19/09/2025

La transvaluation des valeurs / Lc 16, 1-13 (25ème dimanche du temps)

tableaux-pour-couloir - Christ de Saint Jean de la Croix, 1951, Salvador Dali - BRIDGEMAN IMAGES 

 

La parabole dite de l’intendant malhonnête met en déroute le système du mérite et de la rétribution. Beaucoup agissent comme si on pouvait tout acheter, comme si la loi du plus fort, qui est aussi le plus riche, permettait de s’affranchir des règles du droit international. Désastre politique et faute morale ! Semailles maléfiques de guerre. Plus nombreux encore ceux qui pensent que par le mérite on s’achète la récompense. Ils sont riches de ce qu’ils sont.

On lit chez Luc une sentence tout à fait scandaleuse aux yeux de cette grammaire du mérité : « Il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. » (6, 35) La version de Matthieu serait plus acceptable : « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »

Il n’y a pas de bons ou justes, que des scélérats face à la bonté qui regarde avec amour. Pas de récompense puisque personne n’a de quoi l’escompter, mais la bonté qui ne déserte pas la scélératesse. Qui, parmi les enfants des hommes, peut se dire bon, juste ? Il faut accepter de nous voir tels que nous sommes. Notre bonté ni n’excuse ni n’efface notre mal. Il ne s’agit pas de se flageller, se déprécier, même s’« il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ. »

Parmi les puissants et les riches, parmi nous, qui se regarde comme un membre souffrant ? La radicalité de Luc ne vise pas à mettre l’homme, l’Adam, le terreux, le glèbeux, plus bas que terre. Elle veut extirper le pharisaïsme, la conviction que tout compte-fait, nous ne sommes pas si mal que ça, et même très bien.

Plus encore, Luc dézingue la conséquence du contentement : Nous méritons. Nous ne le disons pas forcément comme cela, mais il suffit que nous rencontrions plus pauvre ou méprisable que nous, pour le regarder de haut. Tout de même, nous n’en sommes pas là ! S’il en est un entre lui et moi qui devait être aidé, reconnu, embauché, choisi, aimé, remercié, etc., c’est évidemment moi, et non celui-là qui profite (sic !).

Les richesses tant pécuniaires que militaires, foncières ou de savoir-faire, intellectuelles ou affectives, artistiques ou relationnelles, ne sont une force que dans la faiblesse et en vue du bien commun, parce qu’avec Jésus et tous les damnés de l’existence, nous avons vécu que « c’est lorsque je suis faible que je suis fort ». (2 Co 12, 10) L’abaissement de Jésus n’est pas humilité mais renversement de l’ordre du monde auquel nous nous accrochons et qui nous tue, comprendre l’existence selon le mérite.

Une pseudo hiérarchie de la gravité de nos fautes, voire crimes et délits, laisse penser, tout compte fait, qu’il y a pire. Personne ne se réduit à ce qu’il a commis… pas plus en bien qu’en mal. Ce qui fait la dignité de chacun, ce n’est pas qu’il y a pire. La dignité ne réside pas dans les mérites ou l’absence de mérite. Elle ne se compte pas. Etre humain n’est pas faire ses comptes, encore moins les régler. L’estime qu’autrui nous porte révèle notre dignité et nous élève, relève. C’est un leurre d’établir un lien entre ne pas être trop mal, voire bien, et la récompense, entre le mérite et ce que nous recevons. C’est une escroquerie de considérer le mérite comme une valeur marchande ou pécuniaire. Il ne s’échange pas en récompense ou alors c’est la fin de la dignité, sans pourquoi, et le début de la guerre.

Le maître de la parabole connaît le délit, la tromperie, les mensonges. Il n’y réduit pas l’intendant. Mieux, la prodigalité de l’intendant, même sur le dos du maître, justement sur son dos, expose l’inanité du système de l’argent, la logique du mérite et plus généralement de tout ce qui se monnaye, au profit – c’est le cas de le dire – de la seule gratuité. La grâce des grâces de Bernanos. « Et le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête. »

Cela va de soi, non prêcher le vol et la spoliation. C’est ce que font les puissants, depuis la première lecture jusqu’à la loi de la jungle, le mépris du droit, la guerre en Ukraine, à Gaza et partout. Si prêcher l’honnêteté est assurément un mieux, ce n’est pas un bien. Il faut renverser la table, les valeurs. C’est Jésus, c’est François d’Assise et chaque fois que nous regardons avec bienveillance les frères. La grâce des grâces. Transvaluation du mérite opérée par la croix.

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