Texte Col 3, 12-17 et Mt 5, 13-16
Vous me demandez de recevoir vos consentements. Il y a un problème, c’est que je ne sais plus faire. Je me rends compte que je n’ai jamais su faire, quoi que je pouvais en penser. Comment redire un enseignement qu’un rien de sociologie rend suspect et s’extasier devant la beauté de la famille et de la conjugalité, quand si souvent elles sont infernales. Vivre c’est bricoler. Nous vivons la fidélité et nos engagements avec les moyens du bord.
Ce n’est pas qu’il n’y ait dans l’amour un appel à exister, ce qu’on nomme une vocation. Ce n’est pas que la conjugalité serait disqualifiée ; même s’il est bien d’autres formes de l’amour, elle demeure une parabole pour dire Dieu. Mais le discours et la pratique de l’Eglise rendent cela si souvent mensonger. Notons que les Ecritures parlent pour le mariage de désir et d’infidélité plus souvent que d’accomplissement. Voilà qui en dit long.
On me dira que ce n’est pas le jour de dire cela. Mais si on ne le dit pas le jour d’un mariage, ne se complait-on pas à se bercer d’illusions ? Mes remarques en scandaliseront certains et en réconforteront d’autres. S’il est possible d’annoncer l’évangile comme amour, c’est en reconnaissant combien nous en sommes loin.
Vous m’avez dit que vous portiez comme une responsabilité de vous marier à l’Eglise. C’est ce qui a motivé le choix des lectures que vous nous avez fait entendre. « Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre ». Vous voulez dire l’évangile comme amour.
Qu’imagine-t-on de ce qu’est être croyant, voire pratiquant, comme l’on dit ? Pas sûr que les croyants et les pratiquants le sachent eux-mêmes. Les croyants auraient une vision du monde qui obligerait à des positions philosophiques et sociales. La foi donnerait des réponses. Grâce à un édifice dogmatique, ils sauraient ce qui est bon, qu’ils y conforment ou non leur vie. Et puisqu’ils ne vivent pas différemment des autres ‑ cela se saurait – ils réduisent la voilure ; longtemps et encore aujourd’hui, le culte tient lieu de pratique évangélique.
Combien de fois pourtant, dans les Ecritures, on affirme que le culte et la louange sont hypocrisie, mensonge, idolâtrie, quand on ne pratique pas la justice. Le jeûne qui plaît à Dieu, c’est la libération des opprimés.
En bonne théologie, les chrétiens ne croient pas en l’existence de Dieu, que chacun peut connaître par la raison ou le flair. Beaucoup pensent qu’il y a quelque chose de supérieur. Etre croyant, ce n’est pas croire que Dieu existe. D’abord parce qu’il faudra se mettre d’accord sur ce que l’on appelle Dieu. Ensuite, parce que croire ne relève pas d’un savoir, mais d’une vie transformée. Il n’est pas croyant celui qui affirme Dieu mais qui vit en se foutant des enseignements de ce Dieu. Et il n’est pas utile d’attendre Le Tartuffe et Molière ; c’est déjà dans l’évangile. Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et ne le met pas en pratique construit sa maison sur le sable. A la première tempête, l’effondrement est total.
Etre chrétien, sel ou lumière, c’est toujours être pratiquant, mettre en pratique l’évangile, la parole et la vie de ce Jésus. « Marcher comme lui, Jésus, a marché. » Ce n’est pas une histoire de morale, d’orthopraxie, pas même, ainsi que le disent certains avec dédain ‑ sans doute pour mieux refuser de s’y atteler –, une action humanitaire, comme les ONG.
Etre chrétien, lumière et sel, n’est ni un savoir sur Dieu et le monde, ni une morale, ni des rites. C’est ce qui se passe dans le mariage et l’amitié : une confiance, laisser entrer quelqu’un dans sa vie. Mettre sa foi en l’autre. C’est pratiquer la différence, parce que c’est en se déprenant de soi que l’on se reçoit. Or vivre, c’est recevoir. Le péché du jardin des origines n’est pas d’avoir mangé le fruit, mais de l’avoir pris, s’en être saisi comme si nous étions maîtres de tout y compris de nous-mêmes. Celui que nous disons créateur est la source. Source de façon exponentielle. Il donne, il se donne. De cela nous sommes témoins. Vivre sous le mode comme si nous avions tout reçu. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? »
Nous sommes invités à marcher comme Jésus. Que je prie ou m’engage en politique, que je médite les Ecritures ou relève les frères, c’est, ayant tout reçu, s’offrir. Prétention folle, assumer d’être lumière et sel. « Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » Marcher comme il a marché, c’est aimer, caritas. Pas de sacrifice, non ! pensez donc. Mais la jouissance de se recevoir d’autrui. L’opportunité de découvrir en autrui une trace de ce que pourrait être et signifier Dieu.
Soyez heureux.
Marc Chagall, Les mariés de la Tour Eiffel, 1938-39
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