02/11/2011

La liturgie (50 ans Vatican II n°3)

1. La constitution Sacrosanctum concilium (4 décembre 63)

C’est le premier texte adopté, dès la deuxième session, à l’unanimité (il ne manque que quatre voix, mais pas celle de Mgr Lefebvre). Son titre, sans rapport avec son contenu, fait chronologiquement de la constitution un porche au très saint concile. Le schéma rédigé par la commission préparatoire est le seul qui ait été accepté par l’assemblée comme base de travail. Depuis des années déjà, le renouveau liturgique était entamé ; la Congrégation des rites (à la curie) était composée de membres compétents et acquis à une réforme déjà commencée avec la restauration de la liturgie de la semaine sainte (Cf. Pie XII et l’encyclique Mediator Dei).

On était conscient que la liturgie était une question pastorale et que trop de chrétiens, non seulement en pays de mission, étaient écartés de la prière communautaire faute de la comprendre (36, 54, 63). Trente avait été sur le point de renoncer partiellement au latin. A la veille du concile son abandon était fréquemment demandé, au moins pour les lectures de la messe, mais Jean XXIII (Veterum Sapiencia de février 62) en réaffirma l’usage irrévocable.

La concélébration et la communion sous les deux espèces furent aussi très débattues. On touchait à l’identité catholique, particulièrement sensible. (En liturgie se mêlent toujours affectivité et identité.) La concélébration (57) remettait en cause l’image du prêtre et la nécessite de célébrer le plus de messes possibles (théories très discutables que la pratique cependant établissait mieux que n’importe quel décret). La communion au calice pour tous, écartée à Trente et décidée a minima (55), paraissait une concession à la position protestante.

Sacrosanctum concilium n’a pas bénéficié de la réflexion des autres textes du concile. Ainsi par exemple, le thème du sacerdoce commun des fidèles, à connotations cultuelles, n’est pas exploité ; pourtant cela aurait pu éviter que la liturgie continue à être l’affaire des prêtres, quoi qu’on dise par ailleurs de la participation active des laïcs. Cependant, la constitution met vraiment en œuvre l’aggiornamento ; elle rend possible les autres textes lorsqu’elle parle d’Eglise sacrement (5), de peuple sacerdotal (14), d’Eglises locales (41-42), de concélébration (57), de collégialité (76) et rompt avec l’anti-protestantisme en vigueur depuis Trente.

La liturgie ne peut pas être facilement ni souvent renouvelée : il faut que l’on puisse s’y retrouver et les effets de mode passent vite de mode ! Ce conservatisme liturgique protège des idéologies et théologies d’un moment. On parle ainsi de rénovation liturgique et jamais de réforme[1] et Jean-Paul II peut écrire que « la réforme liturgique est strictement traditionnelle » (4 11 88). Le nouveau rite n’a jamais été considéré comme une création mais comme une rénovation selon l’ancienne norme des Pères (50) de l’unique rite romain, rendue nécessaire par l’enseignement conciliaire (qui est doctrinal et pastoral).

La constitution est une loi cadre avec un exposé des principes et des normes pratiques ; elle « n’a pas fixé un équilibre, elle a créé un mouvement. » (P.-M Gy) Elle recommande les adaptations aux cultures locales et rejette la forme rigide d’un seul libellé (37-40). La rénovation doit se poursuivre par la formation, la recherche et des expériences (44). Les nouveaux rituels et l’art de célébrer qui en découle constituent donc une interprétation de la constitution, et non son application. L’abandon de l’ancien rite fait rupture dans la pratique de l’Eglise mais surtout dans sa foi, s’il est vrai que la règle de la prière est règle de la foi[2].

La restauration concerne toutes les célébrations dont les sacrements (§ 59-82) et l’office divin (§ 83-101). En outre est restauré le catéchuménat des adultes (§ 64). L’année liturgique (§ 102-111) doit clairement mettre en évidence le mystère pascal, célébré chaque dimanche, auquel toutes les autres fêtes, particulièrement celles des saints, doivent être subordonnées.


2. Théologie de la liturgie

La liturgie est aux yeux de beaucoup l’action principale et caractéristique de l’Eglise. Pourtant elle n’épuise pas toute cette action (9). On ne saurait omettre le service du frère, l’amour. Mais la liturgie est sommet et source de l’action de l’Eglise (10). Elle n’est pas (que) culte de l’Eglise, elle est sa vie. Elle relève de sa mission qui est de recevoir et de rendre grâce. Par sa liturgie, l’Eglise se fait témoin de son Dieu.

