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Tomás Hernández (1606) / Valencia, chapelle du Patriarcat |
Être prophète en son pays. A quoi cela pourrait-il être
utile ? La terre dont on sort a forgé les manières de vivre et de penser.
Il n’y a pas d’écart entre la communauté du pays et chaque individu qui y prend
place, ou du moins l’on peut penser que chacun représente l’éthos de son ethnie,
les coutumes et traditions de sa terre.
Et s’il n’en va pas ainsi, alors effectivement, cela devient
compliqué. L’élément que la société ne sait pas intégrer ou qui n’y trouve pas
sa place est expulsé. Quand une tête dépasse, elle interroge, suscite parfois
de l’intérêt, mais finit toujours pas déranger. On peut aller jusqu’à la tuer,
mesure de survie pour la communauté. Elle peut comprendre qu’il vaut mieux
migrer ; nombre d’européens sont partis missionnaires au loin, aussi parce
que l’air du XIXème du Vieux Continent ne leur était pas respirable. On pourrait
multiplier les exemples.
Que serait un prophète bien reçu dans son pays, sinon celui
qui a la capacité de parler ce que tous parlent, pensent et disent. Il y a fort
à parier que ce serait ce que l’on appelle un faux-prophète. Il est l’expression
de la colère et des espoirs du peuple dont il est issu et sans doute parle le
langage du populisme. Le courage politique d’un homme d’Etat n’est-il
précisément pas de mener le pays là où celui-ci ne veut pas aller ?
Dans les sociétés où l’individu prime, où l’on va jusqu’à contredire
la vérité sous prétexte que chacun aurait le droit et la liberté de penser ce qu’il
veut, on trouve cela exagéré, on a un peu de mal à concevoir la force contraignante
du clan. Mais l’on est rattrapé par d’autres manières d’être main-tenus en
place par la société, par exemple les règles de l’économie qui dicteraient plus
fort que les principes éthiques, les choix politiques. Qu’est une société qui
ne peut faire fi de notations économiques ? Telles une pythie ou un
prophète, les agences de notation se chargent de mettre les pays dans le rang,
dans l’ordre économique, brandissant la menace d’une détérioration de leur
note. La mode, la bien-pensance, et tant d’autres entités plus ou moins
abstraites sont les prophètes qui pensent comme il faut, qui non seulement ne
sont pas exclus du cosmos, du microcosme, mais le règlent et le régissent.
L’évangile de ce jour (Mc 6, 1-6) illustre cela à la perfection.
Le clan a la priorité sur l’individu. L’individu qui fragilise le clan par son
exception, son caractère de personne exceptionnelle, doit être rappelé à l’ordre,
c’est-à-dire à l’agencement social, remis à sa place. Jérémie s’oppose aux
prophètes qui confortent le peuple dans ses certitudes et son confort, et le prophète,
s’il est envoyé pour bâtir et planter l’est aussi pour arracher et détruire.
Il n’y a aucune raison qu’il n’en aille pas de même dans le
peuple ou l’assemblée ecclésiale (si l’on peut se permettre le pléonasme). Les
fondateurs des communautés des dernières décennies, quasiment tous aujourd’hui
convaincus de forfaits, ont joué la carte d’une forme de populisme à l’égard d’un
catholicisme qui avait les moyens, au moins financier, et dont les diocèses ne
pouvaient se passer. La catastrophe est arrivée, celle qui menace le pays par l’élection
de députés du même type d’envergure que ces fondateurs, celle non de la vérité ni
du bien commun, mais du midi-à-sa-porte, qui refuse de voir la réalité en face.
(La France sans étrangers sera incapable de faire face aux sales boulots
pourtant indispensables, parce quasi aucun des natifs n’est prêt à être éboueur,
agent de sécurité ou technicien de surface, etc.)
Ce que Jésus dit de Dieu et de la vie en société pour
enraciner que cela soit dans les Ecritures est cependant contestation non
seulement des manières de vivre et de penser, mais des Ecritures elles-mêmes, et
pas seulement de leur interprétation. Pas un iota de la loi n’est abrogé, mais
toute la loi prend une signification à ce point nouvelle que ce n’est plus la même,
ce n’est plus la foi de nos pères !
On s’étonne que des baptisés parmi lesquels nombre d’évêques
se soient mobilisés avec haine contre le « mariage pour tous »,
puisque pour Jésus la famille, comme le pays du prophète, n’a de sens que comme
famille humaine, humanité entière, non une affaire de lignée, de sang ou de clan.
Ainsi Dieu n’est-il pas le garant de la morale ou de la
vérité dans le cadre d’une théologie de la rétribution, mais celui qui offre y
compris et d’abord au plus indigne. La miséricorde comme canon dans le canon
des Ecritures recadre à ce point ce que l’on pense de Dieu qu’elle est sacrilège,
hier et aujourd’hui, et qu’il faut rappeler à l’ordre qui s’y engage.
Le recadrage miséricordieux demeure intempestif, aujourd’hui
comme au temps de Jésus. Il inaugure le monde nouveau où vivre avec les
pécheurs est un impératif, non seulement parce que nous serions tous pécheurs,
mais parce que nous sommes tous frères et sœurs. Les prophètes de la fraternité
n’ont pas fini d’être exclus de la société et de l’Eglise.