Nous lisons semaine après semaine des extraits suivis de l’évangile
de Marc. Cela aura été un des multiples apports de la réforme conciliaire que
de donner à entendre en lecture quasi continue les évangiles et de nombreux autres
textes bibliques. Le lectionnaire devra sans doute être repensé et amélioré après
quarante ans d’expérience. Nous ne lisons que trop peu certains textes, l’évangile
de Jean par exemple est vraiment morcelé, ne pouvant déployer sa propre logique,
nous n’entendons que très rarement des textes-clefs comme la passion ou le fils
prodigue !
L’évangile de Marc, très court, est découpé, lui, en si
petites péricopes que nous n’avons plus aucun recul. C’est comme regarder un
éléphant au microscope : on ne voit plus rien ! Ainsi, aujourd’hui,
comme de nombreuses autres fois, nous lisons un miracle. Coupé de son contexte il
acquiert un sens qui ne peut être le sien, il perd son sens.
En isolant les miracles du reste de la narration, en
multipliant leur lecture, on met bien en évidence la lute permanente de Jésus
contre le mal. Mais on accroit le merveilleux, le Jésus superman qui peut tout.
Or Jésus n’est pas cela et fuit ceux qui veulent le faire roi, baguette magique
qui permet d’échapper à la finitude. Jésus ne veut être le fruit défendu que l’on
mange pour ne plus être autre que des dieux. Il vient précisément délivrer de l’emprise
de ce fruit. L’homme n’est pas un dieu en miniature, rêve de toute puissance
qui se donnerait libre cours. Avec Jésus, l’homme est divinisé tout en restant
ce qu’il est, un homme, sans mélange ou confusion ni séparation.
Avec Jésus, c’est l’humanité qui est promise à la vie divine,
et non une pseudo divinité, divinité au rabais, divinité de pacotille – ça
brille mais c’est du toc ‑ qui remplacerait l’humanité. Les conséquences
sont nombreuses. Je n’en développe qu’une, justement à propos du merveilleux des
miracles. Ils accréditeraient la vérité de Jésus, ils seraient la preuve de la
vérité de Jésus. Catastrophe, s’il faut des preuves, nous sommes dans une
enquête policière pour piéger le coupable, celui qui est soupçonné, pas dans l’amour.
Faire du miracle l’acte de puissance qui certifie, c’est rater Jésus, tout ce
qu’il est, sa vérité, puisqu’il choisit la faiblesse.
Avec cette faiblesse, il est possible de revenir à notre
texte. Là Jésus guérit d’une maladie ou infirmité, là il libère un possédé,
aujourd’hui, il rétablit dans le corps social un lépreux. Plus qu’une guérison,
il s’agit d’une affaire de pureté et d’impureté. Par sa maladie considérée
comme contagieuse, le lépreux est non seulement atteint d’une maladie terrible,
mais encore d’une exclusion sociale. Les lépreux ne pouvaient se mêler à
personne.
Cette maladie, par l’impureté qui lui est liée, définitivement
puisqu’on ne savait pas la guérir, entre dans la compréhension religieuse de la
société et de l’individu. La lèpre est non seulement maladie incurable, non
seulement facteur d’exclusion sociale, mais révélatrice d’une impureté, d’une
incapacité, indignité à se tenir devant Dieu, de prendre part aux choses
sacrées. Le texte ne dit pas que Jésus libère ou guérit, mais qu’il purifie. Alors
qu’il ne pouvait plus prier (on aurait pensé cela sacrilège), plus vivre en
paix avec les frères, le lépreux est restauré dans sa capacité à exister dans le
registre de la sainteté.
A diversifier les miracles, Marc ne fait pas qu’accumuler
les nombreuses occasions pour Jésus de faire reculer le mal et d’annoncer, à
travers la libération de quelques uns, celle de tous. Il brouille les
frontières reçues du pur et de l’impur. Ce ne sont pas les aliments, dit-il
ailleurs qui sont purs ou impurs. Si impureté il y a, elle sort du cœur de l’homme.
Ce ne sont pas les plus religieux qui sont purs, ceux qui observent les
commandements, mais ceux qui font confiance à la libération qu’ils reçoivent d’un
autre (Cf. Mc 7, 1-23). Ce ne sont pas les païens ou les femmes qui sont
impurs, mais les hypocrites de la religion (Mc 7, 24-30).
Avec ces versets du chapitre premier (il y a une femme, la
belle-mère de Simon, guérie de sa fièvre et un lépreux), se met en place une
thématique centrale pour Marc. On trouve le seul autre lépreux de l’évangile à
la toute fin du texte. Jésus mange chez Simon le lépreux. (Chez Luc, Simon est
pharisien !) Jésus mange chez un lépreux ! C’est chez lui qu’une
femme lui verse un parfum sur la tête, onction anticipée du corps bientôt
cadavre, onction donnée au messie par une femme. C’est le comble, la pureté se
trouve chez le lépreux et la femme (et non au temple ou dans le respect des multiples
commandements).
En trois moments qui enjambent le texte de son évangile, au
chapitre 1, au chapitre 7 et au chapitre 14, l’antépénultième, Marc déplace la
question de la pureté. Elle n’est pas rituelle ou religieuse ; elle n’est
pas liée au sexe ou à la nationalité ; elle n’est pas un état mais une
manière d’exister. Accueillir celui qui est le lieu de la présence de Dieu en
ce monde et qui se révèle tel dans la mort en croix, lorsque le voile du temple
se déchire. Le temple est alors aussi vide qu’un tombeau, aussi impur qu’un tombeau.
Ce sacrilège est le prix à payer pour que l’humanité soit purifiée. « Je
le veux, sois purifié ! », dit Jésus.
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