02/02/2018

Demeurer seulement dans le silence (5ème dimanche)


« Sortant de la synagogue » (Mc 1, 28-38). Lieu de lecture des Ecritures, lieu d’enseignement pour Jésus, c’est-à-dire lieu de vie. Et précisément, Jésus libère, rend à la vie, un jour de sabbat, au grand dam de certains, un homme sous l’emprise du mal.
Cela continue sans un instant de répit, semble-t-il, avec la belle-mère de Pierre. Le théologien Martelet racontait ainsi l’histoire : « Jésus s’approche et s’adresse à la malade : Eh ben, la Mémé, ça va pas ? Et hop, aussitôt, j’étais debout et je les servais. » Opération de sortie du merveilleux dans une perspective sinon moderniste, du moins de service. La vie, la santé rendues le sont pour le service des frères.
Et ça n’arrête pas : « Le soir venu, quand fut couché le soleil, on lui apportait tous les malades et les démoniaques, et la ville entière était rassemblée devant la porte. » C’est la nuit, le soleil est couché, et les forces du mal s’en donnent à cœur joie, comme toujours, dans la nuit des hôpitaux, des insomnies, de l’insécurité et des guerres. La ville entière. Evidemment, non, Marc n’est pas un marseillais à galéjades. Mais il y a urgence à lutter contre le mal qui nous touche tous.
Le chapitre premier de l’évangile n’est pas encore achevé, et l’on peut dire que Jésus n’a pas chômé, ni le lecteur ! Retour à la prière, puisque l’on peut penser qu’à la synagogue on avait prié. Jésus, même si cela fait moins de bruit, y compris dans le texte, semble partager son temps entre la prière et la lutte contre le mal ; il semble accorder autant d’importance à la prière qu’à la remise en vie de tous ceux que le mal affecte, de tous donc.
Les disciples n’ont rien vu, rien compris. C’est que lorsque Jésus débarque, la vie sur terre échappe à la corvée dont parle Job ; il ne s’agit pas qu’il se retire ! Pourtant il faudra aller ailleurs. Les guérisons et exorcismes de Jésus ne sont que les signes de la libération définitive, elles n’en sont pas la pure et simple actualité ou réalisation. Impossible de faire de Jésus le paratonnerre qui protègerait du mal, un talisman vivant, une assurance tout-risque. Jésus n’est pas un superman ou magicien mais l’homme qui meurt, impuissant, comme un criminel… et le Père ne bronche pas. Il faudra du temps pour le comprendre, et nous n’avons toujours pas compris. Jésus n’a rien à voir avec les héros qui viennent à bout de tout. Il rend la vie certes, mais comme on dit qu’on meurt, qu’on rend l’âme.
Et la prière ? Le texte n’en dit rien. On ne sait rien de la prière de Jésus, et dans l’évangile de Marc, que nous lisons, il n’y a pas même le Notre Père. Ce n’est ni un hasard ni une lacune des sources de Marc. La prière, il ne s’agit pas d’en parler. Ça ne se voit pas, ça ne sert à rien, au sens des critères de l’efficacité. La prière, c’est le domaine de la gratuité, non qu’il ne faille parfois, souvent, payer très cher l’ascèse qu’elle requiert. Dans la prière, il n’y a pas à parler, mais à être, à se poser devant celui que nous ne connaissons pas, seulement.
Je pense aux séances de caté. Une petite heure avec les enfants. Difficile, et peut-être pas souhaitable, de pouvoir entendre, dans la salle, voler une mouche. Les enfants bougent, doivent être rappelés au sujet, tant de choses sollicitent leur attention ou plutôt la dispersent. Et puis, il y a les discussions, les réactions. A la fin, le signe de la croix et… le silence. Combien de temps teindra-t-on ? Ce silence, même s’il y a du bruit dehors. La paix, le calme. Seigneur, nous voici devant toi, tout simplement dans le silence, seulement de le silence, et ce n’est pas si simple.
Je pense à la communion portée à Laura, à la fin de sa longue vie, avec la maladie, comme dans l’évangile. Elle ferme les yeux. Silence. Au bout d’un moment, je pense qu’il est temps de conclure. Laura a toujours les yeux fermés. S’est-elle endormie ? Dois-je la réveiller ? Quelques instants encore, elle rouvre les yeux. « C’est bon ». C’est bon d’habiter dans le silence devant celui que nous ne connaissons que si peu. Non pas réciter des prières, pas même adorer, comme l’on dit. Non, se tenir là, seulement avec le silence.
C’est bon et c’est aussi un combat, contre soi, contre l’ennui, contre la solitude. La prière communautaire offre un cadre favorable. Les plus anciens pères et maîtres parlent du démon, cet autre en moi qui souffle le meilleur ou le pire. Pas seulement le pire, on le démasquerait trop facilement ! Impossible d’être tranquille, de savoir à coup sûr si je prie ou non, si je suis devant Dieu ou devant… moi (et mes démons). Je n’en aurai jamais fini de devoir débusquer les ruses, de douter, de jouer la déprise. Rien de cartésien là-dedans, le doute n’est pas méthodique, on ne le dépasse pas ; et le « je » n’ai pas maître et autonome, il désire se livrer à l’autre et ne sait jamais s’il y parvient.
Cela n’importe pas. N’importe pas de savoir si nous prions bien. Comme dit Paul, nous ne savons pas prier comme il faut. Alors, pourquoi s’en faire ? On peut, on doit sans doute, apprendre, apprendre à se tenir, seulement, dans le silence, apprendre à prier. C’est fou le nombre des illusions de la bonne conscience et la multiplication des gourous. C’est fou le nombre de maîtres plus ou moins autoproclamés, et leurs prétendues solutions et méthodes pour prier. Certes, il y a place pour des maîtres spirituels, mais le sont-elles ces vedettes charismatiques qui existent par la nouveauté, l’extraordinaire, l’exotique qui distrait, et non par le dur labeur de la durée, de la fidélité, de l’ordinaire ? La magie de la prière doit être combattue comme et parce qu’on a refusé de faire de Jésus un superman. On n’échappera pas à l’ascèse et au combat pour goûter comme est bon le Seigneur, pour demeurer devant lui, seulement dans le silence.

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