05/11/2011

Désir, quand tu ne nous tiens pas... Mt 25, 1-13 (32ème dimanche)

Que vous en semble. Ces jeunes filles avisées qui ne partagent pas leur huile, ce n’est guère charitable. Ce n’est pas très chrétien, si j’ose dire ! Et l’époux inflexible rend plus odieux encore ce refus de partager.
La contradiction avec l’attitude évangélique ne s’arrête pas là. Que les jeunes filles non prévoyantes arrivent en retard, n’empêche tout de même pas d’ouvrir la porte, surtout que l’époux leur répond, qu’il est là, juste de l’autre côté de la porte. Il pourrait se montrer quelque peu tolérant ; il pourrait pardonner si ce retard l’a offensé.
En quelques lignes, notre parabole, texte évangélique, prend le contre-pied d’attitudes évangéliques, le partage, l’amour du frère, le pardon. Comment cela est-il possible ? Si nous ne posons pas cette question, nous risquons de réduire la parabole à une platitude morale voire moralisatrice : la prévoyance serait la clé de la réussite.
Revenons donc à notre question. Pourquoi les jeunes filles ne partagent-elles pas leur huile ? Qu’est-ce que cette huile que l’on ne peut pas partager ? Quelle est cette huile que les marchands peuvent vendre mais qui ne se partage pas ?
L’huile dont il s’agit est celle qui permet de veiller. C’est la lampe dans la nuit. C’est ce qui permet d’attendre. C’est ce qui réchauffe peut-être aussi un peu, pensons à la petite fille aux allumettes. Voilà deux mille ans que Jésus est venu et le royaume de justice qu’il a annoncé n’est toujours pas là. Voilà deux mille ans d’attente, deux mille ans de veille ! Deux mille ans qu’il fait froid, que l’injustice et la non-fraternité nous glacent. Nous aussi, nous avons besoin d’huile.
Mais comment faire provision de cette huile ? Comment trouver ce qui permettra de veiller ? Non pas en veillant, au ralenti, à moitié éteint comme un écran de veille, non pas en attendant. Mais en s’activant, en faisant commerce avec les autres, en allant chez les marchants pour affaires. L’huile ne s’achète pas un lieu, une boutique. Les jeunes filles prévoyantes n’ont pas l’air boutiquières ! L’huile s’achète dans les affaires du monde par des filles qui n’ont pas les deux pieds dans le même sabot. C’est en explorant le monde, en découvrant les gens que nous aurons encore envie de les connaître mieux et plus nombreux.
Enfin où même cette huile ? Vers une salle de noce. Vers un lieu de fête, vers un lieu qui laisse présager la fécondité, la joie des corps, la jouissance. Entendons bien les mots, ce sont ceux de l’éros, de l’érotique.
Tout est dit pour que l’huile soit identifiée. C’est le désir. Il ne se partage pas ; on ne se le procure qu’à s’engager dans le commerce des activités, la rencontre des autres ; il est la clé de la fête et de la jouissance. Il est la clé de la salle des noces. Le désir ne s’accroît qu’à désirer toujours. Quant à l’époux, il n’est pas de ceux qui refuseraient qu’entrent dans la joie de la fête toutes celles qui viennent l’épouser. S’il n’ouvre pas la porte, n’est-ce pas parce ‑ contrairement à ce qu’elles disent ‑ elles n’ont aucune envie de se donner à lui, aucun désir de jouir de sa présence. Comment pourraient-elles d’un seul coup apprendre à désirer ?
Ainsi donc, notre parabole enseigne que la clé du Royaume, la clé de la vie avec Dieu, c’est le désir. Si vous êtes mesquins avec le désir, vous n’aurez jamais assez d’huile pour tenir dans la foi. Et il risque d’en falloir de l’huile ! Il y a deux mille ans que nous attendons le retour de Jésus, et rien n’indique que ce sera pour demain, même si rien de l’interdit non plus.
C’est cela notre foi, une histoire de désir. Non pas des trucs qu’il faudrait savoir, apprendre au caté ou ailleurs. La foi chrétienne n’est pas une gnose ou une idéologie. Non pas des trucs qu’il faudrait faire. La foi chrétienne n’est pas une morale, quand bien même elle puisse en être la source ou en provenir. Non pas un héritage familial ou culturel. La foi chrétienne n’est pas la religion d’un clan, une identité de milieu.
Qu’en est-il de notre attachement à Dieu ? Pourquoi sommes-nous croyants ? Comment nous présentons-nous, à nous-mêmes, ce qu’est notre foi ? Est-ce l’aventure amoureuse, la quête de l’aimé qui la dit au mieux ? Le psaume pourrait nous souffler quelques mots en attendant de relire une autre histoire de désir nuptial, le Cantique des cantiques : Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée sans eau. Je t’ai contemplé au sanctuaire, ton amour vaut mieux que la vie, tu seras la louange de mes lèvres.
La foi creuse en nous le désir de ce qui toujours nous manque. Car qui dit désir dit manque, soif. La vie avec Dieu n’est pas tant ce qui nous comble, ce qui bouche le trou de notre manque, de nos frustrations, ce qui nous consolerait de toutes nos frustrations. Elle nous met en attente, en veille ‑ non en sommeil ! Elle développe en nous la capacité à désirer, bien loin des vielles filles ‑ ou des vieux garçons frustrés ‑ auxquelles ressemblent finalement les jeunes filles non prévoyantes. La folie n’est pas dans le désir, mais dans son absence, dans le renoncement à le cultiver.
Les chrétiens ne sont pas ceux qui savent qui est Dieu, pas plus mus qu’émus, qui le com-prendraient, mais ceux qui le cherchent, dès l’aube… et la nuit.

2 commentaires:

  1. Ce n'est pas à chaque fois !
    Aussi je souligne la convergence globale que je ressens avec votre texte.
    Notamment que le désir est un creusement fondamental, qui crée en l'homme une "tension fondamentale", non pas la tension interne d'ordre psychologiques qu'il faudrait résorber, mais la tension de la corde du violon, sans laquelle l'instrument est littéralement « sans vie »…

    Votre commentaire est beaucoup plus intéressant et profond que ce que j'ai pu entendre quelque peu limitant, relatif à l'espérance.
    Certes, l'espérance est une perspective, à condition qu'elle ne génère point uniquement l'attente statique...

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  2. N'est-ce pas normal que nous nous rejoignons dès lors que nous cherchons à comprendre ce qu'est la vie pour l'homme, la vie en abondance ?
    D'autant que la foi chrétienne n'ajoute rien à la recherche non-confessionnelle au sens où il manquerait quelque chose à cette dernière. Si la foi chrétienne fait sens, elle est de l'ordre du par dessus le marché, du surplus, de ce que cette foi appelle la grâce, quelque chose qui ne s'impose pas (par la force ou la nécessité) mais qui se donne dans la gratuité, la "gracieuseté". Ce qui est une manière d'obliger, tout autre. Comme l'amour, la foi oblige.

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