoire sainte, friande d’anecdotes plus que de sens. On est distrait de l’essentiel et ne comprend plus même ce que Luc veut dire. Ainsi, il est opportun, dans le cycle liturgique de l’année C, lucanien, de lire l’évangile de Jean !

Avec la mort, c’est fini. La résurrection n’est pas happy end qui ferait de la mort une péripétie momentanée, vite dépassée. Luc console de leur tristesse infinie les deux marcheurs d’Emmaüs, leur laissant le temps d’ouvrir les yeux, de se réveiller de leur non-foi. Il atténue la violence de la disparition pour accoutumer les disciples à ce départ inexorable, au risque de laisser croire que Jésus demeure présent avec eux jusqu’à la fin. Or, « les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. » (Mt 26, 11 et // Mc et Jn)

Mais non, Jésus n’est plus là, absent du monde. On ne peut s’accrocher à une présence. Comme lorsque l’on a déposé un corps en terre, on quitte le cimetière vides, vidés. Pour Jésus, même la tombe est vide ! Rien ne comble la béance … sinon l’illusion, l’idole.

Jean enfonce le clou, si l’on ose dire : il vous est bon que je m’en aille. C’est ou Jésus, ou l’Esprit : « Si je ne m’en vais pas, le défenseur ne viendra pas à vous. » (Jn 16, 7) La Pentecôte, au soir du Golgotha, ou cinquante jours plus tard, est la fin de la présence de Jésus. La loi qui est péché et mort (Rm 5-8) est renversée par l’Esprit « qui donne la vie » et qui est « la rémission des péchés, la vie éternelle ».

Les chrétiens convaincus que Jésus est présent parmi eux peuvent s’y croire. Ils en font un objet d’adoration, comme les Hébreux avec l’arche d’alliance, talisman, protection. Les Philistins s’emparent de l’arche et le peuple meurt d’avoir fait de son Dieu une idole. L’Eglise peut réduire Jésus à l’idole, jusque dans la pratique eucharistique.

On ferait bien de moins dire la présence de Jésus, pour laisser l'Esprit vivre en nous, changer nos vies, les convertir. La présence de Jésus empêche l'Esprit. On se dit disciple, mais l’on est accroché à un cadavre ‑ Noli me tangere ! Faut dire que l’Esprit, inobjectivable, ne se repère que dans la transformation de nos vies, et qui a envie de transformer sa vie ? Les ossements desséchés, désormais, c’est l’humanité dont l’Eglise est le sacrement, les prémices.

[« Il ne faut pas comprendre la fondation de l’Eglise de manière juridique et légale, comme si le Christ avait confié à quelques hommes une doctrine et une Carta magna fondatrice, tout en restant en dehors de cette organisation. Il n’en est pas ainsi. L’origine de l’Eglise est quelque chose de plus profond. Le Christ a fondé une Eglise pour continuer à être lui-même présent dans l’histoire des hommes, précisément à travers ce groupe de chrétiens qui forment une Eglise. L’Eglilse est donc la chair dans laquelle le Christ réalise, au long des siècle, sa propre vie et mission personnelle. » Mgr O. Romero, 2ème lettre pastorale, 1977]

L’Esprit c’est la liberté et la responsabilité. C’est à nous désormais d’être par le souvenir que fait surgir l’Esprit, non le signe de la présence, mais la présence de Jésus. Nous ne prenons évidemment pas sa place, mais nous ne sommes pas signe non plus, comme si ça présence était voilée et qu’il fallait l’indiquer par des signes. Nous avons la responsabilité et la liberté, par l’Esprit, d’être sa présence en ce monde, pour ce monde.

La prière exprime l’attente de son retour, le désir de lui. Les contemplatifs sont cela de façon exponentielle. Non pas demeurer en sa présence, mais l’attendre, comme le jour nouveau, « car il se lève à l’Orient ». La prière est l’expérience de son absence impossible qui nous tend vers « les cieux nouveaux et la terre nouvelle, où la justice habitera ».

Avec le silence de la quête, comme Jésus, nous nous évertuons à passer en faisant le bien, à pardonner, à donner vie. Dans la liberté et la responsabilité, réconcilier, relever les morts, « les pauvres toujours présents avec nous », en samaritain des frères et sœurs. L’Esprit est Dieu qui habite avec son peuple, maintenant que Jésus est absent, pour que dans la mort lève la vie. Et in spiritum sanctum et vivificantem, […]et remissionem peccatorum.

Chrispijn van den Broeck (1523-1591), (vers 1570).

 

 

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