La vie plus grande. La destinée humaine n’est pas humaine, non qu’elle soit inhumaine ; elle est divine. La vocation de l’homme c’est Dieu, non qu’il y ait quelque dévalorisation de l’humain que ce soit, mais que l’humain, dans ce que cela a de meilleur, n’est pas suffisant pour l’homme. Nous sommes à l’étroit dans notre humanité, même la plus haute. Et l’incarnation du Fils, si elle dit la dignité sans limite de l’homme, n’a pour but que de diviniser cet homme.
La vocation de l’homme, la nôtre, ce que l’on appelle la vie éternelle ou le salut, la sainteté ou l’illumination, c’est la divinisation. Nous ne sommes pas appelés à vivre demain en présence du Tout-puissant, heureux d’un sort de courtisans. Nous sommes dès aujourd’hui transformés, divinisés. Nous sommes participants de la nature de celui qui s’est uni à notre nature.
La vocation humaine c’est la vie de Dieu. Nous sommes ses enfants, ses engendrés et si un chat ne peut qu’enfanter un chat, un enfant de Dieu est dieu lui aussi. Cette divinité qui nous est conférée est adoption filiale. Il convient d’entendre à nouveau les quelques versets de l’épître de Jean :
« Voyez quel amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. »
La résurrection n’est pas un prolongement, elle est une transformation, une divinisation, l’adoption filiale. Si elle n’est pas pleinement manifestée, elle n’en est pas moins déjà réalité : Nous sommes enfants de Dieu, nous sommes divinisés et c’est cela la vie éternelle. Enfants de Dieu, littéralement engendrés de Dieu. Nous ne sommes pas nés (seulement) de la chair ni du sang, comme le dit le Prologue de l’évangile de Jean. Nous sommes nés de Dieu, ses engendrés, et voilà pourquoi notre vocation, c’est la vie même de Dieu, et non le prolongement de notre vie humaine, trop humaine.
Cette vie divine ne saute pas aux yeux. C’est une histoire de manifestation, d’apparition, et pour voir, on ne saurait ausculter, objectiver. Celui qui dit je vois est un menteur. L’apparition est affaire d’engendrement, de reconnaissance du Père, ce que le Fils nous donne. C’est la relation qui donne de connaître, comme toujours en amour.
Qu’est-ce que cette vie plus grande dès maintenant, dans notre vie ? Qu’est-ce que la vie éternelle aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’être sauvé ? Qu’est-ce que la sainteté ?
D’un certain point de vue, cela ne se voit pas, cela ne change rien. Et rien d’étonnant à cela si l’humanité est par vocation divine, si l’humanité est comme en creux déjà capable du divin, déjà marquée par sa destinée, la trace de son créateur. Dieu ne pouvait créer l’homme, être spirituel à son image, sans déjà l’informer, lui donner forme divine. Tout ce qui est humain chez l’homme est déjà divin.
Ce qu’est la sainteté alors, ce n’est rien d’autre que ce qui est le plus humain, ce que l’évangile appelle le verre d’eau offert qui affirme, contre toutes les dénégations, la dignité de tout homme, et d’abord de celui que l’on refuse de reconnaître comme frère. Oui, un peuple immense, foule que nul ne peut dénombrer qui a visité le Christ en ses frères les plus petits, l’a vêtu, l’a nourri, sans même le connaître, le plus souvent. Vous me direz, cela en laisse pas mal de côté, nous peut-être, qui n’avons pas offert ce verre d'eau.
Et de fait, ceux qui ont offert le verre d’eau ont manifesté ce qu’ils sont eux et le frère désaltéré, à l’image du Dieu vivant, du Dieu saint, d’un prix inestimable, à la reconnaissance possible seulement dans l’amour.
La sainteté c’est encore la quête de celui qui visite l’homme pour l’élever à plus que lui, la saisie, même fragmentaire et confuse, de ce que l’homme, est visité par plus grand que lui, que seule une vie éternelle honore ce qu’il est. La sainteté, c’est l’attente amoureuse, amicale, fraternelle ou filiale, repérable seulement dans la blessure d’un manque. Là encore, foule immense de ces chercheurs, ceux qui ne savent pas déjà qui est Dieu, qui ils sont, ce que Dieu attend d’eux et qui ne peuvent que chercher, foule immense et heureuse de ceux qui cherchent Dieu.
Sont-il chrétiens ? sans doute. Mais pas seulement. Le dialogue interreligieux le montre. On attribue à Jean de la Croix ce mot : Pour aller où tu ne sais pas, va où tu ne sais pas. Nous savons où nous ne devons pas aller pour la vie plus grande, mais cela ne suffit pas à dire où nous devons aller. Dès lors, tous les chemins connus sont mauvaises pistes. Qui s’en étonnerait puisque le vent souffle où il veut, que nous pouvons entendre sa voix mais nous ne savons ni d’où il vient, ni où il va.
Impossible d’enfermer celui que nous cherchons dans l’idole de mains humaines ou dans le concept, fût-il celui du dogme. L’idole, c’est la fontaine, l’adduction, prise pour la source. La sainteté, c’est aujourd’hui, ce chemin, le Christ, ouvert devant nous pour que nous recevions ce à quoi dès l’origine du monde nous sommes destinés, la vie avec Dieu. La sainteté, c’est ici et maintenant la vie avec Dieu. Comment voulez-vous que si nous vivons déjà avec lui, une telle vie ne soit pas éternelle ?
Textes de la Toussaint : Ap 7, 2-4. 9-14 ; 1 Jn 3, 1-3 : Mt 5, 1-12
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