05/04/2014

Si Dieu avait été là... (5ème dimanche de carême)

Il n’y a pas besoin d’être exégète pour se douter qu’une phrase répétée dans un texte d’une page, voire moins, a une importance considérable. Une phrase, une seule, revient dans ce chapitre 11 de Jean : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ».
La première fois, cette provocation, ce reproche, dans la bouche de Marthe, suscite un dialogue dont Jésus sort en quelque sorte vainqueur. Marthe répond : oui, tu as raison, Seigneur. « Oui, Seigneur, tu es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. » C’est tout juste si Marthe ne s’excuse pas.
La seconde fois, Jésus ne répond pas. Marie et son propos semblent lui clouer le bec. L’évangéliste de commenter : « quand Jésus vit Marie pleurer, il pleura, lui aussi ».
On se rappelle que dans l’évangile de Luc, Marie avait choisi la meilleure part, de sorte qu’il est permis de penser que c’est l’attitude de Jésus par rapport à Marie qui indique la réponse à ce cri de douleur des deux sœurs et de tout homme devant la mort. Les pleurs de Jésus sont la réponse à l’interrogation des deux sœurs, plus que le cours de catéchisme en questions-réponses que Jésus assène à Marthe.
C’est curieux ce Jésus qui se reprend, qui se corrige à la rencontre des autres. D’abord, il ressemble aux amis de Job, ensuite, il consent à être l’ami qui se tait et pleure. C’est curieux ce Jésus qui abandonne le pouvoir du savoir, fût-il de la foi, pour n’être plus qu’une présence silencieuse et compatissante. Est-il lui-même entraîné vers la mort qui lui coupe la parole et le souffle ? La mort de Lazare contamine-t-elle à ce point tout ce qui l’entoure, Jésus compris ?
Très certainement, car il n’est pas de mort qui ne nous attaque, non seulement en faisant succomber l’un d’entre nous, mais en rendant les proches sans réactions, inanimés, pétrifiés. Très certainement, car Jésus marche vers sa propre mort et le récit de la mort de Lazare est une répétition de la Passion. Ici et là, un tombeau ouvert et des bandelettes déliées, la foi ou la trahison. Ici et là, surtout, l’absence de l’ami dans le gouffre de la déréliction. Si tu avais été là… Pourquoi m’as-tu abandonné ? Le cri des deux sœurs prophétise celui de Jésus.
Jésus se tait et pleure. Nous ne pouvons pas lire le signe de Béthanie comme un coup d’éclat, une histoire avec son happy end. Et l’on sait bien que la vie de l’homme, celle de Jésus aussi, ce n’est pas cela. Et l’évangile ne serait pas crédible, n’aurait rien à nous dire, s’il racontait des miracles, des sornettes ou des contes sans rapport avec notre histoire, nous entraînant dans la drogue d’une illusion anesthésiante.
Et Dieu s’est tu. Au Mont du Crâne on n’entend que les corbeaux et les vautours. A Béthanie, l’ami de la famille est absent, il arrive trop tard. Auraient-ils raison, ceux qui en sont revenus des promesses de l’Alliance ? Question qui frappa jusqu’aux disciples ; ils se dispersèrent après l’arrestation de Jésus, ainsi qu’un cadavre corrompu. Le corps de Jésus est menacé par deux fois : en sa chair, en ses disciples.
Les pleurs de Jésus ne changent rien. Le mort est là et sent déjà. Mais Jésus est aux côtés de ses amis. Les pleurs de Jésus et sa présence ne changent rien mais sont infiniment plus que le catéchisme de Marthe (s’il demeure une leçon apprise et non la présence et les pleurs de Jésus). Mais ces pleurs changent tout. Il est enfin arrivé celui qui ne nous abandonne jamais, surtout au pire moment, dans la fosse. On l’attendait depuis longtemps, tout comme les deux sœurs. Si tu avais été là… Enfin à nos côtés, ces pleurs l’attestent, Dieu est pour nous, pour toujours l’ami des hommes.
Se pourrait-il que même la mort n’ait plus de quoi nous engloutir ? Ce serait cela le signe de la résurrection de Lazare, ce serait cela, le tombeau de Jésus retrouvé vide au matin de la résurrection.



1 commentaire:

  1. J'apprécie énormément votre billet. Il fait partie des quelques-uns dont je fais un copier/coller, au cas où votre blog venait à disparaître…
    J'apprécie cet accent mis sur Jésus pleinement humain est ne disposant pas d'un « arsenal magique ». Ainsi dans cette phrase : «ce Jésus qui abandonne le pouvoir du savoir, fût-il de la foi, pour n’être plus qu’une présence silencieuse et compatissante ». Parce que s'il « joue à faire l'homme », sans l'être vraiment, alors, en effet, l'Évangile n'est plus qu'une légende et une mythologie pour amuser la galerie.
    Cela me semble tellement important et essentiel ce constat que « la mort est là », qu'il faut bien la regarder en face et laisser sortir la douleur qui l'accompagne (l'émotion et le coeur), sinon ce serait comme renier ce réel. Sinon, le concept mort/résurrection, devient une sorte de tour de passe-passe identique à celui du magicien qu'on applaudit avec des oh ! et des ah !

    Mais je veux surtout souligner ici ce que je peux entrevoir de votre propre personne à travers la manière dont vous vous exprimez (sinon je vais faire la paraphrase de ce que vous avez écrit), c'est-à-dire que je vois votre propre humanité et d'une certaine manière, si je puis me permettre, votre aptitude à abandonner (au moins partiellement…) votre propre savoir théologique ou exégétique, au profit d'une parole plus simplifiée et audible par un plus grand nombre. C'est-à-dire plus audible par moi… Ce dont je ne peux que vous remerciez.

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