06/02/2016

Me voici, envoie-moi ! (5ème dimanche du temps)



Trop de textes superbes que l’on ne sait que commenter. Après la métaphore du corps et l’hymne à la charité, voici un des tout premiers résumés de la foi : Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. Conformément aux Ecritures, celles-là précisément que nous lisons et commentons.
Après avoir lu la semaine dernière la vocation de Jérémie, voilà celle d’Isaïe. Autant Jérémie n’a guère envie d’être prophète, et on le comprend tant sa mission est annoncée comme difficile, peu exaltante : arracher et renverser, exterminer et démolir, bâtir et planter, tout de même aussi, autant Isaïe se porte volontaire. Qui enverrai-je ? Me voici, envoie-moi. Il n’a peur de rien, après que ses lèvres ont été purifiées. Il est prêt à tout pour témoigner de celui que les chérubins proclament, tout comme nous dans un instant, trois fois saint. (C’est l’origine de notre acclamation liturgique : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire. »)
Le moment de la peur est passé. Le prophète n’est pas mort d’avoir vu la sainteté de Dieu. Qu’est-ce qui pourrait bien l’arrêter maintenant ? Me voici, envoie-moi ! Quelle audace ! Qui d’entre-nous se propose ainsi, se met à la disposition du Seigneur ? D’abord, il y a notre péché. C’est un tel handicap pour porter la bonne nouvelle de la sainteté. Ensuite tout le monde n’a pas vu des chérubins lui purifier les lèvres !
Et puis, partir, être envoyé, nous arrache à nos habitudes, nos certitudes, notre confort de tous les jours. Je ne dis pas qu’être prophète signifie quitter son métier et ses enfants. Au contraire. Là où nous sommes, nous sommes envoyés. Le nomadisme de la foi consiste moins à changer de terre qu’à renouveler sa vie. Qui annoncera la sainteté de Dieu avec les voisins, les collègues, les parents d’élèves, etc. ? Je ne dis pas qu’être prophète signifie parler de Dieu. Cela, dans l’évangile, même les esprits mauvais le font et Jésus leur enjoint littéralement de la fermer. Non, être prophète c’est accepter de se convertir, de changer la manière de mener sa vie pour consentir à se faire reflet de la sainteté de Dieu.
Le Seigneur ne veut pas de missionnaires, il veut des saints. Ou le missionnaire qui n’est pas un saint est un traître, un menteur. Puis-je encore parler…
C’est notre vocation à tous, comme l’a enseigné le dernier concile, parlant de la vocation chrétienne comme vocation universelle à la sainteté. « Dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l’apôtre : "Oui, ce que Dieu veut c’est votre sanctification". » (1 Th 4, 3 ; cf. Ep 1, 4). » (LG 39)
La sainteté n’est pas réservée à quelques exceptions que l’on canonise. « Il est donc bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quel que soit leur état ou leur forme de vie ; dans la société terrestre elle-même, cette sainteté contribue à promouvoir plus d’humanité dans les conditions d’existence. Les fidèles doivent s’appliquer de toutes leurs forces, dans la mesure du don du Christ, à obtenir cette perfection, afin que, marchant sur ses traces et se conformant à son image, accomplissant en tout la volonté du Père, ils soient avec toute leur âme voués à la gloire de Dieu et au service du prochain. » (LG 40)
Me voici signifie envoie-moi, explique E. Lévinas. Il n’y a pas de vocation, il n’y a pas de consécration au Seigneur, qu’elle soit baptismale ou autre, qui ne soit mission. Nous sommes appelés pour les autres. C’est aussi un des enseignements conciliaires. Mais voilà qui corse les choses, car on ne peut penser la vocation sans ceux auxquels on est envoyé. Ils sont ceux qui nous évangélisent, quoi qu’ils sachent ou non de Jésus, autant que nous leur annonçons la bonne nouvelle. Les catéchistes en font l’expérience. Parler de la foi aux enfants nous aide à être disciples. Vous imaginez quand c’est avec des adultes ! Je ne connais pas un chrétien authentique qui ne soit missionnaire. Même les ermites du carmel mettent la mission au cœur de leur vie. Pensez que Thérèse de Lisieux est patronne des missions !
« Le missionnaire sait Dieu présent [chez les autres], mais ses "yeux sont empêchés de le reconnaître". […] Il n’a pas d’autre procédé que de se présenter tel qu’il est, dans sa vérité d’homme et de chrétien. Il sait ses frères encore ignorants de leur surnaturelle identité, mais ne doit-il pas avouer que, pécheur, il méconnaît lui-même ce qu’il est comme eux : fils du même Père, aimé de Dieu ? […] Il se donne, mais le geste qui donne est un geste qui quête. […] Voici que s’éveillent [en ses interlocuteurs] quelque chose de plus précieux : c’est leur personne propre ; elle sort à la lumière ; elle se manifeste dans le langage de la communion qui annonce le langage chrétien : "Tu es un membre de ma famille que j’ignorais". » (M. de Certeau, La conversion du missionnaire (1963).

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