Le chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux s’ouvre par une définition de la foi dont je ne parviens pas à voir qu’elle soit illustrée par les exemples qui suivent, rappelant tels événements de la foi des patriarches. Nous lisons ce qui concerne Abraham et Sarah. Je n’y vois pas de certitude, pas d’assurance, mais plutôt une sorte d’agnosticisme, au moins au sens étymologique. « Il partait sans savoir où il allait. » Le patriarche ne sait pas, et cependant se met en route.
Cette attitude est commune : n’est-ce pas ce qui arrive à tout le monde ? Partir dans la vie, partir dans une aventure amoureuse, dans la constitution d’une famille, un projet de vie, etc. c’est toujours partir vers un endroit que l’on ne connaît pas. Nos existences nous placent devant autant d’embranchements de chemins. Aller à droite, à gauche, ou ailleurs encore ? Nous ne savons pas. Nous ne saurons jamais si nous avons fait les bons choix. Nous sommes en route, il faut avancer. Il faut vivre et nous optons pour ce qui paraît promesse de vie, quand bien même ce qui nous apparaît serait, et est en fait assez souvent, chemin de mort.
Je pense à tous ceux qui n’ont su faire autrement que de tirer le rideau, parce que la promesse ne paraissait que mort, que mortelle. Et nous ne savons pas, s’il y a l’agnosticisme de la foi, alors, comment dire que chaque vie a un sens, que le suicidé n’a pas vu.
Croire va jusque-là. Il n’y a pas de Dieu garant du sens, ni une foi qui serait l’assurance, le moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. C’est aussi, si ce n’est toujours, dans le non-sens, que nous croyons, que nous sommes disciples. Il se pourrait même, dans le contexte actuel de ce que nous appelons savoir et sens, que les adeptes du sens soient les païens, entendons les gens religieux, de quelque religion que ce soit y compris chrétienne, mais si peu voire pas du tout disciples. Ce que l’on appelle ici le destin, là la bonne étoile, là encore la vocation à laquelle Dieu appelle, tout cela n’est-il pas une manière de nous assurer, de nous rassurer sur ce que doit être notre vie, comme sensée ?
Je ne sais faire autrement que redire toujours le même exemple. Quel est le sens de la vie de l’enfant de Gaza tué par une bombe, pire encore peut-être survivant de la famine et de l’horreur, massacré, qui devra traîner ces traumatismes jusqu’à la fin de ses jours ?
Perdre sa vie, n’est-ce pas consentir à n’en pas voir le sens, à ne pas en chercher ? La réussir ou la gagner, vouloir absolument un sens, n’est-ce pas la perdre comme dit l’évangile ? Agnosticisme de la foi, nous ne savons plus rien, et surtout pas ce que dit le catéchisme. Nous marchons comme si nous étions devant et avec Dieu, mais sans Dieu. Ainsi s’exprimait Bonhoeffer quelques mois avant son assassinat par les nazis. Augustin d'interroger : « Faut-il t’appeler pour te connaître », mais peut-on appeler sans connaître ? « Pour aller où tu ne sais pas, tu dois aller par où tu ne sais pas. » (Jean de la croix)
La foi, ce n’est pas que Dieu fasse surgir le miracle, la vierge qui enfante, l’enfant mort ressuscité, la porte de la prison qui s’ouvre, car rien n’est impossible à Dieu. Tout cela dans les Ecritures n’est pas preuve de la vérité de Dieu, plutôt l’indice de ce que dans le non-sens aussi Dieu habite, que la vie est souvent plus forte que toutes les morts qui nous affligent, nous détruisent. Remarquez la relecture du sacrifice d’Abraham. Non pas Dieu peut éviter le drame du père meurtrier ou du Dieu pervers, mais la vie plus forte, jusqu’à relever les morts.
La foi, c’est quand il n’y a rien à voir, comme au tombeau, comme Abraham. Un trou, comme le côté ouvert, déchiré, la poitrine de Jésus. Une béance, une faille. Thomas ausculte le trou de la plaie. Il n’y a rien à voir, pas de preuve, seulement la mort et… une faille.
Pouvons-nous croire ce que nous avons sous les yeux sans cesse, la puissance de vie, malgré tout, malgré la force de destruction ? Il est des lieux où on ne peut guère ne pas la voir, avec les agonisants, dans les hôpitaux bien sûr, mais aussi les enfants ou anciens enfants cabossés, détruits, les pauvres, les parias, les rejetés, exilés, qui ont, comme Abraham, quitté leur terre pour plein de raisons, mais aussi parce que la vie est toujours départ vers où l’on ne sait pas, ou découvrant dans l’exil que la vie est toujours autre que l’on ne sait pas.
Aucun discours ne boucle, pas plus celui de la foi que celui de la science. Surtout pas celui de la foi, ce serait le comble de l’idolâtrie, donner la réponse avec ce qui dans l’épaisseur du monde refuse la réponse, inscrit la faille, la béance et le manque.
Bréviaire de Bonne de Luxembourg, la blessure du Christ. vers 1340, folio 331 recto. Que cette blessure soit à s'y méprendre un sexe de femme ne put échapper à l'artiste.
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