L’anthropologie montre que la liturgie s’adresse à l’intelligence symbolique de l’homme. Il ne s’agit pas d’abord de tout en comprendre. Elle ne relève pas d’abord de l’in informatif, mais agit comme certaines paroles qui sont efficaces (les déclarations d’amour, les insulte, les jugements d’un tribunal, etc.). Adressé à l’homme tout entier, corps charnel et membre d’un corps social, l’évangile est une parole qui le restaure (le nourrit et le sauve). La dimension sacrificielle de la liturgie, de type allégorique chez les Pères, affirmée plus littéralement et décidément à Trente contre les Protestants, mérite d’être purifiée, ainsi que l’a fait Jésus à la suite des prophètes et des psaumes, parlant du sacrifice qui plait à Dieu. Même si le concile maintient le vocabulaire sacrificiel, il valorise notamment pour l’eucharistie la dimension de mémorial de la liturgie. Ce n’est l’homme qui offre le sacrifice, espérant fléchir la divinité. Dieu s’offre dans son amour, ce que la croix manifeste. La liturgie est mémoire et participation à la Pâque de Jésus, à sa la mort et sa résurrection (47, 61).

L’Eglise est le sujet de la liturgie (7, 26), c’est elle qui prie, parce que seul le Christ peut s’adresser au Père : qui pourrait intéresser la divinité si Dieu lui-même ne se faisait philanthrope ? Jésus est l’unique prêtre (sacerdote) et il n’y a pas d’autre médiateur entre Dieu et les hommes. Mais le Christ ne prie jamais sans son corps. Toute l’assemblée est ainsi invitée à une participation active à la liturgie (11, 14, 30-31). Cela n’a pas pour but que l’on ne s’ennuie pas mais cela manifeste ce qu’est l’Eglise : le peuple sacerdotal qui se tient devant Dieu par lui [le Christ], avec lui et en lui. Tous dans la liturgie sont égaux en dignité et personne ne peut être cantonné à assister, spectateur étranger et muet. Tous devront-ils faire quelque chose ? C’est impossible et surtout, la prière n’est pas un acte d’individus, même rassemblés. Le modèle de la prière est la prière communautaire, à commencer par la célébration eucharistique. En conséquence, le prêtre ne célèbre pas sa messe ni même la messe ; c’est l’Eglise qui célèbre l’eucharistie, « les fidèles offrant la victime sans tâche, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui » (48, qui est à lire en entier). Le « nous » de la prière eucharistique, et de toute liturgie, est celui de l’assemblée.

La liturgie n’est pas une succession de rites ou de rubriques indépendants La suppression de la Congrégation des rites en 1969, créée au lendemain de Trente, indique un changement de perspective. La liturgie n’est plus une chose sacrée de laquelle le peuple doit se tenir éloigné. Elle est l’action, structurée de façon dynamique, dans laquelle la parole devient sacrement (St Augustin).Les Ecritures ne sont plus une préparation plus ou moins optionnelle à la consécration ; la liturgie de la parole (24, 35, 51-52, 56, 90-92) constitue une partie d’un unique acte de culte, auquel doivent aussi concourir les chants (30, 112-121), gestes, monitions et prières. Avec l’autel, l’ambon inscrit dans l’aménagement du chœur, selon les préliminaires du missel restauré, les deux tables où le Seigneur nourrit son Eglise.


3. Questions pour aller plus loin

Ces lignes remettent-elle en cause la manière de préparer une célébration ? Comment ?

Vous aident-elles à comprendre ce que vous vivez à la messe ? Comment ?

Faudrait-il mener une réforme liturgique sur d’autres points ? Lesquels ?

Dans la liturgie, que penser de l’importance des Ecritures et de la liturgie patristique ?



[1] Le magistère catholique parle de l’Eglise, afin de mieux préserver sa sainteté, y compris au Concile et à la différence de la Réforme protestante, comme toujours à rénover, à renouveler, mais pas à réformer.

[2] La réhabilitation de l’ancien rite par Benoît XVI, certes formellement jamais supprimé, pour pragmatique qu’elle soit, non comme exception mais comme possibilité ordinaire, ne constitue-t-elle pas un acte de non réception au moins partiel, de Sacrosanctum concilium ? Le Pape a-t-il le droit de poser un tel acte ? Si l’ancien rite est praticable, on doit s’assurer que la règle de la prière et la règle de la foi ne divergent pas, ce qui serait mortel pour l’Eglise. Il faudrait donc que l’ancien rite soit interprétation rétroactive du concile. Mais on se trouverait en présence de deux formes d’un même rite, ce qui est une nouveauté bien peu traditionnelle ! Il faudra en outre montrer comment la théologie de Vatican II s’exprime dans l’ancien rite, notamment la participation active et la prière des fidèles, le ministère presbytéral, le mémorial eucharistique, la place des Ecritures et des épiclèses, la conception de l’Eglise (donc l’œcuménisme et le dialogue interreligieux), etc

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