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Jyoti SAHI, 1986 Sermon sur la Montagne
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Il y a une semaine, les partis nationalistes, identitaires et
xénophobes ont été placés en tête par les citoyens votant avec plus de 35%. Depuis
quarante ans, j’entends banaliser le phénomène : ce n’est tout de même pas
pire que les communistes ! C’est une défense des petits qui se lèvent le
matin pour aller travailler et s’estiment volés par ceux qui profitent d’un
système de protection sociale qu’ils dévoient.
Ces élections ont eu lieu à quelques jours des
commémorations du débarquement dont c’est cette année le quatre-vingtième
anniversaire. Ceux qui sont morts en 44 pour la liberté n’avaient guère plus de
vingt ans. Sont-ils morts pour rien ?
Ces élections sont le résultat de discours qui instillent le
mensonge. Il n’est pas possible de vivre en 2024, de profiter de la
mondialisation, et de vouloir se replier sur un pré-carré à défendre. Le Brexit
le montre à l’évidence. Ce n’est pas parce que depuis des années, les
gouvernements servent la soupe aux plus riches et stigmatisent les gens simples
que la haine des moins chanceux et installés est la solution. Nous ne savons
vivre sans la soi-disant déferlante migratoire puisque presque aucun natif ne
veut des petits-boulots : aides-soignantes, personnels de restauration,
éboueurs, manœuvres et manutentionnaires, surveillants de prison, techniciens
de surface, bouchers d’abattoir et j’en passe ; en une proportion
considérable, des personnes étrangères ou d’origine étrangère.
Pourtant, combien sont d’origine non-française parmi ceux-mêmes
qui gouvernent, Sarkozy, Balladur, Valls, Attal, Dati, Zemmour, Bardella, etc.
Qui parmi ceux qui ont donné leur voix à l’extrémisme vit dans les quartiers
qui seraient zone de non-droit ? Dans les campagnes de France, là où comme
dit l’autre, « la terre ne ment pas », la République doit effectivement
regagner du terrain : au chevet de la démocratie malade, les régimes
autoritaires se précipitent, mais ce n’est pas pour visiter une malade, c’est
pour soutirer l’héritage !
Qui peut croire que l’individu existe sans l’autre, le
différent ? Qui peut prétendre accueillir le différent s’il lui impose de
renoncer à ses différences pour vivre « comme chez nous » ? Qui
peut ignorer que les grandes puissances économiques, Chine, Russie, Etats-Unis
et Europe occidentale (plus quelques autres) pillent les pays pauvres et s’étonner
que leurs ressortissants viennent là où il y a de l’argent ? Qui peut décemment
bafouer les valeurs de l’Occident pour, comble de la contradiction, les
défendre, se retirer des traités internationaux, remettre en cause le droit des
réfugiés, le droit à la migration. Qu’un riche migre, personne ne s’en inquiète.
Qu’un pauvre s’approche, et nous sommes menacés. Il y avait déjà un pauvre
Lazare dont les chiens léchaient les plaies ; il y avait déjà la nécessité
de faire de Jésus un enfant d’immigré, fuyant la folie meurtrière de qui ne
veut pas partager pouvoir, terre, argent.
La France serait menacée par le grand remplacement. Mais ce
sont les « Français » qui ne veulent pas de l’évangile, ne sont pas pratiquant
de la messe dominicale et plus encore du commandement : « aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés ». Ils n’ont que faire d’être
disciples de Jésus. L’évangile se moque des valeurs y compris chrétiennes :
Jésus est mort comme un paria pour s’être rangé parmi les perdants de l’histoire
et de la société et les avoir relevés. « Il renverse les puissants de leur
trône, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, renvoie les riches
les mains vides. ». La fraternité de la devise républicaine est elle aussi
subversive ; elle transforme l’égalité en un espace de grâce et non de
mérite, de propriété ou d’héritage. Le « moi d’abord » remplace le
souci du bien commun, les droits de l’homme et l’évangile.
L’incompétence professionnelle de celui qui a réuni sur son
nom le plus de suffrages n’est pas même un handicap. En prétendant nous
défendre, nous nous sommes tiré une balle dans le pied, et plaise à Dieu que ce
ne soit que dans le pied et non dans le cœur !
Le royaume de Dieu est comparable à la plus petite des
semences, graine de moutarde, qui devient la plus grande des plantes potagères
(Mc 4, 26-34). Le but de la comparaison n’est pas tant la croissance que l’abri
pour toutes sortes d’oiseaux, tous les oiseaux. Non un accueil momentané. Ils
nidifient, ils habitent là, ils se reproduisent et deviennent plus nombreux.
Les oiseaux du ciel ne sont pas à proprement parler du jardin, ils viennent
tous d’ailleurs, du ciel précisément, et squatte la moutarde, s’installent
comme des étrangers. Folie du Royaume !
Un arbre comme notre terre, maison commune. Un arbre qui
accueille parce que la terre n’est à personne ; elle est à tous. De quel droit
c’est « ici chez nous », « chez eux là-bas » ? Qui
sont « ils » ? Qui sont « nous » ? Quels sens ont
l’utilisation de ces pronoms et les appropriations de terrains ? Le refus de
partager, non ce qui est à nous, mais ce que nous dérobons, nous enlaidit, fait
de nous des épouvantails, pour faire fuir les oiseaux.
Le vote de dimanche est aussi un non à l’écologie. Au
premier degré, il n’y a plus d’oiseaux dans les champs, nous avons tué les
insectes à coup de pesticides agricoles et domestiques. Il n’y a plus que nous,
et nous mourrons. Ce vote dit « fuck » à la nature comme à l’humanité
dans les autres et en nous. Nous avons voté contre la maison commune, cadre de
vie et habitants. Et nous voulons nous persuader qu’au contraire nous l’avons
défendue ! Avec le fascisme, la vérité est dévaluée, trafiquée. Le
mensonge est monnaie courante.
Le goût du mensonge l’emporte sur les saveurs d’un arbre à
moutarde. C’est plus incroyable encore que la folie du Royaume. Nous marchons
sur la tête. Nous en mourrons juste. Après tout, ce n’est pas grave : ce
ne sera pas nous, mais nos enfants, dans quelques générations, ou demain, sur
un champ de bataille. Seulement en écrivant et en vivant l’histoire du point du
vue des perdants, la paix sera possible.